Hervé Di Rosa : « Je vois le temps passer et se rétrécir devant moi »
Hervé Di Rosa : « Je vois le temps passer et se rétrécir devant moi »
D'un côté, Laurent Ferrier. Un horloger apprécié et connu des puristes en quête de montres simples, luxueuses et hautement techniques à l'instar de ses boîtiers galbés dont les lignes rappellent celles d'un galet poli ou de ses cadrans à la configuration minimaliste et raffinée. Autrement dit, le luxe discret dans toute sa splendeur. De l'autre, Hervé Di Rosa. Cet artiste, qui a récemment fait son entrée à l'Académie des beaux-arts (aux côtés notamment de Gérard Garouste, Fabrice Hyber et Ernest Pignon-Ernest) est actuellement à l'honneur au Centre Pompidou avec l'exposition « Hervé Di Rosa, le passe-mondes » (jusqu'au 26 août prochain).
Laurent Ferrier et Hervé Di Rosa © DR
Laurent Ferrier et Hervé Di Rosa © DRÀ LIRE AUSSI Laurent Ferrier, l'horloger des initiés
Une histoire d'amitié
Celle-ci est la première rétrospective du Sétois de 64 ans (dont le nom circule pour la réalisation des nouveaux vitraux de la cathédrale Notre-Dame de Paris) dans une institution muséale publique française à Paris depuis près de 40 ans. Collectionneur compulsif, grand globe-trotteur et fondateur à Sète du Miam, le Musée international des arts modestes (où l'exposition « Beau/Bad/Ugly. L'autre histoire de la peinture », court jusqu'en mars 2025), Hervé Di Rosa, qui se définit comme un artiste « punk », est l'un des pères de la Figuration Libre (un nom trouvé par l'artiste Ben, décédé le 5 juin dernier) avec ses camarades Rémi Blanchard, François Boisrond ou Robert Combas. Un mouvement anticonformiste qui, dans les années 1980, s'est écarté des codes de la peinture traditionnelle pour retourner à une figuration inspirée de la culture populaire, notamment la bande dessinée.
Le bas-relief sur bois d'Iroko et réalisé en 2014 à Foumban qui a inspiré la montre Laurent Ferrier © DR
Le bas-relief sur bois d'Iroko et réalisé en 2014 à Foumban qui a inspiré la montre Laurent Ferrier © DR
Ainsi, quid du rapport entre l'univers esthétique épuré de Laurent Ferrier et l'oeuvre rock 'n' roll, vivement colorée et déjantée d'Hervé Di Rosa ? L'amitié, évidemment. Les deux compères ont alors mis sur pied un projet un peu fou : celui de réaliser une montre à quatre mains. L'idée derrière cette association inédite ? « Offrir une cure de jouvence fantaisiste à notre modèle phare, le Classic Micro-Rotor à échappement naturel, qui conserve cependant ce minimalisme et cette sobriété caractérisant le travail de nos cadrans », confie Laurent Ferrier. Hervé Di Rosa lui, a fait un tour du monde artistique afin d'apprendre de nouveaux savoir-faire. L'artiste est passé par Sofia, Lisbonne, le Vietnam, La Havane, le Mexique, la Floride, l'Andalousie, le Ghana, l'Éthiopie ou encore le Cameroun, plus précisément à Foumban. C'est ici qu'il a perfectionné et appris avec les artisans locaux, la sculpture du bois, une technique que l'on retrouve sur la pièce Micro-Rotor Classique « Di Rosa ».
Hervé Di Rosa, iDirosapocalypse, /i1984 © DR
Hervé Di Rosa, Dirosapocalypse, 1984 © DR
Ultra-exclusive puisque limitée à cinq exemplaires, cette oeuvre d'art pour poignet est issue d'un bas-relief sur bois d'Iroko réalisé en 2014 à Foumban, lui-même inspiré de Dirosapocalypse, une peinture exécutée en 1984 par Di Rosa. On y aperçoit « Ah ! Ah ! Ah ! », l'un de ses personnages tirés de son univers mythologique de la « Diromythologie », qui serait le maître du temps et se reproduirait à travers l'éternité. On retrouve « Ah ! Ah ! Ah ! » sur le cadran à la tonalité anthracite entièrement gravé à la main et façonné en or blanc 18 carats avec des finissions mates et brillantes. Ses douze bras forment ici les index tandis que l'heure est indiquée par des aiguilles Sagaies en or blanc, une signature Laurent Ferrier. Le tout est logé dans une boîte ronde en acier de 40 mm et animé par le mouvement automatique à micro-rotor iconique de la maison, comportant l'échappement naturel de Laurent Ferrier. Un garde-temps que Le Point Montres a pu observer en compagnie d'Hervé Di Rosa lors d'une rencontre au sein de son atelier parisien au sol moucheté de peinture à l'image de ses chaussures et aux murs remplis de figurines, comics, céramiques et livres d'art.
Laurent Ferrier Micro-Rotor Classique « Di Rosa » © Antoine_Martin
Laurent Ferrier Micro-Rotor Classique « Di Rosa » © Antoine_MartinÀ LIRE AUSSI Une semaine avec la Laurent Ferrier Galet Square
Le Point : Comment avez-vous découvert les images qui peuplent aujourd'hui votre oeuvre ?
Hervé Di Rosa : Dans les années 1970 à Sète, nous étions, moi-même et ma famille, éloignés des musées et de toute forme de culture. Enfant, je n'aimais pas sortir dehors, aller jouer au foot avec les copains. Ma respiration à moi, et ce, dès mes huit ans, ce fut de lire et de dessiner. Chaque semaine, j'allais ainsi acheter au marchand de journaux du quartier, des exemplaires des magazines Pilote et Spirou ou Le Journal de Tintin. J'ai eu la chance de vivre et d'assister à la transformation de la bande dessinée avec l'arrivée de ces périodiques, des séries et d'auteurs comme Hugo Pratt ou Jean-Claude Forest avant la période punk et le collectif Bazooka. Le monde de l'illustration m'a énormément porté. C'est par lui que s'est opéré ma découverte des images. Puis à la fin des années 1970, à Paris, j'ai découvert le Centre Pompidou qui avait récemment ouvert. J'y ai découvert des oeuvres, en vrai, comme les collages de Matisse. Tout cela m'a poussé jusqu'à être l'artiste que je suis.
Être aujourd'hui exposé dans un musée où vous avez découvert l'art. Une consécration ?
Ma dernière rétrospective dans un musée à Paris remonte à la fin des années 1980. De plus, cette exposition du Centre Pompidou aurait dû avoir lieu il y a dix ans. C'est donc, en effet, une petite consécration pour moi. Je suis très satisfait du travail que nous avons fait avec Michel Gauthier, conservateur au musée et commissaire de l'exposition. L'important, c'est que le public ne s'y ennuie pas. L'ensemble composé d'une trentaine de pièces offre un très bel aperçu de mon tour du monde artistique et de mon univers. J'avais à coeur de montrer que cet univers n'est pas fait de ce qu'on nomme génériquement de la peinture. La Figuration Libre, les arts modestes, j'appelle ça des images peintes. Ce sont mes racines.
Les douze bras du personnage forment ici les index tandis que l'heure est indiquée par des aiguilles Sagaies en or blanc, une signature Laurent Ferrier © Laurent Ferrier
Les douze bras du personnage forment ici les index tandis que l'heure est indiquée par des aiguilles Sagaies en or blanc, une signature Laurent Ferrier © Laurent Ferrier
Peindre, c'est combattre l'ennui selon vous ?
Je n'ai jamais eu le temps de m'ennuyer, pas une seconde. Peindre ou dessiner, c'est ce que je fais depuis mes huit ou dix ans. J'ai toujours fait ça en réalité. C'est une manière d'être et de rester vivant.
Est-ce l'une de vos craintes ?
Ma peur est que le fil se brisé, que ça n'intéresse plus ou ne pas pouvoir terminer ce que j'ai entrepris. Mais à vrai dire, j'ai toujours fait les choses avec intuition sans réelle stratégie et ça a fonctionné jusqu'à maintenant. L'important est de rester présent.
Le cadran à la tonalité anthracite a été entièrement gravé à la main et façonné en or blanc 18 carats avec des finissions mates et brillantes © Antoine_Martin
Le cadran à la tonalité anthracite a été entièrement gravé à la main et façonné en or blanc 18 carats avec des finissions mates et brillantes © Antoine_Martin
Justement, quel est votre rapport au temps ?
Dans mon art, il y a toujours eu une notion de temporalité et de narration à travers des oeuvres en plusieurs parties dans lesquelles le temps se découpe en de multiples moments. Personnellement, le temps a toujours été retenu par rapport à mon enfance. En fait, je suis resté adolescent jusqu'à mes 60 ans. Aujourd'hui, et encore davantage avec la montre de Laurent au poignet (Laurent Ferrier, NDLR), je vois le temps passer et se rétrécir devant moi.
Enfin, quels ont été les principaux défis de cette montre réalisée avec votre ami Laurent Ferrier ?
Ce fut très complexe à dessiner. Cela nous a pris plusieurs années, notamment le cadran avec sa couleur spécifique et les reflets de la gravure. Le résultat est surprenant et très satisfaisant. Finalement, cette collaboration entre dans mon tour du monde. Passer du Cameroun à la Suisse afin de découvrir l'artisanat horloger. C'est tout à fait dans la continuité de ma pratique.