David Djaïz: «La vague RN doit se fracasser contre un mur»
David Djaïz
Le président de la République a fait le choix de dissoudre l'Assemblée nationale il y a une semaine. Comment comprenez-vous cette décision ?
David Djaïz : Je ne la comprends pas bien, à vrai dire. Et j'estime que c'est une mauvaise décision. La dissolution est certes une prérogative du président de la République. Elle sert à clarifier une réalité politique. Si par exemple un président est élu et doit composer avec l'assemblée d'une ancienne majorité, il est logique qu'il veuille dissoudre. Mais là, le peuple s'était exprimé le jour même lors des élections européennes : quel besoin avait-on de refaire parler les urnes aussitôt ? Il y a une faute de temps : cette dissolution a été décidée à chaud et donne l'impression d'une impulsion plus que d'un geste politique. C’est aussi une prise de risque historique, celle de mettre le RN au pouvoir à quelques jours des Jeux Olympiques et en pleine guerre d’Ukraine. Les électeurs qui ont voté pour l'extrême droite en masse le 9 juin vont se sentir boostés.
Est-ce que le 7 juillet, vous pensez plausible un scénario dans lequel serait nommé un Premier ministre issu du RN ?
Ce qui est certain, c'est qu'il va y avoir une très forte poussée de l'extrême droite. Le scrutin du 9 juin a montré une nette progression du RN dans toutes les catégories socioprofessionnelles, au sein de toutes les générations et dans tous les territoires, y compris dans des territoires comme la Bretagne qui d’ordinaire votaient beaucoup moins pour le RN.
Plusieurs inconnues vont être déterminantes : l'union des gauches sous la bannière du Nouveau Front populaire va-t-elle bien fonctionner au premier tour ou y aura-t-il beaucoup de dissidences ? Le taux de participation sera-t-il conséquent ? Plus il est élevé, plus il y aura de triangulaires parce qu'une forte mobilisation fait baisser le seuil de qualification au second tour. Et puis troisième question autour de l'ampleur des reports de voix. Enfin, va-t-il y avoir des désistements des candidats de la majorité pour le front populaire et vice versa dans les triangulaires face au RN ? La mécanique électorale des législatives est très particulière et n’est pas une science exacte.
Pensez-vous que le Front populaire, initié par les partis de gauche, puisse parvenir à unir les électeurs face au RN ?
Ce qui compte, c'est que la vague RN puisse se fracasser contre un mur. Je suis donc moins sévère avec le Front populaire que je ne l'étais avec la Nupes. J'ai l'impression que cette fois, ça n'est pas simplement une union pour sauver des sièges ou conserver quelques fiefs. Il y a une vraie conscience de la gravité du moment chez beaucoup de dirigeants de gauche. Ils n'ont pas envie de prendre le risque de laisser le Rassemblement national arriver au pouvoir. Et donc ils ont conclu cette union. Qu'est-ce que le Front populaire ? C'est un accord électoral et il faut le prendre comme tel. Il est difficile de voir un programme de gouvernement sérieux dans ce déluge de taxes et de dépenses irréalistes sur le plan économique, avec des candidats qui vont de Philippe Poutou à François Hollande.
À la veille du dépôt des investitures, certains cadres du parti LFI, comme Raquel Garrido ou Alexis Corbière, ont été privés d'investitures. Les figures du Front Populaire ont regretté une « purge » au sein du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon. Cet épisode fragilise-t-il le Front populaire ?
C'est une scène à laquelle on a déjà assisté au sein de LFI. Elle traduit l'attitude sectaire de Jean-Luc Mélenchon qui ne supporte pas la concurrence interne. En bon lambertiste, il a profité de la situation de tension extrême pour régler quelques comptes personnels et effectuer une purge. Ce n'est pas à son honneur, ni à celui de ses soutiens. C'est de la petite politique. Il faut tout de même relativiser l'impact : la plupart des circonscriptions n'auront qu'un seul candidat à gauche, investi par le Front Populaire.
Éric Ciotti a-t-il tué le parti Les Républicain en appelant à un accord avec le RN ?
Il n'a fait que clarifier une situation. Les Républicains sont en réalité abattus depuis l'entrée au pouvoir d'Emmanuel Macron en 2017. Le parti tenait depuis 2002 sur la synthèse des droites réalisée dans l’UMP et a volé en éclat sous l'effet d'En Marche. La branche libérale et les démocrates chrétiens ont rejoint le camp d'Emmanuel Macron. La branche souverainiste était tentée par l'alliance avec le RN. Éric Ciotti a acté le rapprochement. Heureusement il reste une droite d’honneur : je note que beaucoup de cadres des Républicains se sont insurgés contre la décision solitaire d’Éric Ciotti, restant fidèle à l’ADN gaulliste de ce parti.
Pourquoi estimez-vous que le mode de scrutin des législative est « pervers » ?
L'une des priorités du prochain gouvernement devrait être d'en finir avec ce mode de scrutin bonapartiste. En France, un émiettement de la vie politique est à l’œuvre et c'est d'ailleurs une tendance qu'on observe dans beaucoup de pays du monde occidental. Or le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est très adapté à une vie politique structurée autour de deux grands partis à vocation majoritaire qui rassemblent chacun 30 ou 40 % de l'électorat. Et ça a un effet sur la façon dont se structure le débat politique.
À quel niveau ?
On observe une radicalisation de la logique à trois blocs. La gauche unie contre le rassemblement national. Le Rassemblement national fait campagne contre le « camp islamo-gauchiste », selon le terme de Marine Le Pen. La majorité présidentielle fait campagne sur le thème « moi ou le chaos ». Partout, vous avez des discours de défense plutôt que des discours d'adhésion. Une réforme électorale conséquente pour injecter une forte dose de proportionnelle permettrait aux Français d'avoir vraiment le choix de choisir de voter pour leur sensibilité politique, d'avoir une assemblée plus représentative de la diversité des sensibilités politiques qui existent dans le pays. Et au lieu d'avoir un accord électoral un peu opportuniste qui se noue au moment de la législative, on aurait un vrai accord de gouvernement qui serait négocié à tête reposée une fois que les urnes ont parlé. Le front populaire propose cette réforme, qui était déjà présente dans le programme de Macron en 2017 et qui est aussi dans celui du RN. Il serait temps d'y venir pour de vrai.