La Nouvelle-Calédonie et le métal du diable : refuser les fausses évidences
La Nouvelle-Calédonie et le métal du diable : refuser les fausses évidences
Pour les tenants de la « malédiction des matières premières », le drame néo-calédonien ne peut pas être une surprise, malgré la violence extrême de la situation. Affirmant que l'exploitation des sous-sols riches en ressources fossiles ou, plus rarement, minérales conduit systématiquement à un appauvrissement économique et à l'instabilité politique, cette approche prend appui sur de nombreux exemples, récents ou très anciens.
Si la question spécifique du dégel du corps électoral, donc étrangère à la problématique des matières premières, est bien centrale, invoquer cette malédiction pour expliquer la situation actuelle du « Caillou » est évidemment tentant. Toutefois, on ne saurait se contenter de son cadre trop général et de la lecture déterministe de l'Histoire qui la sous-tend. Des précisions s'imposent donc.
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Disposant des cinquièmes plus grandes réserves planétaires de minerai de nickel et troisième producteur mondial, la Nouvelle-Calédonie n'a pas su construire un modèle de développement fondé sur ces ressources. Actant cet échec, le pacte nickel, proposé en mars dernier par le gouvernement et dénoncé par les mouvements indépendantistes en raison de ses dispositions jugées « coloniales », se veut une réponse aux problèmes structurels de l'île.
Comment comprendre le pacte nickel
Qu'un plan de sauvetage d'une telle nature soulève nombre d'interrogations, de doutes ou de craintes semble logique, notamment au regard des clés de répartition de l'effort financier à consentir entre État, intérêts privés et collectivités territoriales pour parvenir à cette réforme. Qu'on le rejette, en pleine conscience ou sous le jeu d'une influence étrangère, sur la base d'une méconnaissance profonde de ce que sont les matières premières et des impératifs économiques associés à leur transformation, n'est, en revanche, pas acceptable.
Basé sur un diagnostic établi par l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'économie, le pacte nickel soutient partiellement les exportations de minerai brut, ce qui est perçu par ses opposants comme une disposition contraire aux intérêts calédoniens et donc favorable à Paris. L'impératif serait donc, selon toute logique, de favoriser plus encore la transformation locale de la ressource extractive afin de capter, au profit du territoire et de sa population, une fraction accrue de la valeur ajoutée présente dans la chaîne de valeur du nickel. L'argument est bien connu, nullement spécifique à la Nouvelle-Calédonie ou à ce métal et souvent présent dans les discours politiques. On ne peut toutefois lui donner un plein crédit pour deux raisons principales.
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En premier lieu, apprécier l'opportunité du traitement industriel du minerai, ou de toute autre matière première, impose de connaître les caractéristiques économiques du produit ainsi obtenu et du marché international sur lequel il est échangé. Transformer de la bauxite en alumine ou en aluminium, du concentré de cuivre en cathodes ou des limonites en fonte de nickel revient certes à obtenir un produit dans l'absolu mieux valorisé mais qui demeure une matière première et dont le prix sera, par définition, instable. La marge dégagée pourra donc être faible, et de toute façon incertaine, ce qui limite la mobilisation des revenus qui en découlent pour servir le développement économique d'un territoire. En revanche, lorsque la transformation conduit à obtenir un produit dont le prix est simultanément élevé et peu volatil, ce constat s'inverse.
Si le plan nickel considère bien la promotion des exportations de minerai, il valorise dans le même temps la fabrication de mattes de nickel et la priorisation du marché européen des batteries, ce qui, précisément, répond à ce dernier critère. En second lieu, il faut comprendre que toute stratégie de transformation de la ressource fait évoluer les « avantages comparatifs ». Disposer du minerai est certes déterminant, mais le coût de l'énergie l'est probablement davantage. Or, dans un marché ultraconcurrentiel tel que celui du nickel, c'est bien la compétitivité-prix de chaque producteur qui importe.
La Nouvelle-Calédonie peut s'en prévaloir sur le minerai, mais pas pour ses usines métallurgiques. Soutenir des exportations non rentables sans une modification profonde des conditions de production n'aurait guère de sens. C'est donc en toute logique que le pacte nickel conditionne les subventions énergétiques à la rationalisation des coûts, comme à la réalisation d'économies d'échelle et à une plus grande utilisation des capacités de production.
Le pacte nickel est-il parfait ?
Le modèle de développement de l'Indonésie, fondé sur l'interdiction progressive d'exporter du minerai et l'obligation de transformation locale, pourrait être facilement opposé à cette volonté de réforme de la filière nickel. Ce serait oublier qu'il se fonde aujourd'hui sur des conditions sociales et environnementales bien différentes et qu'il s'appuie très largement sur des investissements et un savoir-faire chinois. Ce serait également omettre que nombre de pays, au premier rang desquels les États-Unis mais également la France dans sa composante métropolitaine, ne transforment pas ou peu les matières premières qu'ils exportent? tout simplement parce qu'ils n'ont aucun intérêt économique à le faire.
Le pacte nickel est-il parfait ? Assurément non, car il ne peut pas l'être en raison de la multiplicité des enjeux et des parties prenantes. Fait-il sens ? Oui. Et, s'il y avait un reproche à formuler à l'encontre du gouvernement, il porterait sur sa vision encore trop restrictive de l'énorme potentiel de déstabilisation politique par le prisme des matières premières que des forces radicales et des puissances étrangères ont, elles, tout intérêt à mobiliser dans un contexte social et géopolitique largement dégradé.