Tour de France 2024. « L’héroïsme discret » de Gino Bartali, à qui la première étape rend hommage
Gino Bartali dans les Pyrénées, lors de la onzième étape du Tour de France 1950.
Dans la réédition de son livre Un vélo contre la barbarie nazie, l’écrivain Alberto Toscano délivre deux nouveaux témoignages sur les actions héroïques de Gino Bartali. Au départ de Florence, sur les terres du champion, la première étape du Tour de France 2024 rend hommage, samedi 29 juin, au double vainqueur de la Grande Boucle. Autrefois mobilisé sur son vélo, et sans jamais l’avoir clamé a posteriori, pour sauver des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Avec plus de 3.500 m de dénivelé et sept cols répertoriés, le Tour de France prendra de la hauteur comme jamais sur une première étape. Cette entame de 206 kilomètres, entre Florence et Rimini, s’approchera du ciel et tutoiera les cieux en rendant hommage à Gino « le Pieux » Bartali, double vainqueur de la Grande Boucle (1938 et 1948).
Symboliquement, le peloton donnera quelques-uns de ses premiers coups de pédale à Ponte A Ema, là où le Florentin a poussé son premier cri. C’est là, aussi, dans ce village, qu’un musée retrace la carrière du coureur, vainqueur aussi de trois Tours d’Italie (1936, 1937, 1946). Et, au-delà, son « héroïsme discret » pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dans son livre Un vélo contre la barbarie nazie, Alberto Toscano partage le destin d’exception de Gino Bartali, mettant à profit son talent pour acheminer des faux papiers dans plusieurs régions italiennes. L’écrivain italien raconte comment le biclou a pu devenir le moyen, pour un champion, d’accomplir un tel geste d’humanité. « Il y a des moments où le sport fait l’Histoire et il y a des athlètes qui gagnent bien plus que des médailles », débute ainsi le bouquin. Gino a fait le bien, sans le dire. Mais il a fallu attendre la fin du siècle, et celle de sa vie, pour que filtrent ses actions au sujet de sa présence dans le réseau d’aide aux persécutés.
Photos et magazines d’archives sur Gino Bartali, l’un des plus grands cyclistes italien de l’histoire. Un musée lui est consacré, à Ponte A Ema, près de Florence où s’élancera le Tour de France 2024.
La confidence de sa fille
«Â Un homme d’affaires m’a fait parvenir une lettre pour me raconter l’histoire de son amitié avec Bartali. Leur amitié remonte à la période 1980-1990 où il était en Italie à la tête d’une compagnie d’assurance pour laquelle travaillait Andrea Bartali, le fils aîné du champion », explique Alberto Toscano.
«Â L’homme d’affaires, qui a hébergé à plusieurs reprises Gino en France, me dit avoir eu de lui une confidence très privée et personnelle. Gino lui a parlé de « missions secrètes » effectuées à vélo pendant la guerre, mais jamais de ce qu’il a fait pour sauver les juifs en danger. » Les aveux mentionnent un rôle d’agent de liaison entre les milieux toscans de la Résistance et le Vatican. « Il lui a précisé qu’en effectuant ces missions, il cachait des documents réservés à l’intérieur de son vélo de course, qu’il utilisait sous prétexte d’entraînement. »
Bianca Maria, fille de Gino, a également délivré, à Alberto Toscano en personne, un témoignage à partir d’un épisode qui remonte à la moitié des années 1960. « Elle m’a dit « J’avais peut-être 8 ou 10 ans, quand j’étais seule avec mon père qui m’a dit : « Il y a eu une époque où j’ai sauvé la vie de beaucoup de personnes ! » Bianca reconnaît alors avoir compris, que des années plus tard, la signification de cette phrase. « Ensuite mon père a répété des mots qu’il prononçait souvent : « On fait le bien, mais on n’en parle pas. » À part à ce moment-là, son père, décédé en 2000 à 85 ans, ne lui a plus jamais parlé des personnes dont il avait contribué à sauver la vie pendant la Seconde Guerre mondiale.
«Ã‚ Il a incarné la réconciliation franco-italienne en gagnant le Tour 1948 »
«Â Gino savait que si on avait révélé sa présence dans les troupes de la Résistance, tout le monde aurait focalisé son attention sur lui. Il ne voulait faire d’ombre à personne », explique Alberto Toscano. « Il n’était qu’une partie d’une grande machine de la Résistance. Le rôle de Gino a été grand et petit. Grand, parce que chaque membre du réseau risquait sa vie. Petit, parce que personne ne devait être irremplaçable. Et lorsqu’il est question des 800 personnes sauvées par Gino Bartali, il s’agit des personnes sauvées par le réseau et non par Gino directement. »
Homme attaché, à sa Toscane, Gino Bartali à vécu à Florence, et avec Florence, les deux moments les plus difficiles de l’histoire moderne de la capitale de la Renaissance : l’occupation nazie de 1943-1944 et la dévastation provoquée par la crue du fleuve Arno en 1966. Alors, quand il gagne le Tour de France 1948, dix ans après sa première victoire, le coureur porte, au-delà d’un maillot jaune, les promesses d’un monde meilleur. « La France gardait une certaine rancœur à l’égard de l’Italie fasciste. Mais lui incarnait l’Italie démocratique, la réconciliation franco-italienne. Le Tour de France rend hommage à un grand champion, un grand homme. Un cycliste brillant, et un homme courageux et déterminé. »
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Engagé « dans un autre tour de France, celui moins exaltant de la politique française », Alberto Toscano, aussi journaliste et politologue, suivra de loin la course. « Tout ce que je peux dire, dans une Europe qui connaît un essor des extrêmes, c’est que Gino Bartali militait contre l’arrogance du pouvoir qui s’incarnait dans le régime fasciste. Chacun est libre d’interpréter l’hommage qui lui est rendu. Et sans doute aurait-il heureux que l’on rende hommage à ses succès sportifs, mais il aurait été plus réservé pour ses actions dans la Résistance. »
Pratique. Un vélo contre la barbarie nazie (Alberto Toscano), Dunod poche, 2023, 9.90 euros, 240 pages.