« Emmanuel Macron a déclaré la guerre aux Français »
«Ã‚ Emmanuel Macron a déclaré la guerre aux Français »
Voilà donc ce que coûte de dire « chiche » aux Français. « Chiche », en somme, allez jusqu'au bout de votre logique ! « Chiche », ayez le courage (ou la folie) de vouloir ce que vous voulez ! Derrière la dissolution, il y a aussi cette provocation du président, cette sommation appelée « clarification ». Une sorte de pulsion nihiliste, qui n'est pas venue de la rue mais de l'Élysée.
Ce qui a fait dire au sociologue Emmanuel Todd, au lendemain de la dissolution : « Emmanuel Macron a déclaré la guerre aux Français. » Leur réponse est tout entière dans ce résultat du premier tour des législatives, qui a mobilisé 66,7 % des électeurs. Réponse claire, cinglante et sans équivoque : 33,1 % pour le RN, 28 % pour le Nouveau Front populaire, 20 % pour la majorité sortante. Comme si cette élection était en réalité un face-à-face entre un homme et un peuple. Un face-à-face qui touche à sa fin, après des années de mots blessants, de 49.3 et de mouvements sociaux. La personnalisation et la centralisation du pouvoir ne pouvaient qu'entraîner ce ressentiment populaire à l'endroit du chef de l'État. Nicolas Sarkozy a perdu en 2012. François Hollande n'a pu se représenter en 2017. Emmanuel Macron, élu jusqu'en 2027, terminera-t-il son deuxième mandat ?
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« Hyper démocratisme »
Les électeurs ont confirmé la tendance des élections européennes en portant à nouveau le parti de Jordan Bardella en tête. L'entre-deux-tours donnera lieu à des négociations, des ralliements et des désistements qui viendront corriger, sinon affaiblir, le véritable poids électoral du RN, qui ne sera pas proportionnel à sa représentation parlementaire. Or, pour comprendre où en est politiquement la France de 2024, il faut retenir les résultats de ce 30 juin, non ceux du 7 juillet. Une partie du pays a dit vouloir autre chose. Ces douze millions d'électeurs du RN, longtemps résignés, se sont exprimés comme ils ne l'avaient jamais fait auparavant au cours de législatives.
Par sa mobilisation, cette France dément le mot fameux de Paul Valéry, qui disait : « La politique, c'est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. » Ces Français, parmi lesquels de nombreux déclassés, mais aussi de petits retraités et des jeunes habitants des sous-préfectures, ont décidé de se mêler de leur avenir. Ce qui, au passage, met une pression colossale aux élus du RN, si d'aventure ils obtenaient une majorité absolue.
Car il faut dorénavant distinguer le RN (l'instrument) de ses électeurs (la main qui agite l'instrument). Marine Le Pen n'ignore pas que le populisme-nationaliste dont elle a usé pour arriver à ses fins est un « hyper démocratisme » (selon l'expression de Pierre-André Taguieff) qui n'hésitera pas, le moment venu, à la balayer au moindre reniement. Et des reniements, il y en aura, se dit-on, quand on regarde le programme de son parti, tant sur l'économie que sur la cohésion du pays. Il faut voir aussi que le peuple ethnos a parlé au cours de ce premier tour, en même temps que le peuple demos. Soit la volonté, pour la France du RN, de renouer à la fois avec un capital immatériel, tout en se constituant un capital matériel. Autrement dit, l'identité d'avant et le social pour les lendemains. Il sera plus difficile de répondre à la première aspiration qu'à la seconde ? qui appellera de la dépense publique facile.
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L'épouvantail Le Pen désigne plus épouvantail qu'elle
Le Nouveau Front populaire, lui aussi, a réussi son pari. D'abord celui de se réunir très vite après la dissolution, en dépit des détestations internes. Ensuite, il a su rassembler son électorat, alliance des bourgeois des villes, des jeunes diplômés et des habitants des périphéries. Le ressort antiraciste, vieux des années 1980, est encore efficient.
La LFI, par la lâcheté ou l'opportunisme de ses alliés, a pu faire oublier l'antisémitisme de quelques-uns de ses membres. Le parti de Mélenchon et ses alliés, par leur nombre, se retrouveront avec le statut de première force d'opposition au RN de Bardella. D'ailleurs, Marine Le Pen ne s'y est pas trompée en désignant dès hier soir Mélenchon comme étant son principal adversaire. La députée, réélue dès le premier tour, est dans la position de Macron en 2017, qui savait que sa survie électorale dépendait de la présence d'un repoussoir face à lui. L'épouvantail Le Pen désigne donc plus épouvantail qu'elle, croit-elle, en la personne du leader Insoumis.
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« Petit frère »
Au centre, Gabriel Attal n'aura pas démérité. Emmanuel Macron l'a un jour désigné comme son « petit frère ». On ne sait si c'est par mépris ou par affection. En l'occurrence, le petit frère a fait montre de plus de raison que le grand. Qu'aurait-il donné, dès 2022, à Matignon, à la place d'Élisabeth Borne qui fut une erreur de casting que le président paye encore ?
Attal a pris de l'épaisseur dans cette campagne des législatives, et il en prendra encore plus en s'affranchissant franchement du président. La macronie, qu'il faudra désormais appeler autrement, ne peut plus faire fi des dégâts colossaux d'une mondialisation qui a profité à elle et à ses électeurs durant au moins trois décennies. La dépense publique sous Emmanuel Macron a explosé sans que cela ne soit une réponse satisfaisante pour les catégories populaires qui ont préféré Jordan Bardella. On en revient donc au capital immatériel, c'est-à-dire à ce que l'économie ne peut pas produire : la convivialité, l'entraide, la proximité, l'autorité, l'altruisme, la sécurité, la considération, le mérite, un projet collectif, un récit fédérateur? Tout a déjà été dit. L'avantage, pour un politique, résiderait aujourd'hui dans la manière de le redire et surtout de l'accomplir.