Des vacances sans billets de banque ou presque : avec la fin du cash, le «romantisme» des monnaies étrangères se perd
La devise étrangère serait-elle devenue ringarde pour une partie des voyageurs ?
À l’aube des vacances d’été, certains se préparent à un rituel quasi immuable. Ils se rendent dans un bureau de change ou à leur banque pour retirer des devises étrangères : dollars, pesos mexicains, bahts thaïlandais... Des billets qui constituent souvent le premier acte d’un voyage hors de la zone Euro. Mais avec le développement continu des modes de paiements électroniques, cette douce habitude a du plomb dans l’aile. Emmanuelle, 34 ans, s’est complètement passée de cash pour son voyage en Chine, l’an dernier. «Sur place, j’ai utilisé une application de paiement, Alipay [qui dépend du groupe chinois Alibaba, NDLR]. J’ai également téléchargé WeChat, mais à l’époque, l’application ne fonctionnait pas si on n’avait pas de compte bancaire chinois», se souvient-elle.
Durant son voyage de trois mois, elle n’utilisera qu’à une seule reprise de l’argent liquide, lors d’une sortie en canoë. «Alipay ne marchait pas. C’est la seule fois où j’ai dû retirer des yuans [monnaie officielle chinoise, NDLR] à un distributeur de billets.» Avec son compagnon, elle s’habitue aux transactions électroniques à la sauce chinoise. Il lui est même parfois impossible d’utiliser le moindre billet de banque. «Souvent, dans les commerces, il y a deux QR Code : un pour Alipay, l’autre pour WeChat», raconte-t-elle. «Même les personnes qui mendient dans la rue portent sur elles un QR code WeChat, comme il n’y a plus d’argent physique.»
Certaines devises ne séduisent plus
Cette expérience a fait changer son rapport au cash. «C’était vraiment très pratique, surtout quand on a besoin de rembourser les personnes.» Emmanuelle n’est pas seule dans ce cas. En France, l’utilisation d’espèces décline peu à peu, comme le jauge la Banque de France. En 2022, elle pièces et billets ne représentaient plus que 50% des paiements, contre 57% en 2019 et 68% en 2016. Et ce, même si l'argent liquide demeure le moyen de paiement préféré des Français, selon une enquête de la Banque Centrale Européenne. Si payer en espèces reste encore courant dans l’Hexagone, les usages changent beaucoup plus vite dans certaines destinations étrangères. Les premiers à observer ce changement sont logiquement les comptoirs de change. «Il est vrai que les voyageurs français ont de moins en moins de cash sur eux. Cela peut avoir un impact chez nous, car une partie de la clientèle vient moins», note Cécile Courty, responsable d'un bureau de change situé à côté de l'Opéra Garnier, à Paris.
En réalité, tout dépend de la destination. En Europe, certaines devises ne séduisent plus : «on ne vend quasiment plus de franc suisse. De même pour le lev bulgare ou le zloty polonais», relève la responsable. Pour beaucoup, leur attractivité dépend du taux de change. «Sur les États-Unis, nous avons, par exemple, observé une baisse du panier moyen pour le dollar, quasi à parité avec l’euro. Mais en Asie, c'est différent. Au Japon, le taux de change avec le yen nous est favorable», explique Cécile Courty. L’utilisation de certains services bancaires, comme Revolut, change aussi les usages. La banque en ligne, basée à Londres, mise sur des taux de change favorables. «La société nous a pris des parts de marché, mais pas pour tous les voyageurs : elle a surtout touché ceux qui partaient sur plusieurs destinations. Les autres, qui partent dans un pays, pour une fois, ne prennent pas ce genre de carte», souligne Cécile Courty.
C’est pourtant avec ce type de service que Revolut, forte de 40 millions de clients dans le monde, fait la différence aujourd’hui. «Quand il y a une période de vacances, nous voyons une accélération du nombre de nouveaux utilisateurs sur notre plateforme. Ils vont prendre une carte bancaire chez nous pour leur prochain voyage», observe Antoine Le Nel, directeur de la croissance et du marketing chez Revolut. De quoi abandonner le liquide en dehors de la France ? Pas forcément, révèle la banque en ligne. Si, à l’étranger, le pourcentage de retraits aux guichets est en baisse, le montant du retrait moyen se révèle, quant à lui, en légère hausse, notamment en raison de l’inflation.
Des territoires «sans espèces»
Une nouvelle manière de voyager qu’a expérimenté Solène, jeune voyageuse de 33 ans. Au début de l’année, elle part en Afrique du Sud avec sa sœur. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle a découvert que cette dernière ne tenait pas à échanger du liquide avant de partir ! «Je prends toujours l’équivalent de 200 euros, parce que j’ai déjà eu des problèmes avec ma carte bleue et je me suis déjà retrouvée sans le sou à Cuba», nous raconte-t-elle. «Il y a encore pleins d’endroits où il faut payer en cash. Pourtant, en Afrique du Sud, c’est la norme de payer avec la carte ou via des applications mobiles.» Dans la nation arc-en-ciel, il n’est pas rare d’entrer dans des magasins et des restaurants qui n’acceptent plus les espèces. Question de praticité, mais aussi de sécurité, dans un pays où le taux de criminalité reste très élevé.
Sa sœur a donc utilisé la carte bancaire, utilisable sans frais à l’étranger, pendant toute la durée de leur voyage. Elles avaient seulement retiré l’équivalent de 50 euros (environ 965 Rands, la monnaie sud-africaine), pour un taxi et les pourboires. «Ça a été une drôle d’expérience, car pour moi, le cash inspire une sécurité physique. Quand il y a un problème avec la machine ou la banque, c’est important d’avoir de l’argent en toute situation», explique Solène. Pourtant, la crise du Covid-19 a changé notre rapport aux pièces et billets, qui sont même devenus le temps d’une pandémie sources de microbes.
«Certains territoires, comme Singapour, sont quasiment devenus des territoires ’cashless’ [sans espèces, NDLR]. Cette tendance est encore plus forte que dans les pays nordiques , réputés pour ne pas utiliser trop de liquide», analyse Antoine Le Nel. Adieu, donc, les espèces en vacances ? Pas si vite ! Nombre de pays nécessitent le recours au cash, comme certains territoires d’Europe de l’Est, mais aussi en Asie et en Amérique du Sud. En outre, le billet de banque étranger constitue encore, pour une partie des voyageurs, la trace de leur passage sur un territoire. Bien plus qu’un «magnet» ou un petit souvenir trouvé dans un marché aux puces...
«Quand on se rend aux États-Unis , le dollar n’est plus forcément considéré comme un souvenir de voyage, car il n’y a pas de particularité liée au pays [il est la monnaie officielle de plusieurs États, ndlr]. C’est différent si l’on voyage au Sri Lanka où l’on garde généralement la monnaie [la roupie sri-lankaise, ndlr] car c’est un pays dans lequel on n’est pas sûr de revenir», explique Cécile Courty. Un souvenir presque romantique, que conserve également Emmanuelle. «J’avais un billet de 20 yuans, qui représente les montagnes à côté de la ville de Guilin, en Chine. Je me souviens qu’avec mes amies sur place, nous nous en sommes servis pour prendre des photos. On l’a gardé pour le souvenir.»
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