Alice Raybaud : Les amitiés féminines et entre minorités sont des contre-pouvoirs

Alice Raybaud

“Revigorons-nous au foyer brûlant de nos amitiés (…) Reconstruisons autrement depuis leur antre. Là résident nos révolutions.” Tel est l’appel d’Alice Raybaud aux féministes et aux activistes.

Dans son livre Nos amitiés puissantes : Des liens politiques, des lieux de résistances (Éd. La Découverte), sorti le 11 janvier 2024, la journaliste interroge les relations “béquilles”, celles qui permettent de souffler hors du couple hétérosexuel quand celui-ci vacille. L’autrice y décortique aussi l’amitié au féminin, effacée par des siècles de patriarcat.

À travers divers et joyeux témoignages, elle fait de l’adelphité (mot neutre pour exprimer la sororité comme la fraternité) le personnage principal de son ouvrage. Tantôt puissante, tantôt réconfortante, l’amitié prend ici le visage de l’amour, les poings de la lutte féministe et la plume d’Alice Raybaud.

L’amitié comme contre pouvoir

Marie Claire : Qu’appelez-vous une “puissante amitié” ?

Alice Raybaud : Je crois que si je parle de “puissance de nos amitiés”, c’est parce que je pense que ce sont des lieux où peuvent se partager du soin, de la sollicitude sans que l’on soit forcément tenu aux attendus conjugaux ou familiaux, à un imaginaire souvent teinté de dominations ou bien de sacrifices de soin pour les femmes. Car ce sont elles qui font majoritairement les métiers du care. Avec les relations amicales, elles peuvent être receveuses de ce lien et pas seulement le prodiguer.

L’amitié serait d’une certaine façon plus libre que d’autres formes de relation ?

Je crois que l’amitié est en partie dépourvue de ces scripts hyper serrés, qu’elle a la possibilité de se faire plus créative, plus inventive et d’une certaine manière plus libre, parce qu’elle n’a pas à rentrer dans un cadre extrêmement borné. Ce sont des liens où on n’a pas être adéquat, ni séduisant ou séduisante. Ce sont des relations où s’expérimente des choses de l’ordre de l’estime de soi qui est très puissant et politiquement intéressant à mes yeux.

Dans votre livre, vous évoquez l’absence de représentations d’amitié féminine, hormis quelques exceptions, comme Thelma et Louise. Pourquoi le patriarcat a-t-il effacé les amies de notre imaginaire ?

Les amitiés féminines, et par extension les amitiés entre minorités, de genre ou minorités raciales, le fait de se lier, c’est quelque part faire un contre pouvoir. Et donc, c’est extrêmement terrifiant pour le système patriarcal qui a tout intérêt à empêcher ses relations. L’amitié féminine, effacée des textes historiques, se résume à une quasi page blanche alors qu’on a la trace des amitiés entre hommes.

On a souvent aussi représenté les amitiés féminines comme déviantes.

De grands philosophes et intellectuels ont affirmé pendant des siècles que les femmes seraient incapables biologiquement d’être amies, et que si c’était le cas, ce ne serait que des babillages inintéressants, des pertes de temps.

Les amitiés féminines étaient aussi considérées comme anormale à cause de la lesbophobie…

Oui. On a souvent représenté les amitiés féminines comme déviantes. On les a pathologisées en les associant notamment “au risque” du lesbianisme, qui était alors représenté comme une souillure dame, une maladie qui pouvait mener à la folie, au suicide. C’était une manière d’effrayer les femmes et c’est une ruse, je crois, très habile du patriarcat.

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