Procès de trois dignitaires syriens en France : plongée dans l’horreur des geôles d’Assad
Procès de trois dignitaires syriens en France : plongée dans l’horreur des geôles d’Assad
«Â Un jour, un gardien voulait me couper les ongles. Il m’a frappé pour les arracher. » Mains dans le dos, Majed témoigne à la barre mercredi 22 mai. Il y a treize ans, ses mains, attachées par des chaînes métalliques, n’étaient plus que des plaies boursouflées. Majed fait partie des centaines de milliers de manifestants arrêtés et incarcérés par le pouvoir syrien depuis 2011. Quelques jours avant son emprisonnement, en pleine vague des « printemps arabes », il brandissait bougie et branche d’olivier dans les protestations pacifiques qui gagnaient les grandes villes syriennes pour défier le régime de Bachar al-Assad.
Arrêté le 31 août 2011 à Salamyeh, ville située à 200 kilomètres au nord de la capitale Damas, ce pharmacien de 61 ans est alors incarcéré, comme 15 000 autres Syriens, à Mezzeh. Rouvert en 2011, ce centre de détention, qui surplombe Damas, est l’un des pires lieux de torture du régime. Une incarnation de la répression décidée au plus haut niveau de l’Etat syrien. C’est là qu’ont péri Mazzen Dabbagh et son fils Patrick, deux Franco-Syriens arrêtés en 2013. Des disparitions pour lesquelles sont jugés trois dignitaires du régime Assad depuis mardi 21 mai devant la cour d’assises de Paris.
Mercredi, au deuxième jour de procès, Majed, rescapé des prisons du pouvoir syrien, est entendu par la cour. Il raconte en arabe son arrestation et ses conditions de détention. « J’étais dans ma pharmacie. Deux personnes se sont présentées. Elles m’ont fait entrer dans un véhicule et m’ont bandé les yeux. J’ai compris que j’étais emmené à la prison de l’armée de l’air syrienne à Mezzeh. On m’a déshabillé, emmené dans une pièce isolée. Puis, j’ai été placé dans une cellule commune avec 28 autres détenus. Elle faisait deux mètres sur trois. Notre état était vraiment très critique. On était rués de coups, insultés. J’ai été violenté, frappé au corps, à la tête. Dès qu’un gardien arrivait, il fallait qu’on se mette à genoux, qu’on se prosterne au sol, les yeux bandés », relate l’homme, vêtu d’un polo rose et d’un jean, lui qui a porté pendant l’intégralité de sa détention la même tenue bleue, « jusqu’à en avoir des poux ».
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«Â Un jour, j’ai eu une envie pressante d’aller aux toilettes. Le gardien m’a sorti de ma cellule, m’a ordonné de me mettre au sol. Je me suis allongé sur le ventre. Il s’est mis à me frapper. C’était pour me faire comprendre le règlement intérieur de la prison », poursuit le témoin.
Majed ne se souvient plus précisément des insultes qu’il a reçues. Mais il se rappelle ce jeune compagnon de cellule, qui, souffrant du dos, avait besoin d’aide pour marcher : « Un soir, il a été emmené pour être interrogé. Il est revenu dans la nuit, trempé et marqué par des coups. Les gardiens ont attaché sa main à la porte de la cellule toute la nuit. Il n’est jamais sorti de Mezzeh. » C’est pour lui, et pour tous les autres qui n’ont pas survécu, que le rescapé espère voir « les criminels contre l’humanité punis ».
« Vous faire taire, vous détruire et vous annihiler »
Le 23 octobre 2011, après près de deux mois de détention, Majed est conduit, avec d’autres détenus, au bureau du chef des renseignements de l’armée de l’air, Jamil Hassan. Dans une mise en scène destinée à servir la propagande du régime, le pharmacien, qui a été lavé, coiffé et rasé pour cette rencontre, apprend qu’il est gracié par Bachar al-Assad : « Jamil Hassan nous a dit qu’on était pardonnés par le président. Il nous a fait une leçon sur l’amour du pays. Toute la scène était en fait filmée. » La vidéo est destinée à faire taire les rumeurs de torture en prison.
Majed est libre. Mais, souffrant des séquelles de sa détention, il fait trois semaines plus tard une hémorragie cérébrale et passe seize jours dans le coma. Il se réveille avec des problèmes d’équilibre et de mémoire. « Je n’ai même pas reconnu mes filles », raconte à la barre, ému, celui qui a quitté son pays natal en juillet 2018.
Procès de trois dignitaires syriens en France : « Un message envoyé au régime Assad »
Si Majed a survécu, des milliers de détenus ne sont jamais revenus des geôles syriennes. En attestent les dizaines de photos projetées un peu plus tôt dans l’après-midi de ce deuxième jour d’audience. Les « âmes sensibles » sont incitées à sortir. Elles ne verront pas les corps squelettiques ensanglantés, défigurés, suppliciés, défiler sur l’écran accroché au mur de la salle d’audience. Elles n’observeront pas le corps de cet homme enveloppé dans un drap blanc, dont la peau ne semble plus cacher aucun os, ni celui de cet homme, bouche ouverte, sans doute mort en hurlant de douleur. Silence dans la salle Georges-Vedel de l’historique palais de justice de l’île de la Cité, les morts parlent pour transmettre l’horreur de ces prisons.
Ces clichés sont issus du rapport « César », pseudonyme d’un ex-photographe de la police militaire syrienne qui a fui le pays avec 55 000 images, des clichés de corps torturés dans les geôles du pouvoir. Sur tous les cadavres sont inscrits des chiffres, marqués à même le corps ou écrits sur une étiquette blanche scotchée au front du défunt. Des codes permettant de recenser les détenus, leur lieu d’emprisonnement et leur ordre d’arrivée à la morgue.
Dans les centres de détention, exposait au premier jour de l’audience la journaliste Garance Le Caisne, qui a écrit un livre sur le rapport « César », « la torturen’est pas là pour vous faire parler. Elle est là pour vous faire taire, vous détruire et vous annihiler ». Son récit laisse sans voix.