Soudain, la mode n'a d'yeux que pour les tongs
Oublié, le grand luxe : cet été, il suffira de deux brides et une semelle pour se chausser. La tong, icône populaire, démontre aujourd'hui qu’il n’y a qu’un pas entre Ipanema et la Fashion Week. Voici comment elle l’a franchi.
Ces derniers mois, deux paires de chaussures ultra pointures se sont disputé nos faveurs sans relâche. L’une, ballerine, est née de l’esprit de Pieter Mulier chez Alaïa. L’autre, Tabi, est le fruit de l’imagination du légendaire Martin Margiela. Et pourtant, à l’arrivée (timide, certes) des beaux jours, tout porte à croire que cette hégémonie de la chaussure de luxe touche à sa fin. Sur TikTok, pas une vidéo qui dicte les hits de l’été n’écarte… les tongs. En cuir ou même à talon compensé chez Phoebe Philo, mais surtout dans sa forme la plus simple, en plastique passe-partout et aux couleurs brésiliennes, le soulier de plage a acquis une légitimité en dehors des lieux de villégiature. Il s’est même fait une réputation en ville et aux abords des défilés.
La tong, “statement de style”
Quand on parle de tongs, tous les regards convergent vers Sophie Fontanel. La journaliste et personnalité des réseaux sociaux est celle qui a le plus prôné la sandale dans son quotidien parisien. Et pas n’importe lequel : des fashion weeks aux évènements de la mode, Sophie Fontanel a trainé ses semelles dans les lieux huppés depuis l’été 2018. “La première fois que j'avais échangé avec elle, elle m’a fait comprendre que la tong est d'autant plus intéressante et chic quand elle est portée avec autre chose que des vêtements de plage” se souvient Laure Martinez, Brand director Europe Havaianas. Par la suite, la journaliste est devenue une collaboratrice de la marque, et a animé une conférence nommée l’Élégance de la tong au Bon Marché pour prêcher la bonne parole. Avec des chemisiers blancs, de longues jupes ou un pantalon à pinces, la tong est apparue à sa communauté comme une alternative tout à fait forteresse. Mais comment est-on passé de la simple illustration à l’adoption ?
“Elle fait partie de ces pièces qui ont un langage esthétique sans équivoque” pose Dinah Sultan, styliste tendance au cabinet de prospective Peclers. Habitant l’imaginaire de tous, la chaussure est un de ces classiques bien identifiés, avec lesquels il est facile de se projeter. D’autant que, versatile, elle répond à l’exigence de fonctionnalité de l’époque, comme à une envie d’épurer les silhouettes. Une thèse corroborée par Laure Martinez de Havaianas : “Porter des tongs, c'est un statement de style. On se rend compte qu'on veut retourner à la simplicité des lignes, et Havaianas, en étant une marque démocratique, est l'incarnation de ça”. “En fait, il n'y a pas de jugement sur ce type de produit, c'est aussi pour ça qu’il attire. C'est d'une facilité déconcertante et en même temps c'est mode, ça restera toujours mode” renchérit Dinah Sultan. Une identité qui est en fait inscrite dans l’histoire de cette tong en France.
Rio-Paris : un aller simple
Des tongs à la Fashion Week ? L’image est loin d’être nouvelle en réalité. La première apparition des Havaianas sur un podium remonte à 30 ans, en 1999. Jean Paul Gaultier en avait chaussé ses mannequins pour un défilé. La tong avait débarqué du Brésil l’année précédente, dans le sillage de la Coupe du Monde : l’entreprise avait créé le modèle “Brésil Logo”, orné du drapeau vert et jaune, pour l’occasion. Chantal Barra a été la première personne à distribuer les paires dans l’Hexagone, gratuitement dans la rue. L’une d’elles tombe entre les mains d’une assistante de Jean Paul Gaultier qui s’en empare sans tarder. Au même moment, sur le marché américain, Michael Kors s’y intéresse lui aussi. En France, la paire devient un souvenir qui se ramène du Brésil, et se pare d’exclusivité.
À l’origine, rien ne destinait ces tongs en plastique à courtiser les sphères du luxe. Pourtant, la forme aurait déjà séduit la chicissime Jackie O qui, dans les 50’s, aurait collectionné les paires griffées Bernardo. Du côté du Brésil, l’intention est populaire.“Elles répondaient à la volonté d’Alpargatas de créer une chaussure pour tous les Brésiliens. Une chaussure qui s'adapte aussi à la météo, c'est-à-dire ouverte, confortable, abordable. Un des cadres de l’entreprise s'est rendu à Hawaï par hasard et a fait la rencontre de la zori japonaise” raconte la Brand director Europe Havaianas. Naissent, en 1962, les Havaianas, du nom de Hawaï en portugais. Aujourd’hui encore, les modèles classiques portent les marques de ces origines nipponnes, des pointillés sur les brides clin d’œil au riz, dont la paille constitue les semelles sur le modèle traditionnel de l’île.
Bien consciente de son aura cool, la marque multiplie les ponts avec le luxe à travers des collaborations avec Valentino, Missoni…“Généralement, ce sont les autres marques qui viennent à nous” se félicite Laure Martinez de Havaianas. C’est le cas de Saint Laurent, dont les collaborations s’arrachent. Ce printemps, Dolce & Gabbana se prête au jeu avec des modèles promis à un grand succès. Les puristes, eux, n’ont d’yeux que pour les modèles intemporels : la “Brasil logo” qui attise la microtendance Brasilcore, la Slim, plus élancée, ou encore la Top. Reste à savoir quels modèles grimperont sur les podiums et quels autres envahiront les street styles.