ENTRETIEN. Christophe André : « L’estime de soi, c’est le regard qu’on porte sur soi »

Christophe André est docteur en psychiatrie, psychothérapeute et écrivain.

Christophe André a sorti en janvier 2024 un nouveau livre, « S’estimer et s’oublier ». Sous format abécédaire, le psychiatre donne plusieurs entrées pour comprendre ce qu’est l’estime de soi.

Dans son dernier livre*, intitulé S’estimer et s’oublier et paru en janvier 2024, Christophe André revient sur l’estime de soi. Un thème sur lequel il a déjà écrit, notamment dans Imparfaits, libres et heureux mais aussi dans L’Estime de soi (avec François Lelord). L’estime de soi est un sujet qui « obsède » Christophe André, « en tant que soignant, mais aussi en tant qu’humain ».

Votre livre parle de l’estime de soi : qu’est-ce que l’estime de soi ?

L’estime de soi, c’est comment on se voit, comment on se juge et comment on se traite. C’est le regard qu’on porte sur soi. Qu’est-ce qu’on a tendance à regarder : plutôt ses bons côtés, plutôt ses mauvais côtés ? Il faut accepter de voir ce qu’on a de bien en nous, mais reconnaître aussi ce qui ne va pas bien. Avoir un regard équilibré.

Mais l’estime de soi, c’est aussi comment on se juge. Est-ce qu’on se juge avec bienveillance ou avec férocité ? Est-ce qu’on est trop dur avec soi ou est-ce qu’on est peut-être trop complaisant ? Là aussi, c’est une question d’équilibre. C’est beaucoup ça, l’estime de soi : l’équilibre entre le positif et le négatif.

Et puis, c’est aussi comment on se traite quand on est en difficulté, quand on échoue ou quand les choses vont mal dans notre vie. Est-ce qu’on en rajoute en s’engueulant ou en s’autocritiquant, en se maltraitant, en se disant qu’on est nul, qu’on est minable ? Ou bien est-ce qu’on essaie de se dire : « Ok, tu as du chagrin, ça n’a pas marché comme tu voulais, mais ça va, sois quand même sympa avec toi. Calme-toi, console-toi, fais-toi du bien et tu réfléchiras ensuite à ce que tu peux changer » ?

Comment entretenir l’estime de soi ?

C’est très important de comprendre qu’il faut la nourrir. C’est d’abord avec les succès, des choses que j’arrive à faire. Il faut, par exemple, que je puisse me dire : « Tu es un bon jardinier ou « tu es un bon bricoleur », ou « une bonne copine », « tu es bon dans ton boulot », etc. Et puis reconnaître aussi que, de temps en temps, ça ne marche pas, on se trouve en échec, même si c’est plus compliqué pour l’estime de soi.

Le terme technique, c’est l’agentivité. L’agentivité, c’est le sentiment que mes actes ont un effet sur le monde matériel, que mes actes produisent des effets favorables, des succès et des réussites. C’est ensuite après les succès, sentir que j’existe dans les yeux des autres et que les autres ont de l’estime au sens très large pour moi, pas seulement de l’admiration, mais aussi de l’affection, de la sympathie, etc.

Quels sont les facteurs qui influencent l’estime de soi ?

Quand on étudie ce qui influence l’estime de soi, il y a d’abord plein de choses de notre passé. Il y a ensuite nos efforts, et il y a enfin la culture dans laquelle on vit, le milieu dans lequel on baigne. Et on s’est aperçu malheureusement que les écrans, les réseaux sociaux, la société de consommation, étaient des menaces pour l’estime de soi.

Les réseaux sociaux, par exemple. Alors il y a, bien sûr, des côtés très sympas : c’est génial de suivre des gens, de partager des expériences. Donc je ne dis pas que tout est à jeter dans les réseaux sociaux, mais il faut s’en méfier et se tourner vers la vraie vie. Quand vous suivez quelqu’un sur les réseaux sociaux, en général, ce quelqu’un va vous présenter la meilleure version de lui-même et il va poster des photos où il a bonne mine, dans des endroits sympas avec des gens sympas. Ce n’est pas que c’est un mensonge, mais c’est une partie sélectionnée de sa vie. Et le problème, c’est que nous, en tant qu’humain, on a toujours tendance à se comparer aux autres. C’est dans notre cerveau.

L’humain est un animal social. Il aime bien vivre en groupe, en bande. Tout seul, il est malheureux. Et donc les animaux sociaux, ils ont un petit logiciel de comparaison. Donc si je me compare avec des gens parfaits, ça va être un peu déprimant pour moi. Or, les réseaux sociaux présentent plutôt les très bons côtés des autres. Mais dans la vraie vie, je vois les gens tels qu’ils sont vraiment : mes voisins de palier, mes collègues de bureau, mes amis… Je vois bien qu’ils ont des côtés où ils sont meilleurs que moi mais je vois aussi leurs défauts.

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Quels sont les bénéfices de l’estime de soi ?

On a beaucoup d’études sur les bénéfices de l’estime de soi. On a beaucoup de ce qu’on appelle des « méta-analyses », c’est-à-dire des grosses études scientifiques où on synthétise toutes les petites études existantes et puis on essaie de voir ce qui se dégage. Ce dont on s’aperçoit dans ces données scientifiques, c’est que l’estime de soi, c’est un facteur important pour le bien-être émotionnel.

C’est-à-dire que si j’ai un bon rapport avec moi-même, je serai plus souvent de bonne humeur, je serai moins inquiet du jugement des autres, je serai moins inquiet de tenter des choses puisque je me dirais : « Bon, si ça marche, tant mieux, ça ne marche pas, tant pis, ça ne voudra pas dire que je suis nul si j’échoue », etc. Donc en général, la bonne estime de soi favorise le bonheur et les bonnes relations avec les autres.

Chez les enfants, c’est souvent associé. C’est l’un des facteurs associés à la réussite scolaire. C’est quelque chose qui nous donne de la persévérance et de la résilience. Quand on manque d’estime de soi, on a peur de l’échec. Avoir trop peur de l’échec, ça fait qu’on n’essaie pas. On se décourage tout seul parce qu’on pense qu’on n’est pas à la hauteur et ça, c’est très ennuyeux. Si vous n’avez pas une bonne estime de vous-même, la bonne nouvelle, c’est que ça se travaille !

Le titre de votre livre est S’estimer et s’oublier : à quoi correspond le « s’oublier » ?

Quand on regarde les personnes qui ont une bonne estime d’elles-mêmes, on s’aperçoit que, quand elles sont, dans la vraie vie, en train de faire quelque chose, de vivre un moment, d’être en interaction avec les autres, elles ne sont pas centrées sur elles. Quand elles discutent avec quelqu’un, elles ne sont pas toujours en train de se dire : « Est-ce que la personne me juge bien ? Est-ce que je dis des bêtises ? Est-ce qu’on m’admire ? » On ne se pose pas trop de questions sur soi, on est plutôt tourné vers l’autre.

La bonne estime de soi, c’est une estime de soi qui est silencieuse. À un moment donné, il faut lâcher ce focus sur soi-même et il faut se lancer dans le bain. En fait, l’estime de soi, on s’en occupe quand il le faut et après on se jette dans la vie. C’est à ça qu’elle sert en fait : à profiter de la vie et des autres.

*S’estimer et s’oublier, Christophe André, éditions Odile Jacob, 400 pages, 22,90 €