En pneus froids au Mans, la crainte du moment de solitude...
C'est une donnée qui aura une influence sur la 92e édition des 24 Heures du Mans : en l'absence de couvertures chauffantes, les pilotes devront gérer la peur de trop vite passer de héros à zéro. Explications.
Sujet de discussion depuis une semaine au Mans, la chauffe des pneus est une composante désormais intégrée au challenge qui attend les prétendants à la victoire finale. On le sait, la préchauffe des gommes, interdite en WEC depuis l'an passé, est définitivement étendue à la classique mancelle en dépit des craintes de certains acteurs pour la sécurité.
La question n'est plus de s'en plaindre ou de se lamenter d'une situation qui est la même pour tout le monde et qui a nécessité de travailler sur les moyens de s'y accommoder. Mais du point de vue des pilotes, on a voulu comprendre à quel point le fait de s'élancer en pneus froid sur le circuit du Mans les rendait vulnérables.
"Pour nous pilotes, c'est vraiment compliqué derrière le volant", assure Loïc Duval. Vainqueur de l'épreuve en 2013, le pilote Peugeot a derrière lui une expérience du tracé qui rend son avis particulièrement précieux. Alors, interrogé sur ce qui se passe réellement au moment de s'élancer avec des gommes froides, il décrit :
"C'est cette sensation, quand vous êtes dans un avion, qu'il y a des grosses turbulences et qu'à un moment donné il y a un trou d'air : Pfouaf ! C'est un peu ça quand on la perd. En fait, on la perd pas mal de fois sur les deux premiers tours de sortie. Tant qu'on ne se met pas dehors, tant mieux, c'est cool ; et puis quand on se met dehors, on passe pour des abrutis. Encore une fois, c'est pour tout le monde pareil. Mais quand tu n'as pas encore trouvé [les solutions] ou que ce n'est pas simple, ça fait des sueurs froides de temps en temps."
"Ce qu'il faut comprendre, c'est que quand tu tournes et que tu n'as pas de grip, ne serait-ce que regarder dans le rétro peut te piéger. Ne plus avoir l'œil en face de toi fait que tu n'as plus le même ressenti au niveau des g. Quand tu commences à regarder dans les rétros et que tu as l'arrière qui part, et que tu dois contrebraquer mais ne plus avoir l'œil sur la piste, ce n'est pas facile !"
"Parfois, si tu changes un rapport, que tu as un peu d'angle au volant, et que ton rapport n'est pas complètement neutre, tu peux perdre la voiture ! Sur une bosse, si tu as un peu d'angle au volant, si la voiture se déleste un petit peu, le pneu est froid et tu n'as plus rien qui te rattrape, c'est perdu. Et puis ce sont des voitures qui sont très lourdes maintenant. Ce n'est vraiment pas facile. Ne soyez pas trop durs avec nous si on se met dehors ! C'est une vraie question et ce sera un vrai challenge."
Globalement, c'est comme rouler sur du verglas.
Porsche parvient à bien maîtriser la montée en température de ses pneus.
Porsche parvient à bien maîtriser la montée en température de ses pneus.
Photo de: Rainier Ehrhardt
Le challenge proposé pourra aussi être un facteur différenciant en course entre ceux qui oseront plus que d'autres prendre des risques, parfois inutiles. "Il peut y avoir plus d'erreurs, mais elles viennent du fait qu'on ne veut pas perdre de temps et qu'on est dans une prise de risque maximale. Ce sera à nous de savoir", plaide Frédéric Makowiecki chez Porsche, où la mise en température des pneus apparaît comme un sujet assez bien maîtrisé.
Les prévisions météo sur Le Mans sont très incertaines en qui concerne la pluie mais côté mercure, il est déjà très clair que l'épreuve se disputera dans la fraîcheur, ce qui ne servira pas la cause des pilotes. Interrogé par Motorsport.com sur les sensations au volant avec les pneus froid, le Français rejoint les propos de Loïc Duval mais utilise une autre comparaison.
"Globalement, c'est comme rouler sur du verglas, c'est très, très proche", assure-t-il. "Tu arrives, tu tournes et ça ne tourne pas, la voiture va tout droit ; tu freines et ça ne freine pas... En plus, à l'heure actuelle, avec ces voitures qui ont pas mal de systèmes, les réactions sont encore plus imprévisibles. Donc en règle générale, ce n'est pas très agréable de rouler sur du verglas !"
"On essaie de privilégier le longitudinal, on va faire patiner les roues, et on va éviter de mettre du latéral parce que ça va faire qu'on sera sur des parties difficiles du pneu et que ça devient incontrôlable. On essaie de chauffer la partie intérieure du pneu pour que ça vienne aussi se propager sur l'extérieur, ce qui nous permet de mettre de plus en plus de rythme."
L'absence de préchauffage des pneus peut également impliquer des situations inattendues dans la première moitié du tour, notamment face à des GT ou prototypes LMP2 qui, le temps d'un secteur, peuvent se sentir pousser des ailes face aux Hypercars...
"Ce qui est sûr, c'est qu'une Hypercar qui part en pneus froids des stands, jusqu'à la sortie du Tertre Rouge elle est posée par rapport à une GT ou à une LMP2", prévient Loïc Duval. "Mais c'est la course, c'est à eux de faire gaffe et à nous de faire gaffe, c'est de la bonne entente entre tout le monde. Il faut que eux analysent qu'on est en pneus froids quand on arrive au freinage du Dunlop, et nous il faut aussi qu'on soit vigilants."
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