Rupture avec l’AfD : avec qui le RN de Bardella siégera-t-il au Parlement européen ?
Rupture avec l’AfD : avec qui le RN de Bardella siégera-t-il au Parlement européen ?
Le Rassemblement national (RN) ne siégera plus avec son allié allemand de l’AfD (Alternative für Deutschland, « Alternative pour l’Allemagne ») au Parlement européen (PE). L’officialisation du divorce a été faite mardi à « Libération », à la suite des propos de la tête de liste allemande, Maximilian Krah, qui avait estimé, quelques jours plus tôt dans un entretien au quotidien italien « la Repubblica », qu’un SS n’« était pas forcément un criminel » et que la « culpabilité » de chaque membre des Schutzstaffel devait être étudiée « au cas par cas ».
Mercredi, l’AfD, formation créditée d’environ 15 % des intentions de vote en Allemagne, a annoncé bannir sa tête de liste de tout meeting électoral, mais le mal semble fait entre les partenaires d’hier, tant la stratégie de radicalisation de l’AfD paraît désormais incompatible avec celle, inverse, du RN.
Une nouvelle « ligne rouge » a été franchie par l’AfD, a confirmé Jordan Bardella, une de trop, alors que le parti d’extrême droite français, toujours empêché par le cordon sanitaire en place en sein des institutions européennes, cherche à gagner en respectabilité et à sortir de son isolement à Bruxelles et Strasbourg.
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Le RN aura pourtant mis beaucoup de temps à se débarrasser de son cousin allemand. En janvier, Marine Le Pen s’était ainsi contentée de lui adresser une mise en garde suite à la révélation par la presse allemande d’une réunion tenue en novembre à Potsdam, à laquelle plusieurs dirigeants du parti avaient participé et envisagé un projet de « remigration » massif, consistant à envisager l’expulsion de plusieurs millions de personnes, dont des citoyens allemands. La rencontre organisée à Paris, le 20 février, entre les huiles du RN et Alice Weidel, la présidente de l’AfD, n’avait pas permis de clarifier leurs désaccords, Marine Le Pen laissant entendre dans la foulée qu’« un certain nombre de questions [restaient] en suspens » et étaient de nature à remettre en cause sa collaboration avec l’AfD à l’avenir.
N’en jetez plus, ces dernières semaines, l’assistant de Maximilian Krah a été arrêté pour des soupçons d’espionnage au profit de la Chine. Quant à Björn Höcke, figure de la frange la plus radicale du parti, il était condamné à 13 000 euros d’amende pour avoir utilisé un slogan nazi, provoquant la « mise sous surveillance » de la formation politique par le renseignement intérieur…
Nouveaux équilibres après le 9 juin
A quelques semaines du scrutin européen, qui devrait enregistrer une poussée sans précédent des formations d’extrême droite, populistes et nationalistes, cette prise de distance du RN à l’égard de l’AfD pourrait en réalité augurer une large recomposition au PE de ces forces, aujourd’hui scindées en deux groupes parlementaires : Identité et Démocratie (ID), auquel appartient le RN ; et les concurrents du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), mené par Fratelli d’Italia de la Première ministre italienne Giorgia Meloni ou les Espagnols de Vox. Rien ne garantit que ces équilibres seront maintenus après le 9 juin.
Jusque-là, le RN se refusait à évoquer précisément la composition de la future assemblée européenne, arguant que « tout se décidera après le scrutin », en fonction « du poids de chacun ». Ces derniers mois, Marine Le Pen, après avoir poursuivi pendant des années le projet de construction d’un « super groupe » nationaliste, ne cachait d’ailleurs plus sa lassitude face aux questions liées aux équilibres parlementaires, préférant creuser la piste d’une « minorité de blocage » post-9 juin, à savoir des ententes de votes ponctuelles entre les partis nationalistes – peu importe le groupe auquel ils sont rattachés.
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Officiellement, cet objectif est toujours d’actualité mais la nouvelle donne va contraindre le RN à consolider ses affinités au sein du groupe ID et à chercher de nouveaux associés. Une ambition confirmée par Bardella ces derniers jours : « Le RN aura de nouveaux alliés après les élections. Les groupes du Parlement européen seront remis à zéro après le scrutin du 9 juin. »
En dépit du risque d’affaiblissement qu’induit la perte de la dizaine d’eurodéputés de l’AfD, le RN et le groupe IDparient sur les bons scores promis dans les sondages à plusieurs de ses délégations pour arriver en position de force dans les négociations qui s’ouvriront dès le lendemain du scrutin. Notamment aux Pays-Bas, en Flandres, où les cousins du RN, le Parti pour la Liberté – dirigé par Geert Wilders – et le Vlaams Belang, sont en forte progression. Des renforts auxquels se grefferont sans doute les nouveaux élus portugais de la Chega. Les Autrichiens du FPO, eux aussi en tête dans les sondages mais favorables aux thèses les plus radicales de l’AfD, devront trancher entre leur alliance historique avec les Allemands et leur affiliation au groupe ID. De quoi menacer l’existence même d’ID, soumis à l’obligation de compter sept nationalités en son sein ?
Vers une union des (extrêmes) droites européennes ?
Le RN compte encore de nombreuses amitiés sulfureuses en Europe – en témoigne le casting (détaillé ici par « le Monde ») du raout identitaire, homophobe et complotiste auquel Bardella avait participé en début décembre à Florence, en Italie. Les frontistes pourraient néanmoins tenter de capitaliser sur le gage de dédiabolisation qu’envoie sa rupture avec l’AfD. Matteo Salvini et la Lega italienne, les Tchèques du SPD (Liberté et Démocratie directe) se sont ainsi déjà publiquement félicités de la décision des Français et le groupe ID a annoncé ce jeudi, conformément à la position du RN, l’exclusion pure et simple de l’AfD.
Le RN espère surtout que cette prise de distance poussera des formations membres de l’ECR, à reconsidérer un rapprochement avec lui, à l’instar des Polonais du PiS. Courtisé par l’ECR et ID, Viktor Orban, et son puissant Fidesz, avait été exclu en 2021 du PPE (Parti populaire européen, auquel appartiennent notamment Les Républicains) et cherche toujours un point de chute pour ses eurodéputés. Comme les Polonais, il refusait jusque-là toute alliance avec le RN en raison de sa proximité avec l’AfD, ce qui est désormais de l’histoire ancienne.
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Dans ce micmac, l’attitude de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien et présidente de l’ECR, sera déterminante. Longtemps hostile à tout accord avec le Rassemblement national – qui est allié à son concurrent Matteo Salvini et qu’elle considère (entre autres) trop ambigu sur la question du conflit en Ukraine –Meloni a récemment affirmé vouloir construire une nouvelle majorité au Parlement européen constituée de « partis compatibles dans leur vision bien qu’ayant des nuances complètement différentes ».
Une union des partis eurosceptiques (qui ressemble furieusement à l’union des droites que Marine Le Pen refuse en France) dans laquelle le RN pourrait tenter de peser de tout son poids : à savoir, a minima, une trentaine d’eurodéputés, selon les dernières projections, faisant probablement du parti fondé par Jean-Marie Le Pen la délégation partisane la plus importante, en nombre d’élus, de la prochaine législature – derrière l’alliance centriste allemande formée par le CDU et le CSU. Et, selon un cadre RN :
« Il ne faut pas oublier non plus que nos partenaires européens, même ceux qui se bouchent le nez en parlant de nous, regardent les sondages pour la présidentielle française. Demain, si Marine Le Pen est élue, ni Meloni, ni Orban ne refuseront une alliance avec elle à la Commission européenne. »
Invitée ce week-end à Madrid par Vox, Marine Le Pen s’est vue présentée par le dirigeant de ce parti membre de l’ECR et proche de Meloni et Orban, comme la future « présidente de la France ».