Élections législatives en Inde: grandeur et déclin de la plus grande démocratie du monde

élections législatives en inde: grandeur et déclin de la plus grande démocratie du monde

Manifestation devant le Parlement, le 25 avril 2013 à New Delhi, en Inde.

Durement conquise dans le cadre de la lutte contre la colonisation, la démocratie s’est implantée en Inde après son accession à l’indépendance en 1947. Forte d’une pratique de sept décennies quasiment sans interruption et dotée d’institutions solides, la démocratie indienne est mise à rudes épreuves par les nationalistes religieux au pouvoir à New Delhi. Ils rêvent d’une Inde hindoue et « majoritarienne » où la majorité exerce son hégémonie sur le reste de la population. La survie de la démocratie sera sans doute le véritable enjeu des élections générales qui se tiennent cette année.

La campagne électorale pour les élections générales se déroule en Inde dans une atmosphère survoltée de passions, de débats et de contestations. Les élections sont un moment majeur dans la vie politique de ce pays qui se targue d’être « la plus grande démocratie du monde ». Le Premier ministre Narendra Modi qualifie les élections dans son pays de « festival électoral ».

L’échéance 2024 ne déroge pas à la règle, avec près d’un milliard d’électeurs et d’électrices appelés aux urnes pour élire, entre le 19 avril et le 1er juin, la XVIIIe législature de la « Lok Sabha », la Chambre basse du Parlement. L’excitation est réelle, même si, selon les sondages, il n’y a pas beaucoup de surprises à attendre du vote cette année. La victoire du BJP, le parti des nationalistes hindous au pouvoir à New Delhi, serait acquise. En cas de succès, leur leader Narendra Modi serait automatiquement reconduit à la primature pour un troisième mandat successif, un exploit que seul Nehru, le premier de ses seize prédécesseurs depuis l’indépendance, avait réussi.

Aux manettes du pays depuis 2014 et reconduit en 2019, Narendra Modi est un leader populaire et populiste. Il est issu des rangs du puissant mouvement nationaliste hindou, le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh) dont son parti, le BJP, est le bras politique. Fervent partisan de l’hindutva ou l’hindouïté, matrice idéologique du « majoritarianisme hindou », l’homme ambitionne de transformer l’Inde moderne et laïque en un État hindou (« hindou rashtra ») où les minorités religieuses seront reléguées au rang de citoyens de seconde zone. Selon de nombreux observateurs, le processus d’hindouisation déjà à l’œuvre dans le pays aujourd’hui, doublé de la dérive autoritaire du régime au pouvoir, est en train d’éloigner l’Inde de ses valeurs démocratiques, fondatrices, de laïcité, de liberté et de pluralisme multiculturel.

Les mutations de sa démocratie, qui se sont accélérées depuis le second mandat de Narendra Modi, ont en effet valu à l’Inde d’être dégradée dans les classements internationaux sur la démocratie et d’être qualifiée de « démocratie partiellement libre », voire d’« autocratie électorale ». Le pays de Gandhi et de Nehru est-il en train de devenir une démocratie illibérale ? Assistons-nous avec Narendra Modi à la fin tout court de la démocratie indienne, comme l’affirme le spécialiste de l’Inde, Christophe Jaffrelot ?(1)

Racines profondes

La survie de la démocratie en Inde promet d’être le véritable enjeu des législatives 2024. Or, celle-ci est fortement ancrée dans la culture politique indienne. Gagnée de haute lutte pendant le mouvement de l’indépendance, elle est l’essence même de l’Inde, une essence qui la différencie, aux yeux des Indiens, des pays limitrophes où les coups d’État militaires et la guerre civile ont retardé le développement.

Tout en étant un legs colonial, la démocratie a des racines profondes dans ce pays. En effet, si la greffe du parlementarisme, fondé sur un système multipartisan que l’Inde a adopté à l’indépendance, est récente, l’idée de démocratie n’est pas tout à fait étrangère à ce « pays-civilisation ».

Les historiens racontent que l’Inde précoloniale connaissait des formes d’auto-gouvernance à travers ses conseils de village délibérant sur des affaires locales. Ces traditions qui remontent à l’Antiquité indienne expliquent que la démocratie, importée des rives de la Tamise, s’est acclimatée aux rigueurs des pays des moussons et des étés torrides, comme en témoigne notamment le succès que connaissent en Inde les consultations électorales. Tous les cinq ans, les électeurs indiens bravent le soleil et la pluie pour aller glisser leurs bulletins dans les urnes. Ils votent aussi pour élire les membres des assemblées provinciales – et cela entre deux échéances législatives et parfois le même jour que les législatives, comme cela se passe cette année dans six États régionaux.

La participation n’a cessé de croître, passant de 47% aux premières législatives en 1952 à 67% à la dernière échéance il y a 5 ans. Chose remarquable, c’est dans les bidonvilles et les faubourgs pauvres qu’on vote le plus, alors que les riches se sentent moins concernés par les changements politiques.

L’histoire de l’enracinement de la démocratie en Inde mérite d’être racontée. En voici trois dates clés :

1935 : Adeptes de l’« indirect rule », les Anglais associèrent très tôt les Indiens à la gestion de l’Empire. Le « Government of India Act de 1935 » fut la dernière étape des réformes politiques engagées par le pouvoir colonial, dès la fin du XIXe siècle, pour permettre aux Indiens de choisir leurs représentants selon un système électoral au suffrage censitaire, d’abord au niveau municipal, puis à celui des provinces et enfin à l’échelon du pays. Dès 1909, les gouvernements régionaux comptaient des ministres indiens.

La réforme de 1935, validée par le Parlement britannique, consacra l’autonomie quasi complète des assemblées provinciales vis-à-vis du pouvoir colonial et instaura des exécutifs locaux responsables devant des assemblées élues. Ce proto-parlementarisme permit à l’élite indienne de se familiariser avec les pratiques démocratiques, même si ces réformes étaient vivement contestées à l’époque par le mouvement national de plus en plus actif. Ce dernier était mené par le parti du Congrès qui participa, sous le leadership du Mahatma Gandhi, aux élections destinées à choisir les assemblées provinciales, tout en protestant contre la portée limitée de ces réformes adaptées aux objectifs de domination du pouvoir colonial. Cela n’empêchera pas les « pères fondateurs » de l’Inde moderne de s’inspirer de la loi coloniale de 1935 et d’en reprendre à l’identique deux tiers des articles dans la Constitution de l’Inde indépendante.

1947-1952 : Ce furent cinq années décisives pour la démocratie indienne. Avec son accession à l’indépendance le 15 août 1947, l’Inde devient un pays souverain et maître de son destin. Depuis 1946, avant même l’indépendance, l’Assemblée constituante, qui réunissait quelques-uns des grands esprits de l’Inde, travaille à l’élaboration d’une nouvelle Loi fondamentale. Celle-ci est promulguée le 26 janvier 1950. Avec ses 396 articles et ses annexes, la Constitution indienne est l’une des plus longues du monde. Elle instaure un régime parlementaire bicaméral, inspiré du modèle britannique, avec la stricte séparation des pouvoirs et le respect des libertés collectives et individuelles. La Constitution instaure le suffrage universel et garantit l’État de droit incarné par la Cour suprême, réputée pour son indépendance.

Administrativement, le pays est organisé selon une logique fédérale. Définie comme une « union d’États », l’Inde est régie par un gouvernement central aux larges pouvoirs, mais la gouvernance est partagée entre New Delhi et des gouvernements régionaux qui ont une autonomie limitée mais réelle en matière d’action économique, sociale et éducative. Enfin, last but not least, la République indienne se veut laïque ou séculière, pour employer la terminologie indienne, et garantit l’égal statut de toutes les religions dans la sphère publique, sans en privilégier aucune.

Sur une période de quatre mois, à cheval entre 1951 et 1952, se déroulèrent les premières élections législatives au suffrage universel. Les résultats furent proclamés le 21 février 1952. Auréolé de son rôle majeur dans le mouvement de libération, le parti du Congrès remporte le scrutin avec une écrasante majorité. Son leader Jawaharlal Nehru, qui assurait la gestion au quotidien du pays depuis l’indépendance en 1947, devint le premier Premier ministre de l’Inde.

Influencé par le système parlementaire britannique, tout en affichant son admiration pour les exploits de l’URSS en matière de développement et de modernisation, Nehru engagea son pays sur les voies de la démocratie parlementaire, mâtinée d’un étatisme socialiste et égalitaire dans les domaines économiques et sociaux. Soucieux de prendre à bras le corps les inégalités qui rongent la société indienne, il fit inscrire dans la Constitution des mesures de discrimination positive favorisant les plus basses castes et les populations dites tribales. Ainsi, sous son égide, le Congrès qui domine la scène politique au sortir de l’indépendance, a jeté les bases du développement du pays.

Les premières décennies de l’Inde indépendante se caractérisent en effet par la prépondérance du parti du Congrès sur le Parlement et sur l’exécutif. Les politologues parlent de « système congressiste », fondé sur un consensus entre la bourgeoisie dominante issue du combat pour l’indépendance et les minorités musulmanes et les basses castes dont la fidélité était acquise au Congrès. Véritable parti-État, abritant sous son étiquette une pluralité de stratégies et doctrines, cette formation a offert à la République naissante une stabilité politique pendant presque vingt ans, correspondant à ce qu’on a appelé « l’âge d’or nehruvien ».

1977 : Avec la première alternance de régime à New Delhi, l’année 1977 est une autre date historique gravée dans les manuels consacrés à la démocratie indienne. Elle s’ouvre sur la convocation des élections législatives, après deux longues années d’état d’urgence. En 1975, la Première ministre Indira Gandhi, fille de Nehru, dont l’élection venait d’être annulée par une Haute Cour régionale saisie par l’opposition, fit proclamer un régime d’exception, interrompant le processus démocratique. C’est une heure noire pour la démocratie indienne. Le pays vit mal cette période de quasi-dictature. Les principaux leaders de l’opposition se sont retrouvés derrière les barreaux et la liberté de la presse et d’expression avait été sévèrement restreinte.

La réponse de l’électorat indien, que l’on qualifiait d’analphabète et dépourvu d’intelligence politique, fut cinglante. Aux élections de 1977, il donna ses voix à l’opposition, faisant preuve d’une maturité politique certaine, et renvoya le Congrès à ses chères études. Cette première alternance ne durera que trois ans, mais la démocratie indienne est sortie renforcée de cette expérience. L’alternance accéléra l’entrée en scène de nouveaux acteurs et dessina l’ébauche de nouveaux rapports de force entre les différentes parties prenantes de la vie politique.

« La démocratisation de la démocratie indienne »

La coalition hétéroclite qui accède au pouvoir en 1977 était née de la fusion des principaux partis de l’opposition, dont des formations régionales. Cette nouvelle configuration préfigure le paysage politique indien des années 1980-1990, marqué par l’effondrement du « modèle congressiste » et dominé par des formations régionales puissantes qui seront désormais les véritables « faiseurs de rois ». L’Inde entre dans l’ère des coalitions avec des gouvernements qui se font et se défont au gré des alliances et des intérêts. C’est ainsi qu’entre 1977 et 2014, treize Premiers ministres traversent le firmament politique indien, alors que le pays n’avait connu que trois chefs de gouvernement au cours des trois premières décennies de son existence en tant qu’entité indépendante.

Paradoxalement, l’instabilité politique que traverse l’Inde à partir des années 1980 se révèlera être particulièrement propice à l’approfondissement de la démocratie. Cela se reflète dans les relations moins tendues entre le gouvernement fédéral et les États fédérés de l’Union qui jouissent d’une plus grande marge de manœuvre et d’écoute lorsque l’État central est dirigé par une coalition que lorsqu’il est dirigé par un parti hégémonique comme le Congrès.

L’irruption sur la scène politique des basses castes a été l’autre phénomène marquant de cette seconde étape de l’évolution de la démocratie en Inde. C’est à l’époque des Britanniques qu’une politique de discrimination positive à l’égard des basses castes a été mise en place, avec une timide ébauche du système de quota dans les assemblées provinciales pour promouvoir leur participation dans la vie politique, chose inimaginable dans la société indienne traditionnelle. Ces stratégies ont été systématisées après l’indépendance, d’abord dans la Constitution, puis par les gouvernements successifs.

Mais il faudra attendre l’avènement des partis de castes, notamment le Republic Party dans les années 1950 et le Bahujan Samaj Party en 1984, pour que les candidats issus des basses castes et intermédiaires puissent entrer dans les parlements régionaux et l’Assemblée nationale, qui ont longtemps été la chasse gardée des hautes castes. Avec l’investissement des lieux de pouvoir par des personnes de castes défavorisées, « la sociologie de la classe politique (est devenue) plus plébéienne », écrit Christophe Jaffrelot. Il s’agit, ajoute le politologue, d’une « véritable démocratisation de la démocratie indienne qui paradoxalement passe par la caste » (2).

Une nouvelle séquence

L’arrivée au pouvoir à New Delhi, en 2014, de Narendra Modi et de son Bharatiya Janata Party (le parti du peuple indien, le BJP), reconduit en 2019, ouvre une nouvelle séquence dans la vie politique du pays. Certes, le BJP avait déjà été aux manettes, entre 1999 et 2004, mais c’était dans le cadre d’un gouvernement de coalition, alors que cette fois-ci, il dispose d’une majorité absolue, avec 282 sièges lors de la première mandature et 303 pour la seconde. Parti hégémonique comme l’a été le Congrès en son temps de gloire, il a désormais les mains libres pour refonder la République indienne selon son idéologie droitière et hindouiste.

C’est une idéologie qui vient de loin. Le courant nationaliste hindou dont le parti au pouvoir est le bras politique, irrigue l’espace national depuis bientôt un siècle. Son entité mère, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Mouvement des volontaires nationaux, désigné par son acronyme le RSS), a été fondée en 1925. Elle milite, à travers les différentes organisations qui lui sont associées, pour une république indienne basée sur la religion majoritaire, en l’occurrence l’hindouisme, et sur la perpétuation du système de castes propre aux traditions millénaires de la civilisation hindoue. Cette vision d’une Inde réduite à son identité hindoue est tout le contraire du modèle multiculturel, séculaire et égalitaire prôné par le Congrès depuis Gandhi et Nehru et affirmée dans la Constitution. Les nationalistes hindous se présentent comme une alternative au « système congressiste » et se sont fait élire profitant de l’usure du parti du Congrès.

Leur leader, Narendra Modi, qui a rejoint le RSS à l’âge de huit ans, est un pur produit de cette droite hindouiste musclée et identitaire. Avant d’être nommé à la tête du pays, il a été le « chief minister » de l’État du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde, où son nom est associé à un pogrom anti-musulman. Son implication personnelle dans ce pogrom, qui fit 2 000 morts, continue à susciter le débat en Inde, même si l’homme a été blanchi, depuis, par la justice. Il n’est donc pas étonnant que c’est sous son égide que New Delhi se soit engagé dans la voie de la déconstruction du multiculturalisme séculaire, pierre angulaire de la démocratie indienne.

Le multiculturalisme à l’épreuve

C’est dans la foulée de l’avènement du BJP au pouvoir en 2014 qu’ont eu lieu les premières attaques contre l’identité plurielle et multiculturelle du pays. Elles visaient les musulmans, pris à partie en pleine rue, voire lynchés par des milices dites « vigilantistes », au nom de la défense de la vache sacrée. Le processus ira s’amplifiant dans les années qui suivent. On verra la police culturelle sévir contre le mariages mixtes (« anti-love jihad »), contre les conversions ciblant cette fois surtout les chrétiens, ou bien encore contre la mixité religieuse des quartiers en empêchant les musulmans d’acheter ou de louer des logements. L’hindouisation passe aussi par la réécriture des manuels scolaires gommant des pans entiers de l’histoire indienne dominée par des dynasties musulmanes. L’objectif est d’effacer l’islam du paysage politique et social. Pointant du doigt l’islamophobie de la droite hindouiste, le politologue indien Ramchandra Guha écrit que « le fait qu’il n’y ait pas un seul musulman parmi les 397 représentants du BJP dans les deux Chambres du Parlement réunies démontre le mépris absolu de ses dirigeants pour les droits politiques des quelque 200 millions de musulmans de l’Inde ». (3)

Une nouvelle étape dans la marginalisation des minorités a été franchie avec la réélection de Narendra Modi en 2019. L’attaque contre le multiculturalisme est menée désormais sur le plan du droit lorsqu’en août de la même année, le gouvernement a aboli par décret présidentiel l’autonomie de l’État du Jammu et Cachemire, le seul État du pays majoritairement musulman, alors que cette autonomie était inscrite dans la Constitution indienne. Puis, la mise en œuvre de l’agenda anti-minorité musulmane s’est poursuivie avec la création d’un registre national des citoyens dans l’État de l’Assam, frontalier du Bangladesh, conduisant à l’exclusion de la citoyenneté de près de deux millions de musulmans dont beaucoup avaient traversé la frontière avec leurs parents il y a 50 ans, fuyant la guerre qui a présidé à la création du Bangladesh.

En décembre 2019, le gouvernement Modi est allé encore plus loin dans la stigmatisation des musulmans en faisant voter par sa majorité une loi d’amendement de la citoyenneté (« Citizenship Amendment Act », CAA), qui propose d’octroyer la citoyenneté indienne aux réfugiés venus des pays limitrophes avant 2014, sauf s’ils sont musulmans. Cette énième discrimination, qui va contre le mot et l’esprit de la Constitution indienne bâtie sur les principes de la laïcité et l’égalité, fut à l’origine d’un vaste mouvement citoyen à travers le pays, mais ce mouvement fut interrompu par le confinement conséquent à la pandémie de Covid.

Ces attaques successives contre le multi-confessionalisme et le pluralisme ont transformé l’Inde en ce que les politologues ont qualifié diversement de « démocratie ethnique » (Jaffrelot) ou de « démocratie majoritarienne » ou « communaliste » (J.-L. Racine) (4). Les années Modi sont aussi allées de pair avec une dérive autoritaire incontestable du régime que traduit la mise au pas des médias et de la société civile, l’instrumentalisation de la justice et l’hypercentralisation du pouvoir, sapant les fondements même du pays et de ses institutions, dont le fédéralisme, considéré comme l’un des fondamentaux de la démocratie indienne. Une ligne de fracture s’est créée au cours de la décennie écoulée entre les États de la plaine du Gange, qu’on appelle l’Hindi Belt, et les États dravidiens du Sud qui sont aujourd’hui gouvernés par des partis régionaux, peu sensibles pour des raisons culturelles à l’idéologie de l’hindouïté que promeut le pouvoir central. Cela inquiète la classe politique indienne, encore hantée par la Partition de 1947. Elle sait combien le pas entre fracture et fossé est vite franchi !

Vers une Inde hindoue

C’est dans ce contexte de triomphalisme d’un côté et d’inquiétude de l’autre que s’est ouverte en Inde en début d’année la campagne pour les législatives 2024. L’inquiétude est du côté de l’opposition qui peine à présenter un front uni face à un pouvoir fort, dominateur, et qui reste populaire. Selon des sondages parus l’année dernière, le BJP du Premier ministre Narendra Modi bénéficie d’une opinion favorable de 80% des Indiens après près d’une décennie au pouvoir. Sa victoire ne semble faire guère de doute.

Pourtant, le gouvernement a fait arrêter récemment l’un des importants chefs de l’opposition sous le prétexte de malversations financières. Il a fait aussi geler les comptes bancaires du parti du Congrès, la principale formation de l’opposition. « Pourquoi une telle animosité ? », s’interrogent de nombreux analystes. L’hypothèse la plus probable serait que le parti au pouvoir tient, à tout prix, atteindre le but de 370 sièges qu’il s’est fixé. Le Graal est à ce prix, comme l’explique le politologue Ashutosh Varshney dans une tribune parue dans la presse indienne : « Étant donné que dans le cadre de la Constitution indienne en vigueur, le pays ne pourra pas être administré selon les principes de l’hindouïté, comme le réclament les nationalistes hindous au pouvoir à New Delhi. Le régime devra modifier la Constitution et pour ce faire, il aura besoin d’une majorité des deux tiers à la Chambre basse, soit un minimum de 364 voix . » (5)

D’où l’importance des élections législatives de cette année qui ne sera pas  le « festival électoral », promis par Narendra Modi, mais  une lutte des idéologues religieux pour  transformer l’Inde laïque et démocratique en une théocratie médiévale et obscurantiste. Dans l’Inde de Nehru et de Gandhi, beaucoup craignent, et pas seulement les intellectuels et les penseurs, que leur leur pays ne devienne un « Pakistan hindou » !

 

  1. « Narendra Modi, ou la fin de la démocratie indienne », par Christophe Jaffrelot, in « La Vie des idées », le 10 juillet 2023
  2. Inde : la démocratie par la caste. Histoire d’une mutation socio-politique (1885-2005), par Christophe Jaffrelot. Éditions Fayard, Paris.
  3.  « India’s feet of clay : how Modi’s supremacy will hinder his country’s rise », par Ramchandra Guha, in Foreign Affairs, March/April 2024
  4. « L’Inde, une démocratie sous tensions », par Jean-Luc Racine, in Questions internationales, n°s 113-114, mai-août 2022
  5. « Fear and democracy », par Ashutosh Varshney, in The Indian Express, le 28 mars 2024
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