Dans le sud de la France, une villa peuplée de céramiques de Picasso

Dans le sud de la France, une villa peuplée de céramiques de Picasso

Une volée de marches mène à l’étage principal de cette maison Belle Époque, où le travertin rustique habille l’extérieur.

La vie d’un antiquaire est marquée par une recherche constante de créations uniques et exceptionnelles. Si chaque trouvaille est particulière, certaines sont un véritable coup de foudre, comme cette villa des années 1870, située sur la Côte d’Azur, qui, très délabrée, cachait la splendeur de la Belle Époque. Au fil des années, ses propriétaires ont apporté chacun leur style pour créer un intérieur vivant et généreux, toujours prompt au changement. Le père, antiquaire français réputé qui nous a quittés en 2020, et la mère, décoratrice et artiste, ont instauré un esprit libre et ludique dans le rapport aux espaces et aux objets. Deux de leurs fils, galeristes, et leur fille, directrice artistique, complètent le clan. La maîtresse de maison se souvient de la liberté avec laquelle son époux et elle ont vécu leurs premières années de mariage : « Après notre rencontre dans les années 1970, nous avons fait d’innombrables trajets à travers la France dans une Citröen DS pour visiter des foires et des expositions. Mon mari était spécialisé dans l’Art déco, mais sa curiosité n’avait pas de limites. Être antiquaire, c’est un métier de passion. »

Le salon-bibliothèque cultive un style « cabinet de curiosités ». Des têtes signées Pierre Meauzé y côtoient des pièces de Baccarat et des plats de Vallauris derrière des fauteuils de Léon Jallot.

Autre coup de cœur du patriarche : les céramiques de Pablo Picasso, qu’il commence à collectionner dans les années 1980, alors qu’elles n’ont pas encore été estimées. « Nous nous sommes beaucoup amusés avec notre première pièce, comme si c’était un jouet. Elle nous a également inspiré de nombreuses idées de décoration. Puis nous en avons acheté à Alain Ramié. » Alias le fils de Georges et Suzanne Ramié, les fondateurs de l’atelier Madoura, ceux-là mêmes qui ont enseigné au maître les techniques traditionnelles de la céramique, durant son séjour à Vallauris entre 1948 et 1955. Puis, lors d’une exposition de céramiques à Tarascon, le couple a la chance de rencontrer des proches du peintre, comme son barbier, Eugenio Arias, et le photographe André Villers, dont ils obtiennent des clichés. Dès lors, les deux époux commencent à suivre des pistes pour le plaisir : « À partir d’une pièce, nous cherchions les autres jusqu’à avoir l’ensemble complet, alors nous le vendions. Nous avons eu la chance de vivre entourés de belles choses, mais ce métier vous apprend aussi à ne pas trop vous y attacher. » L’amour de l’antiquaire pour la céramique de Pablo Picasso est resté intact jusqu’à la fin. Sa dernière acquisition ? « Un portrait de Jacqueline sur fond bleu, telle une madone. Au plus fort de sa maladie, le Grand Vase Écossais était toujours en vente. Nous l’avons acheté à titre posthume. »

Dans le salon de musique, meublé d’une table et d’une paire de fauteuils de Warren Platner, des assiettes de Pablo Picasso sont intercalées avec des photographies du maître en plein processus de création.

Une œuvre de Victor Vasarély éclairée par une lampe de Serge Mouille préside à ce coin lecture composé d’un ensemble d’ottoman, fauteuil et pouf de Warren Platner. Sur le mur de gauche, on aperçoit une tapisserie de Jean Lurçat.

Un microcosme artistique

« Nous ne recherchons pas la perfection, mais l’authenticité. »

La propriétaire

Dans le corridor, une sculpture néoclassique évoque le riche passé archéologique de la région.

La famille, qui a toujours été entourée d’art, entretient une relation étroite et quotidienne avec les œuvres. Elle démontre une volonté de restaurer l’esprit originel de la maison, toujours avec éclectisme, et toujours en mélant l’ancien et le contemporain. « L’architecture d’origine était complètement dénaturée lorsque nous sommes arrivés. Elle était moderne, mais sans âme. Or, nous ne recherchons pas la perfection, mais l’authenticité. » L’identité de cette villa de 300 mètres carrés sur trois niveaux réside dans ses matériaux d’origine : travertin rustique, parquet de la fin du XIX^e siècle, mosaïques de marbre… La restauration s’est faite pièce par pièce, afin de ne rien laisser au hasard… une salle de bains noire et blanche, leur coin préféré ; la cuisine, baignée de lumière toute la journée et ouverte sur le jardin – avec un terrain de pétanque, tradition incontournable en Provence – ; et la piscine, dotée de sa cuisine d’été, où flottent des senteurs d’orangers, de magnolias et de jasmins.

Dans la bibliothèque du salon, des sculptures, des assiettes et des vases en céramique d’époques et de styles différents s’associent en toute liberté à des pièces plus contemporaines de l’Atelier Beige ou de Studio Dax, à Nice.

La mère et la fille assurent la rénovation et la décoration intérieure, tandis que les frères apportent leur vision et une sélection d’objets anciens. Outre Picasso, on trouve des lampes de Gae Aulenti et de Serge Mouille, des chaises de Jacques Adnet, des statues en bronze de Pierre Meauzé, des têtes en cristal de Baccarat, des vases de Christofle et de Marcel Vertès, une table de l’ébéniste Eugène Printz, des lithographies de Victor Vasarely, des tapisseries de Jean Lurçat et de Jean Picart Le Doux, un dessin de Jean Cocteau, des tanagras en terre cuite, et bien d’autres encore. Il en résulte un mélange d’œuvres personnelles et de céramiques d’artistes récents, souvent originaires du sud de la France, tels que Léa Ginac, l’Atelier Beige et le Studio Dax.

Dans la salle de bains, une paire de vases de Marcel Vertès apporte une note ludique.

Au mur, des céramiques de Pablo Picasso ajoutent des variations de blanc. Dans l’angle, un miroir Lipstick de Roger Lecal joue avec les textures du banc Djinn d’Olivier Mourgue.

« Si les objets pouvaient parler, ils nous raconteraient des choses merveilleuses. »

La propriétaire

La famille a ainsi su créer un microcosme dans lequel se reflètent un respect pour les artistes et une curiosité pour les histoires qui se cachent derrière chaque pièce : « Si les objets pouvaient parler, ils nous raconteraient des choses merveilleuses. » Conscients de leur rôle de gardiens temporaires de joyaux immortels, ils nourrissent et entretiennent l’héritage familial avec soin. De l’art, oui, mais surtout un art de vivre.

Sur le buffet, devant un tableau de René Roche et entouré de vases de Christofle, le plat Profil de Jacqueline de Picasso est une pièce clé de la collection de la famille.

Dans la chambre, trois panneaux de rideaux créent une alcôve à la fois intime et théâtrale pour le lit.

Une affiche de Vallauris, où Pablo Picasso vécut de 1948 à 1955, années prolifiques dans l’atelier Madoura de Georges et Suzanne Ramié. Les céramiques du maître dialoguent avec des pièces chinées dans des brocantes.

Devant la piscine, l’iconique fauteuil en fer Antheor, signé Mathieu Matégot.

La maison, ouverte sur le jardin, est baignée de lumière. Au premier plan, une Alfa Romeo Spider des années 1970, l’un des modèles les plus emblématiques dans l’histoire de la firme milanaise.