Françoise Souchon, l’épouse discrète qui a résisté à toutes les tempêtes

Les règles ont été fixées entre eux dès le début. Alain Souchon a sa vie de chanteur, d’idole des jeunes; elle, garde son anonymat. Depuis cinquante-trois ans, tous deux n’y dérogent pas. Rares sont les sorties officielles lors desquelles ils s’exposent, les photos de gala. L’interprète de Foule Sentimentale n’a d’ailleurs jamais cessé de le dire : Françoise, son épouse, ne souhaite pas qu’il parle d’elle dans les médias. Sa «Bellote», comme il la surnomme, préfère le soutenir dans l’ombre et préserver leur vie privée. Véritable repère dans le vortex de la célébrité, elle lui a donné deux enfants, Pierre et Charles, et lui a assuré, tout au long de sa carrière, une stabilité.

Dans sa biographie Alain Souchon, La vie, c’est du théâtre et des souvenirs, parue le 11 avril aux éditions l’Archipel, l’artiste de 79 ans relate sa rencontre avec le grand amour de sa vie. Et tout n’était pas gagné pour ce rêveur alangui, plus doué pour jouer de la guitare que pour draguer les filles. Sous la plume de Jean-Dominique Brierre, on découvre un chanteur complexé dans sa jeunesse et pas vraiment séducteur. «Pour moi, elles représentaient un mystère», dit-il des femmes. Outre ses quelques tentatives de séduction, il préfère, à l’adolescence, qu’on «lui foute la paix». «Je me souviens très bien de ces aspirations : la tranquillité dans la nature, la fuite dans la solitude. La vie, c’était trop compliqué». Du moins, jusqu’à ce que son regard croise celui de sa jeune Françoise, un soir de fin d’été.

«Un côté un peu vieille France»

En mai 1968, Alain Souchon a vingt-quatre ans. Il observe les grandes révolutions de loin, préférant écrire des chansons et se faire quelques sous en retapant des appartements. Tous les étés, il se rend dans sa maison de famille à Cour-Cheverny, dans le Loir-et-Cher, où il «côtoie toujours les paysans mais fréquente aussi la jeunesse dorée de la région». Guitare en main, il est souvent invité à des soirées, lors desquelles il chantonne devant son premier public. Un soir de septembre, à la fin de l’été, alors qu’il assure l’animation d’une fête chez une famille du coin, il rencontre Françoise Villechevrolle, une jeune fille à l’élégance «un peu vieille France : mocassins, pantalon de velours milleraies et Shetland jaune.»

Brune, cheveux coupés court, mine triste à la Jeanne Moreau, Françoise habite à Paris avec sa mère, près du jardin du Luxembourg. À l’époque, celle qui se destinait architecte entame finalement une licence en biologie avec l’objectif de devenir pharmacienne. Tout chez elle impressionne le jeune Souchon : sa beauté, certes, mais aussi son intelligence. «J’ai eu de la chance ne pas être tombé sur une idiote», dira-t-il en 1999 auprès de l’Express . Pour la séduire, il s’assoit à côté d’elle et tente de la faire rire. «Ce qui l’attirait chez moi, c’est sans doute mon côté bohème, confie-t-il encore dans sa biographie. J’étais comme j’ai toujours été, entre deux eaux. J’aimais bien le décorum de la bourgeoisie, les jolies maisons, la politesse. J’aimais la religion sans être religieux, et en même temps j’aimais la déglingue de ceux qui disaient que le monde n’allait pas.» Pendant plus d’an an, ils se voient «de loin en loin», flirtant à quelques occasions dans le Quartier Latin. Dans le documentaire Alain Souchon, le chanteur d’à côté, de Laurent Thessier (2008), Françoise dira ces rares mots : «Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme ça. Aussi drôle et avec cette profondeur».

Un mariage et deux enfants

À la fin de l’année 1969, le chanteur et sa «Bellote» (dérivé de «mignonnette») s’installent ensemble dans une garçonnière du 15e arrondissement de Paris. Un an plus tard, au mois de novembre, ils se marient aux Montils, un village du Loir-et-Cher. «C’est moi qui ai eu l’idée, pour la garder. Au début j’étais le plus épris et j’avais peur qu’elle parte avec un autre», continue-t-il pour Jean-Dominique Brierre. Françoise étant issue d’une famille plutôt pieuse (sa mère donne des cours de catéchisme), Alain Souchon «sentait bien que son avenir, c’était de se marier et d’avoir des enfants». Leur union a lieu dans une petite église de campagne ; elle en robe façon hippie, lui en costume de velours noir. En 1972 naît leur premier fils, Pierre Souchon, aujourd’hui âgé de 51 ans. Un prénom symbolique puisqu’il reprend celui du père d’Alain, Pierre Kienast. Six ans plus tard viendra au monde son petit frère, Charles, 46 ans.

Entre ces deux naissances, Françoise ne cesse de porter son mari afin qu’il réalise ses rêves et puisse vivre de sa musique et de sa poésie. Elle écoute ses brouillons, «le rassure et le conseille». Surtout, c’est elle qui ramène l’argent à la maison, pendant que lui tente en vain de réussir sa vie. En 1973, suite à sa rencontre et à sa collaboration décisive avec Laurent Voulzy, Alain Souchon jouit enfin de son premier succès avec le titre J’ai dix ans. Il a désormais 29 ans. Entre son nouveau statut de père et d’étoile montante de la chanson, sa femme devient un repère pour lui. «Avec (elle), je reviens à quelque chose de structurant (…) Comme elle travaille, il ne faut pas se coucher tard. Autant je suis flou, autant elle a une détermination et une volonté farouches. Elle est beaucoup plus construite que moi. J’aime sa manière d’organiser la vie quotidienne».

Le printemps des infidélités

Alain Souchon a fait néanmoins quelques écarts. Objet de désir de toute une génération de femmes, celui qui «chante un baiser» en 1999 n’a pu résister à la tentation des groupies. En tant que chanteur, «on est très sollicité. Après le concert, vous rentrez à l’hôtel. Une voiture vous suit, une fille en descend. Elle se jette sur vous, veut venir dans votre chambre, se donne à vous», souffle-t-il dans Alain Souchon, La vie, c’est du théâtre et des souvenirs. Dans ce tourbillon, il n’y a pas que les aventures d’une nuit. Et Françoise doit alors composer avec l’idylle naissante entre son mari et une certaine Isabelle Adjani. Alors qu’au début des années 1980, le chanteur s’essaye au cinéma (il tournera au total 8 films) et signe une apparition dans le film Tout feu, tout flamme de Jean-Paul Rappeneau. C’est là qu’il rencontre la jeune actrice. «Elle était très, très belle et très, très compliquée. Comme moi, elle trouvait que les rapports humains – parler avec les autres, se dire des choses vraies -, ce n’était pas simple. Son mal de vivre m’a touché». Leur marivaudage durera deux ans. Mais bien que pris entre deux femmes, Alain Souchon ne quittera jamais Françoise. Elle, y a-t-elle pensé ? L’artiste n’y répond pas mais use de cette allégorie : «Par mauvais temps, quand le bateau va n’importe où, tellement ça souffle, on affale toutes les voiles et on les attache».

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Car en cinquante-trois ans, des tempêtes ont évidemment traversé le couple Souchon, mais les rafales n’ont jamais suffi à le mettre à terre. Françoise représente son «centre solide», dit-il ; plus que tout, elle est la mère de ses deux enfants. Alain Souchon est d’ailleurs très proche de ses fils, avec qui il partage la même passion. En effet, tous deux ont suivi ses pas dans la musique : Pierre est auteur-compositeur, notamment pour son père et a monté un groupe avec l’aîné de Laurent Voulzy, baptisé Les Cherche midi. Charles, dit Ours, chanteur également, a sorti 4 albums et notamment collaboré avec Lily Allen. Quant au père, il continue de se produire. Figurant parmi les artistes les plus récompensés aux Victoires de la musique, son 15e album, Âme fifties, paru en 2019, a été très bien accueilli par la critique.

À côté des dates qu’il honore, il vit désormais une vie plus tranquille avec Françoise, tous deux aimant passer du temps dans les différentes maisons qu’ils possèdent. L’une se situe dans le Loir-et-Cher, où ils sont installés depuis plusieurs années, deux autres sont dans les Alpes et en Bretagne, où ils se rendent plusieurs fois par an. Le couple a également un appartement à Paris, acquis en 1978 : un immense 200 m2 rue Notre-Dame-des-Champs. Avec Françoise, ils aiment l’ambiance surannée qui y règne. Sa décoration est constituée de vieux meubles, de papier peints d’origine et d’une «grotesque» cheminée. «Chez moi, c’est vieillot, assume-t-il. J’aime les ambiances traditionnelles où l’on ne voit rien. Quand on vit dans un mobilier qui est là depuis cent ans, on ne se montre pas.» Là, entouré de Françoise et de tous ses meubles anciens, c’est alors comme si, lui aussi, avait préservé avec elle une part de son anonymat.