Argentine: des manifestants anti-Milei accusés de terrorisme et de sédition
Buenos Aires: le Congrès argentin protégé par un impressionnant cordon de forces de sécurité, pendant le vote par le Sénat de la loi Omnibus, le 12 juin 2024.
Plus d’une trentaine de personnes ont été arrêtées mercredi soir, suite à des affrontements violents avec les forces de l’ordre, dans le cadre de la mobilisation contre la réforme ultra-libérale du président argentin Javier Milei, examinée puis votée au Sénat. La moitié a finalement été libérée dans la nuit de vendredi à samedi.
de notre correspondante à Buenos Aires,
Amis ou famille, environ 200 personnes se sont rassemblées vendredi matin devant le Tribunal fédéral de Buenos Aires, capitale de l'Argentine, où certains de leurs proches attendaient leur audition devant le juge. Ils arboraient des pancartes et banderoles demandant leur libération immédiate et la fin de la répression policière.
Mercredi 12 juin, une mobilisation massive s’est déroulée toute la journée, devant le Congrès argentin, contre la Ley Bases dite « loi omnibus », le projet de loi du président d’extrême droite Javier Milei, soumis ce jour-là aux sénateurs. Des milliers de syndicalistes, politiques de gauche, étudiants, professeurs, artistes ou encore fonctionnaires comme employés du privé étaient venus dès 9h du matin dénoncer la libéralisation de l’économie et les coupes drastiques dans les dépenses de l’État qu’implique cette réforme, finalement votée de justesse par les sénateurs après une douzaine d’heures de débat.
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En milieu d’après-midi, des affrontements violents entre les forces de l’ordre et quelques manifestants ont débuté, visiblement après que quelques individus cagoulés ont débordé le cordon de sécurité déployé autour du Congrès. Le protocole anti-manifestation, particulièrement stricte et répressif, institué par la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich dès décembre 2023 a alors été suivi. Policiers et gendarmes ont tiré des balles en caoutchouc et fait usage de gazs lacrymogènes et de canons à eau pour tenter de disperser la foule, appuyés par des escadrons motorisés. Le média en ligne argentin Infobae évalue leur nombre à 1500.
La présidence a dans la foulée publié un message sur le réseau X dans lequel elle félicitait les forces de sécurité « pour leur excellente action dans la répression » de ceux qu'elle appelait des « groupes terroristes » qui auraient « tenté de perpétrer un coup d'État ».
Une peine possible de sept ans de prison
Au total, 33 à 35 personnes semblent avoir été interpellées. Elles ont immédiatement été placées en détention provisoire, à la demande du procureur, Carlos Stornelli, qui souhaite les inculper de 15 délits, dont ceux de sédition et d'actions terroristes.
«Â C’est faux, elles ne se connaissent même pas, elles n’étaient pas organisées », s’emporte Maria-Pia, la compagne de l’un des détenus. Dans la nuit de jeudi à vendredi, une partie a été transférée dans la plus grande prison du pays, le centre pénitentiaire de Marcos Paz, à une trentaine de kilomètres de la capitale.
Les profils des détenus varient. Certains prêtent moins à la controverse, notamment celui d’un homme dans la poche duquel une grenade a été retrouvée ou d’autres manifestants ayant jeté des projectiles sur la police ou incendiés des véhicules et identifiés dans des vidéos ; d’autres, sèment la confusion.
Des témoins sur place, rencontrés par RFI, décrivent des scènes de violence gratuite de la part de la police fédérale et de la gendarmerie dépêchées sur place.
En visionnant les vidéos qu’elle a tournées mercredi avec son smartphone, Rocio, étudiante en droit âgée de 28 ans, parle d’une « répression brutale », ajoutant que dès son arrivée sur place, elle a senti « ces gaz lacrymogènes qui faisaient pleurer et qui oppressaient la gorge et la poitrine ». L’un de ses camarades de faculté, Mateo, a été arrêté, alors que selon elle, il se repliait. Une brigade motorisée les aurait poursuivis ses amis et lui, jeté à terre et frappé avec leurs matraques. Les compagnons du jeune homme auraient réussi à s'enfuir en courant, pas lui.
Les témoignages similaires se répètent. Militant du Front des organisations en lutte, Luis raconte qu’alors que des compagnons et lui repartaient vers le centre de Buenos Aires, des agents de sécurité les auraient « pourchassés » à plusieurs centaines de mètres du Congrès. L’une de ses amies serait tombée et aurait directement été placée dans un fourgon. Le militant va jusqu’à accuser la police d’avoir infiltré incognito le cortège pour le perturber et justifier les violences qui allaient s’ensuivre. Une hypothèse invérifiable. Grand habitué des mobilisations politiques et sociales, il affirme n’avoir jamais assisté à pareille répression.
Le sort des interpellés est encore incertain. Tard vendredi, 16 détenus ont été libérés en attente de leur jugement. Les autres resteront en détention préventive, au moins plusieurs jours, du fait d’une période fériée en Argentine. Tous encourent sept années de prison.