Nouvelle-Calédonie : « Jamais les revendications n’avaient été aussi extrêmes »
Dix jours après les émeutes meurtrières qui ont embrasé la Nouvelle-Calédonie, les habitants continuent de vivre avec la boule au ventre et espèrent beaucoup de la visite d’Emmanuel Macron. Une Nouméenne de 31 ans s’est confiée à Paris Match.
Nouvelle-Calédonie : « Jamais les revendications n’avaient été aussi extrêmes »
Après une vie à voyager à travers le monde, les parents de Marie (prénom d’emprunt), originaires d’Espagne et de France métropolitaine, ont posé leurs valises en Nouvelle-Calédonie en 1995. La fillette a grandi sur l’île, y a fait ses études et y possède désormais son propre appartement et son entreprise. Elle était seule chez elle, à Nouméa, au moment où des émeutes ont éclaté, dans la nuit du 13 au 14 mai.
Comment avez-vous vécu cette première nuit d’émeutes ?
J’ai découvert les dégâts le lendemain matin en me réveillant et je ne m’y attendais pas du tout. Face au chaos dans mon quartier, j’ai fait mes affaires en urgence et je suis partie rejoindre mes parents, qui vivent un peu plus au sud de l’île. Je ne voulais surtout pas rester toute seule. D’autant qu’on ne savait pas comment la situation allait évoluer et que la police a été débordée en raison d’un manque d’effectifs.
Faute de policiers suffisants, la population s’organise
Comment a-t-elle évolué justement cette situation, d’après vous qui êtes sur place ?
Dans certains quartiers, plutôt au nord de Nouméa et dans les quartiers modestes ou défavorisés, les émeutiers continuent de bombarder et de terroriser la population, qui est dans une incompréhension totale. Cela s’est néanmoins un peu calmé, notamment parce que des groupes de voisins se sont formés et ensemble, ils s’organisent pour protéger leur quartier.
À chaque croisement de rues, des barrages filtrent désormais le passage et les gens se relaient pour faire face en cas d’attaque de la part d’émeutiers. Même si eux sont simplement armés de volets, de branchages, de chaises longues et de ce qu’ils trouvent… La bonne nouvelle, c’est que petit à petit, les policiers commencent à arriver sur l’île et viennent prendre le relais.
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Globalement, les habitants sont toutefois retournés au temps du confinement et restent barricadés chez eux. Les quelques magasins qui n’ont pas été détruits ouvrent à des heures particulières, il faut parfois attendre 3 heures pour rentrer et ensuite, ils imposent des règles très strictes, comme le fait de ne pas rester plus de 20 minutes et de ne pas prendre plus d’un certain nombre d’aliments par personne, pour pallier les pénuries.
En revanche, dans le sud de Nouméa et sur les baies, à 20 minutes de là où ça pète, la situation est très stable. On y vit un peu dans un monde parallèle, avec des boutiques qui ont rouvert et des enfants qui peuvent aller au parc.
Une population divisée par des clichés
Ces émeutes ont éclaté au moment où les députés débattaient à l’Assemblée d’un projet de loi réformant le droit de vote en Nouvelle-Calédonie. En tant qu’habitante de l’île, aviez-vous senti la colère monter ?
Il y avait eu quelques heurts la veille, mais rien d’inhabituel. Depuis 2018 et le premier référendum d’indépendance, il y a souvent des mouvements de contestation assez violents. Dans l’inconscient calédonien, nous avons toujours su que ça pouvait péter un jour. Nous vivons vraiment avec cette menace depuis plusieurs années. Mais jamais les revendications n’avaient été aussi extrêmes et à aucun moment, nous nous sommes dits « Ça va être cette semaine ».
Est-ce que vous avez le sentiment qu’aujourd’hui la colère des émeutiers est dirigée vers une certaine partie de la population, notamment les « Caldoches » (terme qui s’oppose aux Kanaks, la population autochtone mélanésienne) ?
Je ne pense pas, non. D’ailleurs, ce ne sont pas les quartiers dans lesquels la population non-mélanésienne vit qui sont visés par les émeutiers. Vous savez, au quotidien, on se moque des opinions politiques des uns et des autres. Kanaks et Caldoches de ma génération, nous avons grandi ensemble, été à l’école ensemble et aujourd’hui, on vit ensemble, on rit ensemble…
Kanaks et Caldoches de ma génération, nous avons grandi ensemble, été à l’école ensemble et aujourd’hui, on vit ensemble, on rit ensemble…
Une habitante de Nouméa
Malheureusement, les événements actuels nous divisent, car il y a un amalgame qui est fait entre la revendication pacifiste de l’indépendance et l’extrémisme revendiqué par certains aujourd’hui. Je pense d’ailleurs que la colère qui s’exprime aujourd’hui n’est pas directement liée à cette réforme, c’était juste la goutte d’eau ou l’occasion d’agir pour une certaine partie des indépendantistes que je qualifie d’extrémistes. Pour moi, les émeutiers sont des terroristes, pas de simples indépendantistes.
Une aspiration à plus de démocratie
Emmanuel Macron vient d’atterrir en Nouvelle-Calédonie. Attendez-vous quelque chose de sa venue sur l’île ?
Oui, que tout s’arrête. Le problème, c’est que les émeutiers ne s’arrêteront que s’ils obtiennent ce qu’ils veulent c’est-à-dire un retrait du projet de loi de « dégel du corps électoral ». Mais se plier à cette revendication en temps de crise, c’est se plier à la terreur. Et à chaque fois que les extrémistes ne seront pas d’accord avec une loi ou un projet de réforme, ils vont recommencer et nous ne pourrons jamais vivre en démocratie alors que nous sommes en France.
Je sais que l’équation est difficile à résoudre, mais il faut que le gouvernement trouve une solution parce qu’entre les difficultés économiques et maintenant la violence, les Calédoniens sont désormais nombreux à vouloir quitter l’île. Et j’en fais partie : ce n’est pas possible d’élever ses enfants dans la peur.
Dans les quartiers, la solidarité s’organise
Dans le quartier de la Vallée-des-Colons, à Nouméa, les nombreux artistes locaux se mobilisent pour permettre aux habitants de se changer les idées et « apporter un peu de joie aux enfants ».
Laura, une professeure de danse, explique ainsi qu’avec sa maman, elles proposent des initiations aux enfants. Sa mère propose aussi des cours de Pilate dans son jardin et son beau-père, magicien renommé localement, a improvisé des spectacles dans leur jardin et des initiations à la sculpture de ballons sur leur terrasse. Vendredi, il proposera également aux étudiants bloqués à Nouméa une parenthèse divertissante et se rendra dans des quartiers plus « chauds » pour offrir un peu de sa magie aux personnes les plus durement touchées.
Dans ce même quartier, une maîtresse propose aux plus jeunes des cours un peu particuliers pour pallier la fermeture des écoles et un musicien des cours de chants. En retour, les habitants font des gâteaux ou ramènent des fruits de leur jardin pour les partager avec leurs voisins. Et une fois la nuit tombée, ils vont sur les barrages apporter café et soutien aux habitants mobilisés pour défendre leur quartier.