"Dans les champs, une véritable bête de somme" : être femme en Corée du Nord

La situation des habitants en Corée du Nord fait l'objet d'inquiétudes de la communauté internationale. Celle des femmes nord-coréennes, encore plus. Sur ce sujet, nous avons interrogé Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’IRIS et spécialiste des questions stratégiques en Asie.

Par son herméticité au monde, la Corée du Nord intrigue. L'image d'un pays replié sur lui-même, au leader tout-puissant et menaçant, suscite l'attention d'un public international qui pousse parfois la curiosité jusqu'à visiter le pays, sous le contrôle vigilant de guides complaisants embauchés par le régime. Enfin, ainsi en était-il avant la pandémie de Covid-19, car le virus a poussé la Corée du Nord à fermer encore un peu plus ses accès au monde, aux touristes et aux expatriés, et la situation des habitants inquiète.

Dans son rapport de 2023, l'ONG Human Rights Watch (HRW) soulève que "les restrictions excessives et inutiles liées à la Covid-19 ont bloqué la plupart des sources de revenus d'une grande majorité de la population, (...) détériorant généralement leurs droits à l'alimentation, à la santé et à un niveau de vie adéquat."

Limités par la fermeture des frontières renforcée, les transfuges ne sont plus qu'une poignée. Encore selon HRW, En 2021, 2022 et 2023, seuls 63, 67 et 196 évadés nord-coréens sont arrivés en Corée du Sud, soit une baisse significative par rapport aux 229 arrivées de 2020, aux 1 047 arrivées de 2019 et aux 2 706 arrivées de 2011.

Les récits s'étiolent, le témoignages se raréfient. Récemment, cependant, Daily NK, avec le soutien de l'ambassade du Canada en République de Corée, a mené une enquête auprès de 30 femmes nord-coréennes à l'intérieur du pays, ainsi que de 10 transfuges nord-coréens. Leur témoignage jettent une lumière crue sur la situation des femmes dans le pays, bien loin des déclarations officielles qui suggèrent que "les femmes sont des fleurs" et que le pays est un "paradis" pour le genre féminin. Pour en savoir plus, GEO a interrogé Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’IRIS, et spécialiste des questions stratégiques en Asie.

Entretien avec Marianne Péron-Doise

Vous avez fait plusieurs voyages en Corée du Nord : quelle a été votre première impression sur les femmes que vous avez pu voir là-bas ?

Marianne Péron-Doise : J’ai effectué deux longs voyages sur le terrain en 2018 et 2019. À cette occasion, j’ai pu passer du temps à Pyongyang et autour de Pyongyang, et ensuite faire un certain nombre de grandes villes. J’ai pu observer des différences nettes entre la femme dans les rues de Pyongyang, une ville vitrine du régime avec des privilégiés, dans certaines grandes villes de Corée du Nord, et puis dans les campagnes

À Pyongyang, on trouve des jeunes femmes très coquettes, même si elles ont un look qui correspondrait chez nous à celui des années 70. Dans d’autres villes, les femmes correspondent à l’image de la femme socialiste travailleuse : habillée de façon plus pratique, généralement en pantalon (ce qui n’est pas le cas à Pyongyang, où il n’ y a pratiquement pas de pantalons chez les femmes).

Et puis il y a un troisième registre, qui est vraiment la femme des campagnes et qui peut être une véritable bête de somme, parce que il y a très peu de mécanisation. Pour l’essentiel, la population hors de Pyongyang se déplace en vélo, donc on croise des femmes avec des vélos extrêmement chargés, voire des femmes qui poussent des charrettes à bras. Donc la femme est vraiment le reflet d'une société avec des statuts sociaux très contrastés.

Les femmes ont-elles droit à une éducation ?

J'ai pu visiter des crèches, des écoles primaires, une école d'architecture, et puis, dans le nord de Pyongyang, des universités dans des villes moyennes. À chaque fois, j'ai vu ce qui m’a semblé être un nombre égal de garçons et de filles. Je pense qu'on ne peut pas tricher à ce point-là et qu’on n'a pas "sorti" des jeunes filles du placard pour nous les montrer à ma photographe et à moi, donc je pense qu'il y a quand même un gros effort du régime sur l'éducation.

On parle bien sûr d’une éducation doctrinale avant toute chose, mais aussi d’une éducation quand même axée sur les langues, les mathématiques. C’est le reflet en général du régime socialiste où on pense que le travailleur est un pilier du régime, et doit être éduqué en termes idéologiques. Il lui faut un certain niveau d'éducation pour participer au développement du pays.

Dans les labos ou aux champs, la femme nord-coréenne, une travailleuse aux idéaux "social-révolutionnaires"

Une fois adultes, quel est le rôle des femmes dans la société : sont-elles actives professionnellement, ou cantonnées à la cellule familiale ?

À la ville et à la campagne il y a le même souci d'un contrôle social sur cette petite cellule de la société que présente la famille et qui doit s'intégrer aux idéaux du régime, aux idéaux "social-révolutionnaires" du régime.

La femme doit être une travailleuse, et on la trouve aussi bien dans des bureaux dans l'environnement médical, qu’aux labeur dans les champs. Les femmes ont des activités professionnelles, elles ne sont pas circonscrites par obligation au foyer domestique et assignées à faire des enfants, même s'il y a un réel souci en ce qui concerne le taux de natalité, qui est au moins aussi bas que celui de Corée du Sud. Il y a un certain conformisme social où la femme est un travailleur et la femme a des devoirs idéologiques.

En ce qui concerne l’éducation des enfants, la femme nord-coréenne est enfermée dans une norme politique et sociale qui est typique au régime, avec une absence de liberté publique. L’éducation des enfants se fait selon certaines normes, et il faut y rajouter une norme sociétale qui est celle d'une société patriarcale, qui inclut notamment les mariages arrangés.

Comme en Corée du Sud, comme en Chine, être célibataire et avoir 30 ans est ainsi très mal vu, être célibataire trop tard cache quelque chose et c'est une gêne pour la famille : il faut se conformer à un modèle familial qui n’est peut-être pas propre au régime, mais propre à une société asiatique patriarcale.

En fait, la femme est tiraillée entre la maîtresse de maison et la travailleuse, elle participe au renouvellement de la famille et à la production nationale de richesses, tout ça au service de l'idéologie et du régime.

Les femmes sont présentées par le régime comme des travailleuses, au service de l'économie nationale. ©Marianne Péron-Doise

Pendant les discours officiels et les cérémonies, le régime nord-coréen montre des femmes autour du leader : l’image de la femme est importante pour la propagande officielle ?

La propagande du régime a construit des images très différentes de la femme coréenne, selon les étapes de l'histoire du pays.

Au moment de la construction du régime, un petit peu avant la guerre de Corée et encore plus après la guerre de Corée, vous avez la la femme combattante, la femme héroïque. Un ensemble d'affiches montrent des femmes en uniforme, des femme guerrières telles que l'Union soviétique pouvait aussi en montrer après la Seconde Guerre mondiale.

Durant la construction du régime post-guerre de Corée, apparaissent les images de la femme socialiste, la travailleuse. Employée dans l'Éducation, elle concourt à éveiller les esprits, toujours à la gloire du régime. Aux champs ou dans les usines, elle participe au développement économique du pays : il y a eu quand même un développement industriel qui était assez réussi dans les premières années post-guerre de Corée, puis qui a périclité à la suite d'erreurs du régime. Il y a aussi cette image de la mère socialiste qui doit faire des enfants pour la patrie et les éduquer avec une certaine forme de dévotion au régime.

Vous avez beaucoup de célébrations autour des femmes dans le régime : vous avez notamment la journée de la femme qui est largement célébrée, et la journée des mères.

Plus récemment, a émergé une autre image publique, mise en place par le leader actuel, qui a mis en scène sa sœur et sa fille dans un cadre politique et géopolitique. Il instaure une certaine forme de modernité dans cette image de la femme, sans doute parce qu’il a compris un certain nombre d'évolutions sociales et il essaie de travailler sur une forme d'adhésion des populations, et en particulier l'adhésion des femmes. Il veut leur montrer qu'elles peuvent avoir accès au pouvoir.

D’ailleurs dans les grandes assemblées populaires, on voit des membres du Parti des Travailleurs en uniforme, mais aussi des femmes, et on ne peut pas dire qu'elles sont en minorité, vêtues de la tenue traditionnelle colorée coréenne, le hanbok. Donc on voit la superposition de plusieurs images de la femme par le régime, on se sert véritablement d'elles comme un relais du régime.

Avant le travail, les femmes répètent des chansons pro-régime dans les rues.  ©Marianne Péron-Doise

Kim Yo-Jong, sœur de Kim Jong-Un, un jour en poste ?

Elles ont donc une image politique, mais peuvent-elles vraiment, à l’instar de la sœur de Kim Jong-Un, Kim Yo-Jong, accéder à la fonction politique ?

Dans la haute fonction publique nord-coréennes, il n’y a pas beaucoup de femmes de pouvoir. La visibilité de la sœur de Kim Jong-Un, Kim Yo-Jong, n'est pas révélatrice d'un accès des femmes à des hauts postes de responsabilités en Corée du Nord. L'inverse aurait été très surprenant.

Il est toutefois intéressant de noter que Kim Yo-Jong a un rôle politique important. Elle a eu un langage très virulent après que Kim Jong-Un ait échoué à obtenir de Donald Trump un allègement des sanctions contre la Corée du Nord 2019. La population a bien compris qu'elle ne verrait pas arriver plus de nourriture, qu’elle n'aurait pas d'engrais, qu'elle n'aurait pas plus de médicaments, donc la soeur est passée à l'offensive pour faire oublier ce que la population aurait pu comprendre comme un échec du leader.

Elle a été missionnée pour cacher l'échec diplomatique et politique de son frère, en ayant un langage très accusateur et très violent vis-à-vis de la "perfidie" des États-Unis et de la "perfidie" de la Corée du Sud, reprenant un narratif traditionnel sur une Corée du Sud qui serait aux ordres des États-Unis etc. C’est un rôle très important.

Le Daily NK, avec le soutien de l'ambassade du Canada en République de Corée, a mené une enquête auprès de 40 femmes nord-coréennes à l'intérieur et à l’extérieur du pays : elles relatent des faits de violences sexuelles et de chantage sexuel par des fonctionnaires. Est-ce un phénomène que vous avez pu constater ?

Vous êtes dans un régime corrompu où il n’y a pas beaucoup de transparence, de surveillance et où vous avez effectivement des personnes en situation de pouvoir qui peuvent abuser des femmes en leur demandant des faveurs. Le régime, par définition, ne protège pas les individus puisqu’en Corée du Nord on manque de tout, donc comment obtenir certaines choses si ce n'est par la corruption, par le petit billet ou les faveurs que l'on sollicite et que l'on consent ?

Il y a beaucoup de cas documentés sur cette nouvelle catégorie sociale des "femmes entrepreneures" en Corée du Nord : des femmes autorisées à avoir quelques activités commerçantes, et qui ont donc besoin d’obtenir certaines autorisations.

Dans ces cas-là, elles font face au bon vouloir de certains fonctionnaires, que ce soit de police ou des autres fonctions publiques, et sont vulnérables. Toutefois c’est une société patriarcale et ces femmes ont des maris, des pères à leurs côtés, donc je ne sais pas si c'est quelque chose qui est systémique dans la société nord-coréenne.

Quel est le sort des femmes qui fuient le pays ?

Il y a encore d’autres problématiques qui attendent les femmes qui fuient, je pense notamment au trafic de femmes à la frontière avec la Chine. De l’autre côté des barbelés, il y a des paysans chinois qui ne trouvent pas d’épouses, et il est donc très fréquent chez eux de se marier à une femme nord-coréenne réfugiée dans le besoin, d'avoir des enfants avec elle, sans qu'elle ait elle-même de statut.

Elle n’obtiendra jamais la nationalité chinoise, et un retour dans son pays serait synonyme de camp de travail. Elle reste dans une situation de précarité, avec le sentiment de s'être "prostituée" en échange d'une vie meilleure et en échange d'une protection.

Donc effectivement la situation des femmes nord-coréennes, elle n’est pas très engageante si on considère qu’à l’intérieur du pays ou une fois dehors, elles sont parfois obligées de monnayer leur corps pour obtenir des autorisations de commercer, un permis de conduire ou alors pour assurer leur survie une fois en Chine.

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