Comment la « cocaïne noire » finance les activités du « parti de Dieu » libanais

comment la « cocaïne noire » finance les activités du « parti de dieu » libanais

Comment la « cocaïne noire » finance les activités du « parti de Dieu » libanais

Les sociétés du clan Rada cachent souvent une activité très lucrative : le blanchiment du trafic de drogue. Selon les rapports d’experts, la cocaïne, dont la Colombie représente 70 % de la production mondiale, serait aujourd’hui la deuxième source de financement du parti chiite libanais, derrière le régime de Téhéran. Le Trésor américain recense environ 2 000 individus et sociétés liés au Hezbollah, sur son fichier des « barons de la drogue étrangers ».

Samer, le frère d’Amer Akil Rada, s’est d’ailleurs fait pincer en 2013 au Salvador avec 500 kilos de cocaïne dissimulés dans une cargaison d’ananas partie du Panama. Installé un temps au Belize, puis gérant de pizzeria à Barranquilla (Colombie), Samer s’est ensuite réfugié au Venezuela. À Caracas, il a fondé une société de cryptomonnaie, BCI Technologies, épinglée elle aussi en septembre 2023 par Washington pour son soutien au Hezbollah.

La cryptomonnaie, massivement utilisée par le régime de Nicolas Maduro, est une autre source potentielle de financement pour le groupe paramilitaire libanais, soupçonne le Bureau israélien de lutte contre le financement du terrorisme, qui a saisi 1,7 million de dollars sous cette forme, en juin 2023.

Indétectable aux chiens renifleurs

L’étude détaillée des registres de la société Zanga fait apparaître un total de quarante-trois cargaisons de charbon envoyées depuis la Colombie entre 2016 et 2021, à destination du Liban, mais aussi du Koweït, des Émirats arabes unis, d’Israël ? via le port d’Ashdod ? et des États-Unis.

Dans le même temps, une autre entité familiale, Tucan Trading, à Beyrouth, en a reçu au moins vingt-cinq, dont quatorze expédiées par Zanga. Le clan Rada dispose aussi d’une tête de pont en Australie, où réside Marian Akil Rada. Le profil de cette jeune femme sur le réseau social LinkedIn la présente comme experte en questions de douanes et de logistique portuaire.

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Mais les briquettes noires sentent la poudre blanche. Il y a plus de vingt ans, des chimistes au service des cartels colombiens ont mis au point une méthode pour noircir le chlorhydrate de cocaïne et le rendre quasi indétectable aux chiens renifleurs. En 2018, un laboratoire a été démantelé et une cargaison saisie, avant qu’elle ne parte pour le port de Lattaquié, contrôlé par le régime de Bachar el-Assad, en Syrie, autre allié du Hezbollah?

Cette « cocaïne noire » s’est également retrouvée en grosse quantité au Paraguay. En octobre 2020, près de trois tonnes ont été saisies sur le port fluvial de Villeta, investi par les narcotrafiquants. Le chargement devait transiter par Anvers (Belgique) et arriver jusqu’à Haïfa, en Israël. Or, le Hezbollah a aussi ciblé le Paraguay pour y développer ses activités.

Trois balles dans la tête

La région de la Triple Frontière (Paraguay, Brésil, Argentine) et en particulier la ville de Ciudad del Este (Paraguay), est l’une de ses places fortes depuis plus de trente ans. C’est dans cette zone qu’en 2018, la police brésilienne a capturé Ahmed Assad Barakat, soupçonné d’être l’un des responsables financiers du Hezbollah.

Son lien direct avec Hassan Nasrallah, le secrétaire général du « parti de Dieu », a en tout cas pu être établi. « Barakat a ouvert un magasin d’appareils électroniques à Ciudad del Este, au Paraguay. Mais en réalité, la société Casa Apollo faisait transiter de l’argent en faveur de la Fondation des martyrs du Hezbollah », souligne Matthew Levitt, un ancien du FBI devenu expert en terrorisme au Washington Institute et auteur de Hezbollah : The Global Footprint of Lebanon’s Party of God (Georgetown University Press, 2013). Lorsque les autorités paraguayennes ont perquisitionné Casa Apollo en 2001, ils y ont découvert une lettre adressée à Barakat et signée par Nasrallah : « Je suis reconnaissant de vos contributions et de votre soutien. »

À LIRE AUSSI Israël, guerre sale ou guerre propre ? Le Paraguay est gangrené. L’ancien président Horacio Cartes Jara, conservateur et partisan affiché d’Israël, a été identifié par les États-Unis comme entretenant des liens avec des dirigeants du mouvement terroriste. Idem pour l’ancien vice-président (2018-2023) Hugo Velasquez Moreno. Quant au procureur Marcelo Pecci, figure de la lutte contre le crime organisé, il a été assassiné sur une plage de la côte caribéenne de la Colombie, près de Carthagène, où il passait sa lune de miel, en 2022.

Deux sicarios ? des tueurs à gage ?, arrivés sur la plage grâce à un jet-ski qu’ils venaient de louer, l’ont abattu de trois balles dans la tête, sous les yeux de son épouse et de dizaines de touristes, suivant un plan visiblement préparé avec minutie. Selon Emanuele Ottolenghi, expert des réseaux Hezbollah auprès de la Fondation de défense de la démocratie, un cercle de réflexion américano-israélien, le procureur Pecci avec de nombreux ennemis, à commencer par le Hezbollah. Le directeur de la police nationale colombienne, José Luis Vargas, soupçonne, pour sa part, « une organisation terroriste radicale » de se trouver derrière le meurtre. Sans la nommer.

Coffré à Paris

En suivant les containers de « cocaïne noire », les enquêteurs de la DEA (Drug Enforcement Administration, l’Administration antidrogue américaine) ont remonté la piste de Hassan Mansour, un Libano-Canadien également lié au clan Rada en Colombie. En 2014, cet agent entrepreneur du Hezbollah a créé Zoom Zoom Motors, une société d’import-export qui achemine des voitures d’occasion entre l’Amérique du Nord et l’Afrique.

Ce business est un moyen de recycler l’argent du trafic de drogue. Cela n’empêche pas Mansour de recevoir au moins deux livraisons de « charbon » colombien. En 2015, le même individu révèle à un agent infiltré de la DEA qu’il utilise sa façade commerciale pour trafiquer de la cocaïne maquillée en briques de charbon. C’est alors que deux « tuyaux » arrivent de Paris aux oreilles de la DEA.

À LIRE AUSSI Le Hezbollah tisse sa toile en France

Une collecte de fonds au profit du Hezbollah et une rencontre entre blanchisseurs du narcotrafic doivent avoir lieu en France. C’est le début de l’opération Cedar ? en français Cèdre, l’arbre symbole du Liban ? qui s’étend dans sept pays. Un vendeur de voitures installé à Düsseldorf (Allemagne) est placé sur écoutes. Cet homme est aussi un neveu de Hassan Nasrallah, le guide religieux du Hezbollah depuis plus de trente ans.

Il conduit les enquêteurs jusqu’à Mohammed Ammar, le blanchisseur du cartel de Medellin, qui est arrêté à Miami après avoir accepté de recycler des dollars australiens fournis par des agents infiltrés? Hassan Mansour est coffré à Paris. Tout se connecte. « Nous enquêtions au départ sur ce réseau sous l’angle de la criminalité. Ce n’était pas une affaire de terrorisme », témoigne Quentin Mugg, officier de police français, dans le podcast de l’expert Matthew Levitt.

Un juteux contrat avec l’Iran

Avec Hassan Mansour, la police française tient un gros poisson. Pour preuve de ses liens haut placés, l’homme est marié à Zeineb Assad Fawaz, une petite-fille de Nabih Berri? Ce dernier est un personnage central de la politique libanaise. Né au Sierra Leone en 1938, âgé de 86 ans, il préside la Chambre des députés libanaise depuis 1992 et dirige le parti Amal, mouvement chiite laïque, allié indéfectible du Hezbollah?

Mansour est placé en garde à vue, puis remis en liberté avec assignation à résidence. Mais en échangeant sa place avec son frère jumeau, il parvient à déjouer la surveillance et à fuir au Liban, rapportent des sources policières. L’affaire est embarrassante pour Paris. Les autorités françaises ont-elles fait preuve de négligence ? Ou le parent de Nabih Berri, interlocuteur privilégié des diplomates français au Liban, a-t-il bénéficié de protections ?

À LIRE AUSSI Israël conforté dans sa guerre anti-islamistesLa France, qui venait de signer un juteux contrat avec l’Iran pour la vente d’avions Airbus, ne voulait pas prendre le risque de faire capoter le contrat, note une source proche de l’enquête. Comme quelques années plus tôt avec l’opération Cassandre, qui avait été torpillée par l’administration Obama pour ne pas compromettre les négociations sur le programme nucléaire de Téhéran, le coup de filet anti-Hezbollah se heurte encore à la realpolitik.

Contrefaçon et faux documents

S’ajoute à cela une grande expertise des zones grises du commerce international. Là où les frontières administratives se floutent et là où des villes-champignons surgissent, les commerçants libanais s’installent. « Il faut un puissant réseau pour blanchir de telles sommes d’argent », constate Ottolenghi. Le Hezbollah pro-iranien est capable d’injecter des millions dans le système bancaire légal, mais aussi de gérer des transactions frauduleuses sans mouvements de marchandises, voire de faire voyager des containers vides !

À LIRE AUSSI EXCLUSIF. « L’attaque de l’Iran contre Israël a bouleversé l’équation militaire au Moyen-Orient » Ses entrepreneurs fabriquent de la contrefaçon et des faux documents en quantité industrielle et font voyager des fonds grâce au système de la Hawala, le prêt sur gage islamique. La fraude fiscale et les paradis fiscaux comme le Panama, avec sa zone franche de Colon, sont une aubaine pour les financiers du mouvement chiite libanais. Les passeports et les titres de consuls honoraires de pays « amis » se monnayent aisément.

Mais les têtes du Hezbollah investissent aussi des institutions qui ont pignon sur rue. La Lebanese Canadian Bank (LCB) a été accusée, en 2011, de favoriser le blanchiment de « centaines de millions de dollars par mois », issus du trafic de drogue. « La cocaïne est l’activité économique principale en Amérique latine. Il est donc logique qu’elle occupe aussi le Hezbollah », note Emanuele Ottolenghi.

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