«Ces appartements ont résisté à AZF, et maintenant on veut nous jeter dehors» : à Toulouse, mobilisation de la dernière chance contre les démolitions

Quartier de la Reynerie, Toulouse (Haute-Garonne). L’immeuble Gluck résonne des coups sourds des engins démolisseurs. Un panneau «chantier interdit au public» en défend l’entrée, même si quatre familles y habitent encore. «La déconstruction est très avancée mais pas irréversible, veut croire Karine Bellemare, habitante du quartier et membre d’un collectif très actif depuis trois ans dans cette banlieue du sud-ouest de Toulouse. On aimerait qu’on stoppe tout, pour réfléchir à une alternative.» Les opposants ont repris espoir l’été dernier, quand le commissaire enquêteur, dans un nouveau rapport sur le projet de rénovation urbaine du quartier, a émis de fortes réserves sur la destruction de Cambert et Gluck, deux des sept immeubles voués à la démolition.

Propriété de la métropole, Cambert a été retiré de la liste, et c’est heureux : avec sa façade aux lignes géométrique et son damier de couleurs, l’œuvre de Georges Candilis, qui a bénéficié d’une rénovation thermique en 2017, a fière allure. Mercredi 24 avril, une délégation est allée plaider la cause de Gluck auprès du conseil départemental, dont dépend le bailleur social qui gère l’immeuble. Il a obtenu un rendez-vous, mais pas de garantie. En revanche, le sort de Messager, où vivent Karine et sa famille, de Grand d’Indy ou de Poulenc semble bel et bien scellé.

«Les démolitions contribuent à détruire la vie sociale»

«On accuse les bâtiments de la rage pour mieux les démolir», s’afflige Michel Retbi, depuis la coursive du Messager, qui offre une vue imprenable sur les arbres verdoyants et le lointain. Certains jours, on peut voir les Pyrénées. «Ce ne sont pas des cages à lapin, mais de véritables logements, traversants, spacieux, munis de balcons et de doubles loggias. Ils répondent aux normes édictées par le ministère du Logement depuis le Covid : ils sont traversants donc aérés, et idéals pour le télétravail», déplore l’architecte. Le collectif dénonce un «gâchis phénoménal» face au millier de logements appelés à être réduits en poussière. Ecologique, d’abord : démolir et reconstruire dégage beaucoup plus de carbone que réhabiliter. Financier aussi : la première option coûte plus cher à la collectivité que la deuxième, 160 000 euros par logement, contre 120 000 euros, en moyenne. Patrimonial, encore : les tripodes de Georges Candilis, construits dans les années 60-70, sont des références dans le monde entier, et il n’est pas rare de voir des étudiants en archi déambuler dans les coursives qui permettaient de circuler d’une aile à l’autre avant que ces barres ne soient redécoupées pour ouvrir le quartier. Et un gâchis humain, surtout. «Les démolitions contribuent à détruire une vie sociale très forte, des liens de solidarité et d’entraide tissés depuis des dizaines d’années», poursuit Michel Retbi. Et les locataires contraints de déménager ne gagnent pas au change : «Un T2 à l’époque mesurait 55 à 60 m2. Aujourd’hui, on est plutôt autour de 40 m2», avance l’architecte.

Le collectif réclame un moratoire sur les démolitions et l’organisation d’un concours pour «réhabiliter le quartier sans démolir». Il a obtenu le soutien du conseil de l’ordre des architectes d’Occitanie et d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, prix Pritzker 2021, dont la réhabilitation du Grand parc à Bordeaux est citée en exemple par les opposants à la démolition, qui se sont constitués en collectif national en février. «Depuis quinze ans, 15 milliards d’euros ont été consacrés à démolir 200 000 logements pour en reconstruire 190 000. C’est insensé. On aurait pu dépenser moins et avoir plus de logements et d’espaces» en rénovant, expliquait Jean-Philippe Vassal sur France Culture.

«On réhabilite deux fois plus de logements qu’on en démolit», proteste Gaëtan Cognard, le maire Renaissance du quartier du Mirail, chiffres à l’appui : 856 logements ont été détruits, 1 692 réhabilités et 2 469 construits à neuf dans le cadre des trois programmes de renouvellement urbain qui se sont succédé sur le territoire toulousain depuis 2000, pour un coût d’environ 150 millions d’euros. L’élu à la Politique de la ville ne peut s’empêcher de voir dans cette mobilisation la main du député LFI de la circonscription, François Piquemal. Egalement opposant au conseil municipal. il est d’ailleurs à l’initiative, pour la Nupes, d’une tournée dans les quartiers prioritaires l’an passé pour tirer un bilan de l’Agence nationale de la rénovation urbaine, qui a fêté cette année ses 20 ans. Pourquoi ne pas aller plus loin et reconsidérer toutes les démolitions ? «La réhabilitation du Petit Varèse a coûté 160 000 euros par logement. On a fait évaluer Messager : aux normes actuelles, ce serait 150 000 euros par logement. Et dans cinquante ans il faudra le refaire», tranche le conseiller.

«Ils veulent changer la population»

Mais les habitants ne l’entendent pas ainsi. «Ces appartements ont résisté à AZF [l’explosion de l’usine chimique en 2001, ndlr], et maintenant on veut nous jeter dehors comme des malpropres», s’insurge Mohamed, propriétaire d’un duplex de 130 m2 dans l’immeuble Messager. Pour ce père de cinq enfants, l’intention des pouvoirs publics est claire : «Ils veulent changer la population car les gens ne leur conviennent pas.» Un soupçon qui revient souvent dans la bouche de ces irréductibles, qui font partie des quatorze ménages encore présents dans le bâtiment aux airs de vaisseau fantôme. Tandis que Fatima sert le thé à la menthe et des gâteaux, Mohamed fait ses calculs. Le couple a acheté l’appartement 115 000 euros il y a seize ans. On lui en offre 1 041 euros le m2. En tenant compte des intérêts du crédit et des travaux réalisés, il s’estime floué. «On ne demande pas la charité, on veut ce qui nous revient de droit. Et qu’on ne me dise pas où je dois habiter», s’emporte cet homme pieux, résolu à «rester jusqu’au bout».

«ces appartements ont résisté à azf, et maintenant on veut nous jeter dehors» : à toulouse, mobilisation de la dernière chance contre les démolitions

Le quartier de La Reynerie, dans le sud-ouest de Toulouse (Haute-Garonne).

«Ne dites pas les habitants, mais des habitants», corrige Gaëtan Cognard, qu’agace cette prétention d’une minorité de résidents à parler au nom de tous. Il en veut pour preuve ce sondage, réalisé auprès de 463 familles en juin 2023. Sur les 267 qui ont répondu, 83,3 % se déclaraient «satisfaites ou très satisfaites de leur relogement». «Les opérations de relogement en cours (Glück, Grand d’Indy, Messager) à La Reynerie représentent 711 logements. Actuellement, il ne reste que 20 ménages à reloger dans ces trois bâtiments. Tous les autres ménages ont accepté les propositions de relogement et sont relogés», appuient ses services. Plusieurs témoignages recueillis par les membres du collectif, et publiés dans la revue Construire, font état cependant de pressions confinant au harcèlement. Pannes d’ascenseur non réparées, plus de nettoyage des parties communes : «Tout est fait pour nous faire partir», confirme Fatima.

Ces habitants ne peuvent plus supporter qu’on leur serve l’argument de la mixité sociale, vu comme un prétexte pour se débarrasser d’eux. «Appelez-moi victime de la mixité sociale», ironise une locataire de Gluck qui veut garder l’anonymat. Elle a décliné les deux propositions de relogement qui lui ont été faites car elle les jugeait indignes, espère que la troisième sera la bonne, fait monter les enchères en attendant. C’est de bonne guerre. Karine Bellemare soupçonne, elle, des promoteurs de lorgner sur le foncier du quartier. Avec son lac artificiel, son parc et son château du XVIIe, ses immenses pelouses, le Mirail, conçu au départ comme une ville nouvelle pour la classe moyenne (qui en est partie au bout de dix ans), a bien des atouts, en plus d’être desservi par le métro, depuis 1992. «Le foncier est intéressant, ici : on est à quinze minutes du centre-ville, cinq minutes du périphérique, à côté de l’Oncopole, pas loin d’Airbus», énumère la militante.

L’offre de HLM à l’échelle de la ville

«Les pauvres, on ne les chasse pas, les gens dont on démolit les logements ne se retrouvent pas à la rue ! proteste Jean-Luc Moudenc, le maire LR de Toulouse. On leur demande s’ils veulent rester dans le quartier, aller dans un autre quartier ou une autre commune. En général, ils veulent rester, mais certains ne demandent qu’à partir.» Ce que confirme Gaëtan Cognard : «La moitié des personnes que je reçois dans ma permanence me demande de quitter le quartier. Surtout les mères célibataires, à cause du trafic de drogue.» Tandis que l’élu montre fièrement la prairie qui a poussé à la place du collège Raymond-Badiou, rasé dans le cadre d’une expérience de mixité scolaire réussie, les guetteurs font les cent pas devant les barres inoccupées. Une opération «Place nette» vient de s’achever, «applaudie par les habitants», à en croire le vibrionnant élu. «Les» habitants ?

Chaud partisan de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) qu’il est l’un des rares élus de droite à avoir voté, Moudenc assume de vouloir casser les ghettos. «On est dans des quartiers où la proportion de logements sociaux au départ est de 90 %. Le but, quand on aura tout terminé toute l’opération, c’est d’aller vers un rééquilibrage 50 /50.» La démolition est un des leviers de cette politique qui vise à répartir l’offre de HLM à l’échelle, non pas du quartier, mais de la ville, et même de la métropole. «Et le rééquilibrage doit se faire dans les deux sens» : il faut plus de HLM dans les communes carencées et moins dans les communes en excès. Pour autant, Moudenc reconnaît qu’«au cœur du Mirail, il y a des programmes qu’on n’a pas réussi à commercialiser, malgré des prix très attractifs. On voulait attirer la classe moyenne modeste, mais on a dû différer le lancement de ces programmes ou les transformer en logements sociaux». La faute à la place Andé-Abbal, ses vendeurs à la sauvette le soir et son centre commercial décati. A terme, il devrait être remplacé par une cité de la danse, un équipement «à rayonnement métropolitain» dont les élus attendent beaucoup. Karine fait la moue. «On transforme notre quartier, on veut l’améliorer, mais c’est pour qui ? Ce ne sera pas pour nous.»

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