Suicides en prépa : « Les élèves sont souvent confrontés à leur premier échec scolaire en arrivant »
Les étudiants de prépa sont souvent confrontés à leur premier échec en arrivant dans le supérieur. (Illustration) Getty
Ils sont souvent vus comme les étudiants les plus privilégiés. Pendant la pandémie, ils comptaient parmi les seuls à avoir cours en présentiel. Les élèves de classe prépa (CPGE), ces étudiants en « filières d’élite », ne sont pas logés à la même enseigne que les autres.
Et pour cause : l’État investit 6 000 euros de plus pour un élève en CPGE que pour un étudiant à l’université. Chanceux, certes. Il n’en demeure pas moins que les classes prépas comptent parmi les trois filières du supérieur les plus touchées par la détresse psychologique. Si l’encadrement pédagogique est plus important en CPGE qu’à l’université, le suivi psychologique n’y est, quant à lui, que peu développé pour ces jeunes sur lesquels pèse une pression académique d’autant plus forte.
Selon le rapport 2023 de l’Observatoire de la vie étudiante, après les étudiants à l’université, ceux qui souffrent de détresse psychologique sont inscrits en prépa, suivis des étudiants des élèves en école d’ingénieur, puis en école de commerce.
« Nous évoquons le cas de certains étudiants, mais nous n’avons pas de réunion santé mentale »
La santé des élèves de prépa est censée être prise en charge par le centre universitaire auquel les élèves sont inscrits en parallèle. « Sauf que la plupart n’ont jamais mis un pied dans leur fac » pointe le Dr Monchablon, ancienne cheffe de service du Relais Étudiants Lycéens. Et au sein des lycées qui hébergent les CPGE, le personnel médical n’a pas pour mission de s’occuper des prépas.
Angle mort du rectorat, le suivi psychologique dépend fortement des proviseurs des établissements eux-mêmes. Sans aucune obligation, les lycées ont « la possibilité de faire une convention pour une prestation spécifique en santé mentale » précise le ministère de l’Enseignement supérieur.
Les établissements font tout de même de plus en plus appel à des professionnels de santé dédiés aux prépas notamment depuis les affaires de suicide survenus ces dernières années : un drame à Janson de Sailly en 2019 ou encore un autre au lycée Hoche de Versailles en 2018.
Mais les équipes pédagogiques peinent encore à aborder le sujet. « Nous évoquons le cas de certains étudiants, mais nous n’avons pas de réunion santé mentale en interne » affirme Julien Luis, responsable syndical des classes prépas au Snes-FSU. À cela s’ajoute l’hostilité à l’égard de la psychologie. « La plupart des professeurs de mon établissement détestent ça et ne se remettent jamais en question. Pour eux, tout cela relève de la vie privée » confie une professeure de philosophie.
Une culture doloriste
Pourtant, 75 % des troubles psychiatriques se déclarent avant 25 ans. « Les programmes sont très lourds, les professeurs savent qu’ils risquent d’en laisser certains sur le côté » explique Julien Luis. Or, sans prise en charge, « les jeunes restent fragiles et les mêmes vulnérabilités sont réactivées plus tard dans leur parcours professionnel », avertit le Dr Monchablon.
La prof m’a dit que c’était n’importe quoi
Claire, étudiante en prépa
Des « Avez-vous déjà ouvert un livre d’histoire ? » en remarque annexe d’une dissertation, des rendus de copies par ordre croissant, c’est commun en CPGE. « Ça fait partie de la culture doloriste de la classe prépa » témoigne Anna, une ancienne khâgneuse. Que « les capacités cognitives soient entachées par des problèmes de santé mentale », cela reste donc difficile à introduire dans les établissements conclut le Dr Monchablon.
Pour Claire*, cette pédagogie élitiste n’a pas porté ses fruits. L’étudiante a été diagnostiquée autiste lors de sa première année en prépa fin 2019. Son trouble s’est déclenché après « un effondrement narcissique » : « Les élèves sont souvent confrontés à leur premier échec scolaire en arrivant » explique le Dr Martin*, spécialiste des suicides en prépa.
Claire était dernière du classement en géographie. Elle travaillait pourtant tous les soirs, même pendant les vacances d’été. Lors d’un oral, elle a dû improviser sur la production de champagne en France. « La prof m’a dit que c’était n’importe quoi ». Une heure après, elle a tenté de mettre fin à ses jours.
« Des rats de bibliothèque »
Le problème n’est pas toujours la pression, mais aussi la place que prend le travail dans la vie des étudiants. « Ce sont des rats de bibliothèque, s’ils décrochent ne serait-ce qu’un peu, ils se retrouvent face à un vide existentiel qu’ils tentent de combler par des passages à l’acte violents et impulsifs », déclare le Dr Martin.
Son vide existentiel, Charles*, ancien élève de prépa, a tenté de le remplir en sautant du 6e étage de sa chambre étudiante en février 2021. Le Versaillais assure qu’il avait pourtant tous les codes pour réussir. « Je ne trouvais pas ça intéressant, travailler autant et me remplir le cerveau avec un programme scolaire que je n’avais pas choisi… Ce n’était finalement pas pour moi ».
Dans une CPGE parisienne, après le suicide d’un élève fin 2020, l’accompagnement psychologique n’a pas été jugé suffisamment adapté pour de nombreux étudiants qui se sentaient délaissés par les professeurs. La déconnexion de certains enseignants a interpellé Jonathan, délégué de classe : « Les professeurs nous ont fait plancher sur un texte qui parlait du suicide d’un homme noir alors que Paul* était noir ». En guise d’explication, les enseignants ont rédigé un mail : « Nous étions tout entier focalisés sur un choix optimal de texte postcolonial à dimension tragique, linguistiquement intéressant et à forte charge politique, ce qui a pu passer pour de l’insensibilité ».
Une réponse que, Margot*, camarade de classe de Jonathan*, explique par un manque de formation des professeurs de prépa sur la santé mentale. « Deux jours de cellule d’écoute après un tel drame, ce n’est pas suffisant » regrette-t-elle.
(* Les prénoms ont été modifiés)