Euthanasie : vers le suicide assisté ?
Plusieurs fois repoussé, l’examen d’une loi sur la fin de vie paraît désormais imminent. Ce dossier voudrait articuler deux volets pourtant absolument opposés, l’un relatif à l’indispensable renforcement des soins palliatifs notoirement insuffisamment dotés en France, un autre prévoyant la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, regroupés sans les nommer sous le terme «aide à mourir».
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C’est aussi sur ce deuxième volet que nous autres médecins sommes sollicités, dans un enchevêtrement de réunions souvent convoquées au nom d’on ne sait qui. Selon un calendrier non-dit mais impératif, nous devons d’emblée discuter les modalités et autres aménagements de cette loi à venir : qui sera éligible, qui ne le sera pas ? les mineurs, les malades présentant des troubles psychiatriques ou neurologiques ? Qu’est-ce que le consentement ? Qu’est-ce qu’une souffrance insupportable ? Peut-elle être d’ordre psychologique… ? En revanche, il nous est très explicitement demandé de ne pas remettre en cause puisqu’il est déjà décidé, le principe même de ladite innovation envisagée pour les meilleurs motifs, libre-choix, compassion, dignité…
Mais au fait, pourquoi serait-il interdit de mettre les pieds dans le plat ? En l’occurrence, dépénaliser signifie qu’il ne sera plus interdit d’euthanasier, c’est-à-dire de mettre à mort les personnes qui en feront le «choix», ni d’assister leur suicide c’est-à-dire les informer, leur proposer (les inciter ?), puis leur donner les moyens de se donner la mort. Rien à voir avec le refus de l’acharnement thérapeutique ou la sédation profonde et continue au terme de laquelle le patient décède de sa maladie : c’est une confusion trop souvent entretenue. L’interdit fondateur de tuer est transgressé sans tambour ni trompette, et cela est confié, c’est un comble, au monde médical.
À vouloir légiférer de façon (pseudo)compassionnelle à partir de cas exceptionnels et non selon le cas général, on en arrive à l’épouvantable aberration envisagée. Partant du double constat que la perspective de mourir à plus ou moins brève échéance est pénible pour celui qui l’éprouve comme pour son entourage, et que les soins palliatifs sont peu accessibles, permission sera donnée d’éliminer la personne concernée. En somme, pourquoi dépenser une énergie et des moyens qui seraient bien plus utiles ailleurs, quand de toute façon la mort est au bout d’un chemin supposé forcément dégradant ? C’est aussi, nous dit-on, une question de «dignité» : ceux qui ne feront pas ce choix sont-ils donc indignes ?
On nous rassure : c’est une liberté, un choix qui sera offert, nullement une obligation ; il y aura des garde-fous, des commissions, des comités éthiques… Mais qui décrétera qu’untel est apte à faire une demande, tandis que tel autre ne l’est pas ? Dans une demande de mourir, la dimension psychologique n’est évidemment jamais absente, alors qui fera le tri entre demandes valides et non valides ? Quel expert mégalomane s’autorisera-t-il à cocher la case «bon pour la mort oui/non» ?
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L’évolution inéluctable, déjà illustrée ailleurs où le même dispositif a été adopté et qui n’a donc rien d’une dérive imprévisible, a été vers l’extension de ce fameux «droit à mourir», au nom bien sûr de la non-discrimination, à toutes les catégories de populations : malades souffrant de troubles psychiatriques ou psychologiques, sujets âgés polypathologiques et autres fatigués de la vie. Entre autres nombreux exemples, une jeune femme de 23 ans (sic) a eu recours à l’euthanasie en Belgique. Elle semblait souffrir d’un syndrome de stress post-traumatique et dont tout porte à croire que la prise en charge psychiatrique n’était pas optimale. S’agissant des âgés, cela se fera conformément à la demande implicite formulée par la société, et pourquoi pas après incitation au bénéfice des familles, dans un monstrueux calcul plus ou moins formulé de régulation des longs séjours ou des EHPAD.
En fait, toutes ces demandes de mourir sont autant de demandes de suicide. Si pour certaines d’entre elles il n’y aurait pas d’intervention psychiatrique à prévoir, en tout cas il serait catastrophique et scandaleux de les favoriser ou d’y participer : si se suicider est difficile à réaliser tout seul, si tuer son prochain est interdit depuis l’aube de l’humanité, c’est sans doute pour des raisons anthropologiques qui méritent réflexion. Et plus spécifiquement si l’on veut que demain, médecins et patients restent dans une relation qu’on puisse qualifier de thérapeutique, il faut que même désespérés ces derniers ne puissent entendre d’autre réponse de notre part que : «J’entends votre souffrance mais donner la mort n’est pas un soin. Je peux vous soulager et vous accompagner autrement». L’interdit de tuer est la condition qui nous oblige à rester créatifs dans le soin.
Il est vrai que dans quelques cas exceptionnels, certains médecins, sans doute estimables dans leur position, ont pu donner la mort (euthanasie) ou donner les moyens de la mort (suicide assisté). Ils ont été traduits en justice et relaxés si le cas le justifiait : cela satisfait à la fois le principe (il est interdit de tuer et d’inciter au suicide), la compassion et le bon sens. Pourquoi rompre cet équilibre permis par la loi Claeys-Leonetti actuellement en vigueur, au motif qu’elle est insuffisamment connue y compris des soignants et que d’autres pays nous ont précédés dans la barbarie hi-tech ?
Nous en tout cas, qui consacrons une bonne partie de notre vie professionnelle à tenter de prévenir le suicide, sommes épouvantés par la promotion de celui-ci, présenté désormais comme la liberté ultime. Et l’on sait bien que derrière le souhait exprimé de mourir, se dissimule toujours une autre demande.
Enfin si on nous oppose la volonté populaire, c’est-à-dire celle des bien-portants ou d’une convention citoyenne dont les conditions de la délibération collective posent question, on peut rappeler qu’il y a quarante ans un Ppn publique. Le président Macron pourrait rester dans l’histoire comme celui qui a choisi l’éthique et la civilisation face à un projet déshumanisant. À nous médecins, de l’aider à en prendre conscience sans lui servir la soupe qu’il attend.
Le Dr Raphaël Gourevitch est psychiatre, il dirige le CPOA, service d’urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne (GHU Paris). Il est également responsable du pôle où figurent en outre les déclinaisons franciliennes de dispositifs nationaux de prévention du suicide : dispositif de veille VigilanS et 3114 numéro national de prévention du suicide.
Le Dr Bruno Dallaporta est médecin à la Fondation santé des étudiants de France, où il est également président du GREFF (Groupe de ressources éthiques), docteur en sciences et docteur en philosophie appliquée à la santé.
Le Dr Faroudja Hocini est psychiatre, psychanalyste, philosophe chercheure associée à la Chaire de philosophie à l’hôpital, enseignante-chercheure en psychopathologie à l’Université Paris Cité au CRPMS (Centre de Recherche Psychanalyse, Médecine et Société).
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