Ce que l'on sait sur les liens entre microbiote et santé mentale

ce que l'on sait sur les liens entre microbiote et santé mentale

Ce que l’on sait sur les liens entre microbiote et santé mentale

Qu’il est loin le temps où notre cerveau était considéré comme le chef d’orchestre incontesté de notre organisme. Dans l’élaboration de nos pensées et la régulation de nos fonctions cérébrales, les colonies de micro-organismes de nos intestins ont leur mot à dire. Au point qu’on doit leur céder une partie de notre libre arbitre, selon Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS et chef du département des neurosciences à l’Institut Pasteur, qui nous qualifie d’« hommes microbiens ».

Le Point : Dans vos travaux, vous envisagez le cerveau sous un angle global.

Pierre-Marie Lledo : Oui, nous ne nous bornons plus à regarder sous la boîte crânienne pour mieux le comprendre. Nous nous inscrivons, au contraire, dans la mouvance qui consiste à l’étudier en observant ses relations avec le reste du corps. Notamment avec le microbiote intestinal sur lequel nous travaillons depuis cinq ans. Les bactéries qui colonisent notre tube digestif « parlent » constamment au cerveau, de diverses choses, en empruntant différentes voies de communication.

Comment le ventre et le cerveau dialoguent-ils ?

D’abord par voie sanguine. L’intestin est l’organe le plus richement vascularisé de notre organisme, et c’est bien logique : des aliments qui y transitent sont extraits les nutriments destinés à être absorbés dans le sang. Mais des morceaux de parois des bactéries intestinales ? qui se « détachent » lorsqu’elles se divisent ? sont aussi capables de franchir la barrière de la muqueuse intestinale et de passer dans la circulation générale. Ces fragments bactériens ont dans l’organisme des récepteurs auxquels ils se fixent spécifiquement. Jusque-là, on les avait repérés uniquement à la surface des cellules immunitaires. Mais mon équipe et moi avons eu la grande surprise, l’année dernière, de découvrir que, chez la souris, ces récepteurs étaient aussi exprimés partout dans le cerveau.

Ces fragments bactériens issus du microbiote se fixent-ils vraiment sur les récepteurs cérébraux ?

Pour nous en assurer nous avons administré des bactéries radioactives aux souris, de manière à les tracer. On a constaté que ces traceurs passaient une première barrière, celle de la muqueuse intestinale, et se retrouvaient dans le sang. Puis une seconde, constituée par la barrière hémato-encéphalique [qui enveloppe le cerveau et l’isole du reste de l’organisme, NDLR]. Trois ou quatre heures après ingestion, ils se fixaient sur les récepteurs du cerveau. Nous avons publié ce travail en 2022 dans Science.

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Quel est le rôle de cette « connexion » chimique des bactéries dans le cerveau ?

Dans notre étude, nous avons choisi de nous concentrer sur une aire cérébrale bien particulière : celle de l’hypothalamus. C’est une région qui contrôle bon nombre de nos fonctions vitales : de notre prise alimentaire au maintien de notre température corporelle. Nous avons désactivé chez nos souris les récepteurs exprimés à la surface des neurones de l’hypothalamus. Nous avons constaté que nos souris ne pouvaient plus s’arrêter de manger et prenaient du poids.

Ce qui éclaire un des rôles des bactéries du microbiote : elles envoient un message de satiété au système nerveux central en exerçant un rétrocontrôle sur ces neurones pour freiner leur activité. La sensation de satiété n’est donc pas uniquement due à la tension des parois de l’estomac, à la montée de la glycémie ou aux hormones, comme on aurait pu le penser. Ce n’est pas étonnant que les bactéries aussi se fassent entendre et nous demandent de poser notre fourchette. Plus on les nourrit plus elles prolifèrent. Elles anticipent donc une possible surpopulation !

Est-ce que cette découverte pourrait aussi nous apprendre quelque chose sur le surpoids et l’obésité ?

L’obésité est une maladie multifactorielle, potentiellement liée à des désordres psychologiques, à des facteurs biologiques ou génétiques. On peut aussi imaginer que les troubles du comportement alimentaire à la base de la maladie soient liés à des mutations sur ces récepteurs qui entraîneraient un déficit de réception des signaux microbiens. On aimerait explorer cette piste. Ce ne serait pas la première fois que notre microbiote « pilote » notre cerveau et notre santé. Le lien entre microbiote et santé mentale, par exemple, est bien établi.

C’est-à-dire qu’il dicte nos humeurs ?

Oui, en partie. On savait déjà qu’un microbiote intestinal déséquilibré ? on parle de dysbiose ? était lié à un état de stress mental. Mais nous nous sommes penchés sur les mécanismes biologiques. Comme dans le contrôle de la satiété, ce sont des substances bactériennes qui sont en cause. Pas de morceaux de bactéries, cette fois, mais des postbiotiques. À savoir des substances produites par les bactéries, qu’il faut voir comme de petites usines chimiques. On a transféré le microbiote déséquilibré d’un animal anxio-dépressif à un animal sain. Qui a également « hérité » de ces symptômes.

L’anxiété et la dépression sont donc contagieuses par le microbiote. Dans notre expérience, le sang de la souris réceptrice du microbiote « stressé » s’est raréfié en certains composés lipidiques de la famille de l’acide arachidonique, dont dérivent les endocannabinoïdes. Il y avait donc disparition de signaux que nous sommes tous capables de produire grâce à notre microbiote et qui viennent activer les récepteurs cannabinoïdes dans le cerveau. Sans ces signaux, les symptômes de l’anxiété et de la dépression s’installent. La dysbiose a aussi provoqué la disparition d’un acide aminé essentiel : le tryptophane. Essentiel, car le tryptophane est la brique qui permet de construire la sérotonine.

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La sérotonine, que l’on appelle souvent l’hormone du bonheur ?

C’est un neurotransmetteur, et c’est précisément le taux de sérotonine que l’on essaie de booster dans le cerveau des malades de dépression. Pour cela, les médecins s’appuient souvent sur une famille de médicaments appelée inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) dont le représentant le plus connu est certainement la fluoxétine (Prozac). Pour faire simple, ces médicaments empêchent la déperdition de sérotonine dans les synapses, c’est-à-dire lors de son passage entre deux neurones.

Mais encore faut-il qu’au départ il y en ait assez ! Ces traitements ne fonctionnent pas chez tout le monde, loin de là : on estime que 30 % des patients y sont résistants. Leur microbiote pourrait être l’explication de cet échec thérapeutique. Car seulement 20 % du tryptophane qui passe dans le cerveau pour servir de « matière première » à la fabrication de sérotonine sont directement tirés de ce que nous mangeons. Les 80 % restants sont produits par le microbiote. Donc si la source principale du microbiote est tarie, trop peu de sérotonine parvient au cerveau. Inutile alors de s’acharner à prendre des ISRS, ou d’augmenter les doses. C’est le cas chez les animaux et on imagine que c’est la même chose pour les humains. Mieux vaut revoir le traitement §

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