Colmar, l'ultime verrou de la Seconde Guerre mondiale

Aux yeux des soldats du Reich, l’Alsace est une terre allemande. Ils vont donc défendre chèrement leur dernière enclave dans cette région, avant de se replier derrière le Rhin, sous les coups de boutoir des armées française et américaine.

En écrasant l’armée française en six semaines durant l’été 1940, l’Allemagne s’est trouvée dans une position suffisamment forte pour pouvoir annexer brutalement l’Alsace et la Moselle. Leurs citoyens sont devenus allemands et certains, que l’on appellera plus tard les Malgré-nous, ont même été versés dans la Wehrmacht. Autant dire que pour Hitler, il ne saurait être question de les rendre sans combattre.

Depuis la chute de Paris, en août 1944, les forces allemandes sont en déroute, talonnées par les troupes alliées débarquées en Normandie, mais aussi par celles qui sont arrivées en Provence. De concert, elles reconquièrent le territoire français à une vitesse effrénée. En Lorraine, Nancy est libéré le 19 septembre, et Épinal le 24 du même mois. Mais bientôt, l’avance des Alliés marque le pas ; à cause de difficultés d’approvisionnement – notamment en essence –, de pluies diluviennes et de l’ardeur des troupes du Reich, disposées sur les vestiges de la Moselstellung, une ligne de défense construite lors des guerres de 1870 et de 1914. Néanmoins, la ville de Belfort tombe le 20 novembre 1944, libérée par la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny, qui s’empare de Mulhouse dès le lendemain. Plus au nord, le 24 novembre, la 2e DB du général Leclerc s’empare de Strasbourg.

Pour Hitler, la reconquête allemande passait par ce petit bastion

Les défenses du Reich ont finalement volé en éclats. Mais pas entièrement. En s’emparant de Strasbourg et de Mulhouse, les Alliés ont laissé subsister entre elles une poche, longue de 65 kilomètres et large de 45 kilomètres, autour de la ville de Colmar, dans laquelle se sont regroupées les dernières troupes allemandes qui n’ont pas battu en retraite. Hitler a en effet exigé du général Rasp, commandant la 19e armée, en charge de la défense du secteur, de tenir coûte que coûte. Aux yeux du Führer, il ne s’agit pas d’une poche mais… d’une tête de pont de l’autre côté du Rhin, point de départ possible pour une nouvelle offensive. Les Allemands défendent donc Colmar et ses alentours bec et ongles… et ce d’autant plus facilement que les Alliés ne font pas grand-chose pour s’en emparer, car elle ne représente pas pour eux un danger majeur. Les troupes qui l’encerclent se contentent de timides incursions, afin de maintenir la pression sur ses défenseurs.

À partir du 16 décembre, le danger vient d’ailleurs : Hitler joue son va-tout en se lançant dans une vaste offensive au coeur des Ardennes. Cette attaque surprise des Allemands mobilise une bonne partie des réserves disponibles. Colmar n’est plus qu’un front secondaire. Mais début janvier 1945, alors que les combats cessent sur le front des Ardennes (ils se sont conclus par la défaite allemande de Bastogne, en Belgique), débute l’opération Nordwind, offensive de diversion qui vise, pour l’essentiel, à permettre aux troupes allemandes engagées dans les Ardennes de se replier. Les soldats établis dans la poche de Colmar s’élancent alors en direction de Strasbourg, tandis qu’au nord, d’autres troupes allemandes traversant le Rhin attaquent en direction de Haguenau et reprennent Wissembourg aux Américains.

L’offensive frappe le 2e corps français, et notamment la 3e division algérienne et la 1re division de marche qui livrent de rudes combats et enrayent la progression adverse, en perdant quelque 2 000 hommes (tués, blessés ou prisonniers). Fin janvier, l’opération Nordwind se termine sur un échec, mais le commandement allié décide tout de même de réduire une fois pour toutes la poche de Colmar et les autres points de fixation allemands : Eisenhower souhaite en fait que tous les îlots de résistance sur le Rhin soient réduits avant que les Alliés ne franchissent le fleuve.

L'offensive des Alliés débute dans un froid «sibérien»

La bataille va commencer, mais qui la mènera ? Les troupes françaises (de la 1re armée conduite par de Lattre et de la 2e DB de Leclerc) étant déployées de part et d’autre de la poche, elles vont naturellement assurer ce rôle, renforcées par deux divisions d’infanterie américaines, les 3e et 28e divisions. Celles-ci sont très expérimentées et leurs effectifs sont presque complets. L’offensive des Alliés débute le 20 janvier dans un froid que le général de Lattre qualifiera de «sibérien» (les températures avoisinent les −20 °C). Les troupes des 2e et 4e divisions marocaines, menées par le général Béthouart, qui sont déployées autour de Mulhouse passent à l’offensive au sud de la poche, avec comme premier objectif la libération de la ville d’Ensisheim. Elles avancent au milieu d’une tempête de neige et, grâce à l’effet de surprise, enfoncent le front de la 159e division d’infanterie allemande, avec l’appui de la 1re division blindée française et de la 9e division d’infanterie coloniale. La nuit suivante, les Allemands ripostent, ralentissant un peu la poussée française. La menace apparaît assez sérieuse au commandement du Reich pour qu’il engage ses réserves, dont la 16e brigade blindée et la 2e division de montagne. Le terrain est boisé et assez urbanisé, ce qui gêne la progression des Français.

Dans la nuit du 22 au 23 janvier, c’est au tour des troupes du général de Goislard de Monsabert de passer à l’attaque, au nord de la poche cette fois. Le fer de lance de l’offensive est formé par la 1re division de marche et par la 3e division d’infanterie américaine avec, en réserve, la 2e DB française. Les Alliés progressent rapidement en direction du sud et franchissent une rivière, l’Ill, mais peinent à trouver des ponts capables de soutenir le poids des blindés (un char Sherman, le plus courant chez les Américains, pèse un peu plus de 32 tonnes). L’infanterie américaine doit donc progresser sans le soutien de blindés et subir des ripostes allemandes, qui ralentissent considérablement son avancée.

Malgré cela, les Alliés sentent que les défenses allemandes sont sur le point de céder. Le 31 janvier, la 1re division de marche s’empare d’Elsenheim et, le 1er février, atteint le Rhin. Pourtant, les Alliés recommencent à piétiner et il devient manifeste que les effectifs manquent pour emporter la décision. Deux nouvelles divisions américaines sont jetées dans la bataille, la 75e division d’infanterie et la 12e division blindée. Le général Milburn, en charge du 21e corps d’armée américain les commande. Les 3e et 28e divisions américaines ainsi que la 5e division blindée française leur sont rattachées. Ce corps puissant est positionné entre les deux corps français. Hitler refuse naturellement d’entendre parler d’un repli derrière le Rhin. Pour s’assurer que les troupes vont tenir, il nomme à leur tête le général de la Waffen SS Paul Hausser. Mais cet officier expérimenté ne peut que constater l’étendue du désastre. Il n’a sous ses ordres que des unités de bric et de broc, il y règne la plus grande confusion et leur moral est au plus bas. Le 2 février 1945, la 28e division d’infanterie américaine, appuyée par des blindés français, fait son entrée dans Colmar. Il faudra une journée entière pour nettoyer la ville de ses derniers défenseurs. Les autres se replient comme ils peuvent vers le Rhin.

Mais la poche doit encore être vidée. Le 5 février, des éléments de la 12e DB américaine, venus du nord, tendent la main à des soldats de la 4e division marocaine, venus du sud, dans la ville de Rouffach, coupant de fait la poche en deux. Pour les Allemands, c’est le sauve-qui-peut. Ils se replient vers le Rhin, talonnés par des troupes françaises. La 3e division d’infanterie américaine avance vers Neuf-Brisach et l’encercle. La ville fortifiée tombe presque sans coup férir le 6 février, grâce à l’aide d’habitants qui indiquent aux assaillants un point faible dans les défenses. Le même jour, la 75e division américaine atteint le Rhin au sud de Neuf-Brisach. Le 9 février, les Allemands font sauter le dernier pont en leur possession.

Une victoire symbolique pour les français

La bataille de Colmar prend fin. Son issue n’a jamais fait de doute : les Allemands avaient seulement 80 000 hommes positionnés dans la poche, faisant face à plus de 400 000 hommes. Ils y ont perdu environ 40 000 soldats, tués, blessés ou prisonniers. Une nouvelle saignée… et une nouvelle humiliation. Chez les Alliés, la satisfaction d’avoir éliminé un îlot de résistance du Reich ne constitue pas le point le plus important. Certes, d’un point de vue pratique, ils sont en possession de toute la rive gauche du Rhin et vont pouvoir préparer leur offensive en Allemagne.

Mais surtout, il s’agit d’une victoire symbolique pour les Français qui se sont vu confier une mission importante. De Lattre a eu, durant la première phase de la bataille, des troupes américaines sous ses ordres, et elles ont travaillé avec les unités françaises en confiance. L’armée nationale a montré des capacités offensives prometteuses pour la campagne d’Allemagne qui s’annonce. Des deux côtés de l’Atlantique, on se félicite de cet exemple de coopération militaire qui sera couronné après les combats par une décoration symbolique : pour sa participation au dé bar quement de Provence et à la libéra tion de Colmar, la 3e division d’infanterie américaine se verra accorder par la France la croix de guerre avec palme.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire Hors-Série n°18, La Libération, de juin-juillet 2024, en kiosque depuis mercredi 29 mai.

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colmar, l'ultime verrou de la seconde guerre mondiale
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