«Tout le monde ferme les yeux» : en mai, les Européens ont consommé plus de gaz russe que d'américain
Un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL), en Allemagne, en décembre 2022, l’un des premiers à avoir été construit en un temps record, pour s’adapter à la vie sans gaz russe.
L'Europe est encore loin d'être sevrée du gaz russe. Certes, les importations de gaz russe qui, en 2022 fournissaient 40% de la consommation européenne, ont baissé pour ne représenter plus que 15% des besoins. Il n’empêche, le mois dernier, Gazprom, le fleuron du Kremlin, a exporté 2,5 milliards de mètres cubes vers l'Europe, contre 1,8 milliard en mai 2023, marquant neuf mois de hausse continue. Depuis janvier, les ventes du géant russe aux Européens ont augmenté de 28 % sur un an, « alors que les responsables politiques de l'UE continuent de parler de réduction de la demande intérieure et des approvisionnements russes », tance le spécialiste français de l’énergie, Thierry Bros.
Surtout - le symbole est fort - pour la première fois en deux ans, ces importations de gaz russe dépassent celles en provenance des États-Unis. « La Hongrie, la Grèce, la Slovaquie et l'Autriche ont passé une commande pour augmenter de 25% leur volume », note le spécialiste qui garde les yeux sur les compteurs européens chaque mois. La raison? « Le gaz russe est moins cher, répond l'expert. Aucun trader au monde ne s'abstiendrait de faire cette transaction s'il en a le droit ». Une « hypocrisie » totale, dénonce-t-il, alors que d'autres pays, autrefois dépendants, ont imposé un embargo sur le gaz de Poutine, à l'instar du Royaume-Uni. L’Union européenne s’est fixé l’objectif à long terme de se passer de la Russie comme fournisseur mais n’a jamais interdit les importations. Les Vingt-Sept proposent seulement d'interdire les transbordements (échanges d'un navire à un autre) sur les côtes européennes mais le texte patine.
Faible demande
Sur le continent, l'Autriche se distingue puisque sa dépendance à l'égard du gaz russe est en hausse, pour atteindre 95%. Fin 2023, l’envoyé de l’UE dans le pays, Martin Selmayr, était monté au créneau, déclarant que les achats de gaz russe étaient « entachés de sang ». Et la ministre autrichienne de l’Énergie de reconnaître, devant la presse : « Nous finançons indirectement une guerre abominable en Ukraine ». La ministre milite pour rompre le contrat de longue durée passé avec Gazprom mais se heurte à la réticence du parti conservateur. « Tout le monde ferme les yeux en Europe de peur que les prix n’augmentent », commente Thierry Bros.
Certains facteurs ponctuels ont toutefois contribué à la hausse des flux en mai, selon le Financial Times, qui rapporte une panne dans les infrastructures américaines d’exportation de GNL, le gaz liquéfié acheminé par bateau. Par ailleurs, la Russie a envoyé davantage de gaz via la Turquie, en prévision d’une maintenance en juin. La demande de gaz européenne reste faible, avec des niveaux de stockage proche des records pour cette période de l’année. Ainsi, les courbes ne devraient pas monter ces prochains mois.
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Pour autant, ce n’est pas parce que les Européens achètent encore du gaz russe que Gazprom se porte bien. En 2023, le géant public a enregistré une perte nette de 6,9 milliards de dollars, sa première en plus de 20 ans, en raison de la chute des ventes en Europe après l’invasion en Ukraine, souligne Thierry Bros. De plus, alors que le Kremlin prévoit d'augmenter encore la charge fiscale sur Gazprom en 2024 pour alimenter les caisses de l’État, l’entreprise va réduire de 15% ses investissements cette année.