La soprano belge Jodie Devos est décédée
La soprano belge Jodie Devos est décédée
La nouvelle fait l’effet d’un choc profond. Inimaginable. Alors qu’elle était l’une des étoiles incontestées de la scène lyrique, la soprano belge Jodie Devos est brutalement décédée ce dimanche 16 juin à Paris, à l’âge de 35 ans « entourée de sa famille et de ses proches, des suites d’un cancer du sein qui l’avait contrainte à annuler plusieurs engagements récents », dit le communiqué de son agence Intermezzo.
En dix ans, celle qui fut 2e lauréate du Concours Reine Elisabeth en 2014, avait dessiné une carrière impressionnante et naturelle, sans jamais oublier ses racines. Se produisant à travers le monde mais revenant régulièrement à La Monnaie, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Elle devait également se produire cet été aux Festivals de Wallonie et au Gaume Jazz.
Un parcours riche
Née à Libramont le 10 octobre 1988, Jodie Devos a grandi dans le petit village de Lahérie (Léglise), où son père est éleveur des canards et producteur de foie gras. Dès le plus jeune âge, elle se passionne pour la musique mais aussi pour la danse. « Mes parents ont toujours tenu à ce que j’ai une formation artistique variée », confiait-elle au Soir en 2019. « J’ai pris des leçons de théâtre avec un vrai comédien. La scène est donc un lieu aujourd’hui où je me sens à l’aise. Et j’ai commencé la danse à 6 ans. L’école de danse m’a donné la souplesse du geste et m’a réappris à soutenir le souffle : c’est quelque chose que, comme chanteuse, je continue à travailler. »
En 1999, elle entame une formation musicale et étudie le piano puis, quatre ans plus tard, découvre le chant classique avec Françoise Viatour au Conservatoire de Ciney. Une révélation. Elle étudiera ensuite à l’Institut de Musique et de Pédagogie de Namur auprès de Benoît Giaux et d’Élise Gäbele – où elle reçut « une solide formation qui a forgé les bases de (s)on chant » – puis obtiendra en 2013 un Master of Art à la Royal Academy of Music de Londres, dans la classe de Lillian Watson. La même année, elle se fait remarquer dans une production de La Mélodie du Bonheur (direction musicale Patrick Leterme, mise en scène Xavier Elsen) à Charleroi.
Mais la véritable révélation arriva en 2014, année où elle fit une entrée fracassante sur la scène internationale en remportant le 2e prix et le prix du public lors du Concours Reine Elisabeth. Embrasant la salle et touchant le public au cœur, comme elle savait si bien le faire. Un événement qui, elle le reconnaissait, « (l’)a beaucoup aidée au début. Les médias vous donnent une visibilité inimaginable. Et très vite, j’ai pu trouver de très bons agents. »
Une ascension fulgurante
Pour Jodie Devos, travailleuse acharnée mais aussi et surtout artiste douée, les choses ont ensuite été très vite. En 2014 toujours, elle intègre l’Académie de l’Opéra-comique à Paris où elle participe à des représentations de la Chauve-Souris et des Mousquetaires au couvent. « C’est une expérience extraordinaire », disait-elle alors au Soir. « On y travaille beaucoup mais on fait des rencontres extraordinaires. On travaille avec des coachs et des professeurs de grande classe. De vrais spécialistes d’un genre méconnu : l’opéra-comique français. L’opérette qui recèle de vrais trésors au-delà des œuvres d’Offenbach. Je découvre tous les jours de véritables perles. »
Mais l’opérette ne sera pas son unique répertoire. Loin de là puisqu’on la retrouvera dans le grand répertoire classique, dans le répertoire contemporain (notamment On purge Bébé ! en 2022, le dernier opéra de Philippe Boesmans) mais aussi hors des sentiers battus avec des concerts jazz. Son but : « Faire aimer la musique à ceux qui ne la connaissent pas ».
Sa carrière fulgurante la conduira vers les plus hautes sphères de l’opéra tandis qu’elle tournera à travers le monde (Allemagne, Hollande, Inde, Canada, Pologne, Brésil…) avec concerts et récitals. Elle chantera ainsi notamment Mozart sous la direction de Leonardo Garciá Alarcón lors des débuts de l’ensemble Millenium. On la retrouvera à l’Opéra de Wallonie en Rosine du Barbier de Séville, Eurydice d’Orphée aux enfers, Susanna des Nozze di Figaro et en Comtesse Adèle du Comte Ory. Travaillera avec des chefs tels que Christian Arming, Paolo Arrivabeni, Laurence Equilbey, Christophe Rousset, Mikko Franck, Emmanuelle Haïm, Louis Langrée, Marc Minkowski, François-Xavier Roth, Guy van Waas… dans des mises en scène de David Bobbée, Romeo Castellucci, Paul-Émile Fourny, Denis Podalydès Claire Servais ou encore Robert Wilson.
Elle se fera également une spécialité des opéras français du XIXe siècle où on la retrouve dans Le Timbre d’argent de Saint-Saëns, La Nonne sanglante de Gounod, Lakmé de Delibes. La Reine de la Nuit, de la Flûte enchantée, devient un de ses rôles fétiches : elle la chante dans la production de David Lescot à Dijon, Limoges, Caen et à la Philharmonie de Paris, à la Monnaie mais aussi à l’Opéra-Bastille dans la production de Robert Carsen.
Des racines belges toujours présentes
Pourtant, malgré ce succès irrésistible à l’international, où elle trouvait un épanouissement réel et qui faisait d’elle l’une de chanteuses les plus prisées de sa génération, Jodie Devos, qui vivait à Paris, n’a jamais oublié ses racines belges. Elle revenait ainsi régulièrement à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, et était programmée aux Festivals de Wallonie et au Gaume Jazz cet été. « L’ORW est le théâtre où j’ai fait mes plus belles prises de rôles », nous confiait-elle d’ailleurs en 2021. « J’ai eu la chance d’avoir la confiance de Monsieur Mazzonis (le directeur de l’ORW, soudainement disparu en février 2021, NDLR), qui m’a fait confiance dès 2015 et qui m’a programmée jusqu’en 2023. Revenir chaque année, pour des prises de rôles importantes, pour de très belles productions, crée un lien très fort avec un théâtre. C’est un rendez-vous que je ne veux absolument pas manquer et j’espère que ça continuera longtemps ! Le public liégeois est très chaleureux puis c’est l’occasion pour ma famille et mes amis de venir m’écouter, alors qu’ils n’ont pas toujours l’occasion de me suivre à travers la France. Je dis d’ailleurs souvent qu’être ici, c’est un peu comme être à la maison (sourire). »
Elle s’épanouissait aussi au disque, défendant avec panache le registre de soprano colorature dans un disque Offenbach, explorant la mélodie anglaise ou encore le répertoire d’opéra-comique français du XIXe dans Bijoux perdus, son dernier disque solo qui retrace le parcours d’une jeune Liégeoise partie à Paris dans les années 1850 et qui y a fait une carrière incroyable. À l’image de celle de Jodie Devos elle-même…
«Ã‚ Le disque est vraiment le lieu où j’ai carte blanche », nous disait-elle en 2021. « Je n’ai pas l’envie de faire un énième disque de Mozart. Je trouve que ça a déjàété fait merveilleusement par d’autres. J’ai un véritable intérêt àenregistrer des raretés. Je me plonge encore plus dans ce répertoire parce qu’il y a tout àdécouvrir. Puis j’ai cette curiosité d’aller dénicher des partitions, de fouiller… Et de découvrir dans des bibliothèques des partitions qui n’ont plus été jouées depuis des dizaines d’années voire des siècles. »
Un travail de recherche qu’elle avait redécouvert lors de la pandémie, période complexe lui offrant un certain recul. « Cette période m’a fait voir les choses différemment, m’a poussée à me poser et à me rendre compte que ne pas travailler 10 ou même 12 mois non-stop sur l’année, c’est assez agréable aussi. Ça m’a donné l’envie de repenser mes projets, de prendre plus de temps. En fait, je me suis rendu compte que pendant six ans (soit depuis 2014 et sa deuxième place au Concours Reine Elisabeth, NDLR), je n’avais pas arrêté une seule seconde et que je commençais un peu à saturer. La pause covid a été bénéfique à ce niveau-là pour moi. Ça m’a permis de faire un break et de me dire que cinq productions sur l’année, c’est déjà très bien ! J’en étais presque à sept l’année dernière… Je vais aussi essayer de faire moins de prises de rôles en une saison. Pour le moment, chaque saison, je n’ai que des prises de rôles. C’est épuisant et c’est énormément de travail. J’aimerais pouvoir rechanter quelques rôles et avoir deux ou trois prises de rôle par année. »
Une volonté de prendre le temps qui ne l’empêchait pas de rester curieuse, de prendre des risques. Et de briller sur scène, toujours, grâce à une présence étincelante et un don naturel pour la comédie.