Dahlia de la Cerda, au Mexique la peur change de camp

dahlia de la cerda, au mexique la peur change de camp

Manifestation contre les féminicides à Mexico en novembre 2022.

Il ne faut pas laisser traîner les filles. Ni les mecs dans Chiennes de garde. «Nous les femmes on peut vraiment être horribles, mon pote» car depuis peu «le sang se lave avec le sang, connard». Elles en ont ras le bol de vivre «dans des déserts d’os. Des lacs qui dévorent les femmes». Très tôt, elles ont appris à se taire, à attendre sagement en filant la laine et à voir sans cesse «des femmes mortes qui surgissent des fleuves, des fossés, des sables du désert. Des corps jetés à la poubelle, dans des sacs noirs. De la pâtée pour chien». Voilà ce qu’elles sont au Mexique où «tous les jours, sept femmes sont assassinées» et «98 %» des meurtres demeurent impunis. Comme Regina, lycéenne, tuée par son petit ami d’une balle entre les deux yeux. Son corps élancé et athlétique a été réduit en lambeaux de chair évacués de la piscine. Le féminicide, lui, maquillé en suicide – pour qui veut bien y croire. «Ce qui est arrivé à Regina n’a aucune justification ni mobile ça n’a aucun sens. Tu ne crois pas mon pote ?» La violence s’est installée un soir, à la sortie d’une boîte avec une gifle, et s’est amplifiée à «la troisième, la quatrième, la cinquième» agression. Jusqu’à cette fois où Jésus «m’a attrapée par les cheveux et m’a enfoncée la tête sous l’eau ; il essayait de me noyer». Pour Yuliana, sa meilleure amie et fille d’un influent narcotrafiquant, «il y a crime et crime, et ce n’est pas la même chose de tuer un preneur d’otages, un violeur ou un empoisonneur qui vend du crack fabriqué avec de l’éphéméride que de tuer ta fiancée par jalousie». Alors Yuliana engage la China, une tueuse à gages pour venger Regina. Elle l’abat avant de «graver le symbole des contras» – un groupe ennemi – «sur la poitrine du cadavre» et de suspendre ses membres à un pont. «C’est de la justice, n’est-ce pas chéri ?»

Le Charro Negro, créature du folklore mexicain

Plus loin, dans un des treize courts récits plus ou moins liés entre eux, cinq hommes violent une femme dans un désert. «Chacun leur tour. Ils m’ont attachée les mains et les pieds. Ils m’ont brûlée avec des cigarettes, ils m’ont frappée jusqu’à l’épuisement. Parfois ils me libéraient pour s’amuser à me courir après. Ils me mordaient les seins. […] Ils s’amusaient à m’asphyxier avec un foulard rouge et quand ils voyaient que je n’en pouvais plus ils relâchaient la pression, avant de revenir s’acharner sur moi.» C’était un plaisir, «ça se voyait dans leurs yeux, dans leurs gémissements». «Quand ils en ont eu marre, persuadés que j’étais morte», le Charro Negro – créature du folklore mexicain – «m’a raconté tout ce qu’il fallait savoir sur les […] mutations qui affectent les survivants de la souffrance». Elle était devenue la mort et la peur a changé de camp : «J’ai vu leurs visages paniqués, l’un d’eux s’est pissé dessus de trouille, bande de crétins, ils aiment bien frimer, mais ils tiennent pas le coup.»

Dahlia de la Cerda raconte les corps féminins broyés, leur parole tue et les trottoirs imprégnés de leur sang. Ceux masculins jamais car le Mexique est «un énorme monstre qui dévore les femmes», pas les mecs. «Tu as déjà entendu parler d’un homme à qui on aurait mordu les tétons avant de l’assassiner ? A qui on aurait planté un couteau dans le pénis ? Moi non plus.» Sauf si les rapports de force s’inversent – ceux que l’écrivaine tente de détruire avec son collectif féministe Morras Help Morras et dans ce roman où leur souffrance devient meurtrière. Que la douleur vienne, elles sauront se défendre avec des flingues, des machettes ou leurs poings, qu’elles soient femmes au foyer, ex-taulardes ou héritières d’un empire de drogues. «C’est toujours à partir de ses propres blessures qu’on parle, qu’on pense, qu’on agit.» Pour Dahlia de la Cerda, c’est avec les mots. Sa rage face à l’inaction du gouvernement se déverse, sous l’impulsion d’une écriture orale presque automatique. Ce qu’elle cherche à restituer, c’est l’urgence – celle de rassembler les cendres de ces femmes pour les identifier et offrir «une chambre à soi» à celles qui restent. L’insulte dit aussi quelque chose, elle travaille au corps une société patriarcale étouffante et complice pour qui les femmes sont «jetables». Dahlia de la Cerda écrit sans faux semblant ce qu’on a longtemps caché car on le sait, «la vie est une chienne. C’est pour ça qu’il faut ruer dans les brancards, même si elle est féroce, cette fille de pute».

Dahlia de la Cerda, Chiennes de garde, traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron. Les Editions du Sous-Sol, 240 pp., 21, 50 €.

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