Économie de guerre : ces réquisitions envisagées par Sébastien Lecornu dans le secteur de l’armement
La petite phrase a été lâchée au milieu d’une conférence de presse et presque noyée dans la masse des informations distillées par le ministre des Armées mardi 26 mars à Paris. Sébastien Lecornu n’a évidemment pas parlé à la légère. « Pour la première fois, je n’exclus pas d’utiliser ce que la loi permet au ministre et au délégué général pour l’armement de faire, c’est-à-dire, si le compte n’y était pas en matière de cadence et de délais de production, de faire des réquisitions le cas échéant ou de faire jouer le droit de priorisation », a déclaré le ministre, entouré de l’ensemble des chefs d’état-major des armées et de plusieurs hauts responsables du ministère.
À LIRE AUSSI À quoi ressemblera le char du futur franco-allemand, le MGCS ? Dans ce cadre solennel ? les 6 officiers généraux totalisaient 30 étoiles ?, Sébastien Lecornu a tiré un coup de semonce face aux délais élevés de livraison de certaines commandes d’armements. Ces réquisitions sont « l’outil le plus dur de notre arsenal juridique » mais ne sont aujourd’hui « pas l’outil prioritaire », selon le ministre, qui souhaite donner de la « lisibilité » aux industriels. En d’autres mots, les prévenir que le gouvernement est prêt à sortir l’artillerie lourde.
D’abord la priorisation, ensuite la réquisition
L’État peut, depuis la loi de programmation militaire adoptée à l’automne, procéder à des réquisitions de « personnels, de stocks ou d’outils de production », non plus seulement en cas de menace existentielle contre le territoire national mais aussi lorsque les engagements de la France à l’étranger en matière de défense sont en jeu. Compte tenu de la situation en Ukraine, la case est cochée?
À LIRE AUSSI Ventes d’armes : comment la France a doublé la RussieDans un premier temps, toutefois, le ministre des Armées envisage d’utiliser non pas la réquisition mais la priorisation, c’est-à-dire l’obligation de prioriser la commande militaire sur la commande civile. Cet outil est surtout utile pour contraindre les sous-traitants dont l’activité serait duale ? civile et militaire ? à fournir en priorité les industriels devant exécuter un contrat pour les armées. Sébastien Lecornu souhaite aussi imposer à certains industriels des niveaux minimaux de stocks, car « si parfois les cadences de production sont trop lentes, c’est parce qu’il y a une tentation de faire du flux tendu et de ne pas avoir suffisamment de stocks de matières premières ou de composants ». Fini, les petites économies.
« Rupture culturelle »
Cité à deux reprises par le ministre, le missilier MBDA ne semble pas livrer assez vite les missiles antiaériens Aster et pourrait être la première cible de ces mesures contraignantes. La commande de 200 missiles Aster passée en janvier 2023 pour 900 millions d’euros doit être livrée en 2026, mais le ministère veut avancer la livraison au deuxième trimestre 2024. L’urgence est bien réelle : alors que les stocks étaient quasiment intacts, le ministre a révélé que les frégates françaises en mer Rouge ont tiré 22 missiles Aster depuis la fin de l’année 2023 face aux drones et aux missiles des rebelles houthis. Paris a d’ailleurs passé une seconde commande anticipée de 200 missiles Aster supplémentaires.
À LIRE AUSSI Faut-il encore tirer des missiles à 1 million d’euros contre des drones à 20 000 dollars ? L’enjeu de cette accélération des livraisons ne concerne pas que les armées françaises. « Nous avons récemment raté quelques contrats, notamment en Europe de l’Est », a regretté le ministre, car « le critère de délai de livraison l’emportait sur le prix ». « Désormais, nous avons des clients pressés », a poursuivi Sébastien Lecornu.
10 milliards d’euros pour Airbus, 6 milliards pour Thales, 5 milliards pour Dassault, 4 milliards pour Naval Group ou encore 3 milliards pour MBDA : le volume des commandes passées par le ministère et en attente de livraison suffit à donner de la « visibilité » aux industriels afin qu’ils investissent dans leurs outils de production, selon le ministre, qui exige du secteur une « rupture culturelle ».
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