Législatives en France : les six issues possibles après une forte participation
Les spécialistes de l’opinion s’accordent sans exception pour prédire une très forte vague d’extrême droite ces dimanches 30 juin et 7 juillet.
Evidemment, les précautions d’usage s’imposent. Surtout pour des législatives à deux tours, dont le second sera déterminant, en fonction des qualifications et des désistements éventuels dans les 577 circonscriptions. Mais on a beau prendre les scénarios avec toutes les pincettes, les spécialistes de l’opinion s’accordent sans exception pour prédire une très forte vague d’extrême droite ces dimanches 30 juin et 7 juillet. Voici, avec deux d’entre eux, Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, et Bernard Sananès, président d’Elabe, la revue des issues sur lesquelles pourrait déboucher le scrutin.
1
Une majorité absolue pour l’extrême droite
Les instituts de sondage jugent cette hypothèse plausible même si ce n’est pas le scénario qu’ils privilégient. Le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella décrocherait dans ce cas plus de 289 députés dans un hémicycle qui en compte 577. « Tout laisse à penser que le scrutin sera une réplique des européennes », analyse Bernard Sananès, président d’Elabe. « Le RN a continué sa progression, d’abord parce qu’il bénéficie d’un effet de vote utile des électeurs d’Eric Zemmour (Reconquête) dont il a siphonné les voix. Ensuite, il bénéficie du ralliement d’Eric Ciotti, le président de LR. L’opération politique a moyennement marché parce qu’il n’a pas amené au RN un grand nombre de barons de la droite modérée. Mais cela a désinhibé un certain nombre d’électeurs qui hésitaient à franchir le pas de voter pour l’extrême droite. » S’il n’obtenait pas la majorité absolue au soir des élections, le RN pourrait l’obtenir dans un deuxième temps. Le parti d’extrême droite pourrait attirer à lui une partie de la droite classique dans le vivier de laquelle il pourrait puiser des personnalités expérimentées pour devenir ministres.
2
Une majorité relative pour le RN
C’est l’hypothèse la plus probable selon les spécialistes de l’opinion. « La vague RN se nourrit de l’idée d’alternative », décrypte Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. « C’est l’idée qu’on a essayé tout le monde, mais jamais le RN. Dans nos enquêtes qualitatives, on entend beaucoup : “Pourquoi pas eux ? C’est leur tour !” La deuxième raison qui explique la vague RN pressentie, c’est le sentiment que ce parti a réussi à coller aux préoccupations des Français », poursuit l’analyste. « Le pouvoir d’achat, l’immigration, l’insécurité et la santé : ces sujets ont été préemptés depuis longtemps par le RN. Et puis, enfin, ce qui explique le succès du RN, c’est l’incarnation Bardella et le fait que Marine Le Pen ne fasse plus peur. En 2022, celui qui faisait peur, c’était Eric Zemmour. Maintenant, c’est Jean-Luc Mélenchon. » Pour Bernard Sananès, d’Elabe, l’ampleur de la majorité relative sera déterminante. « Si le RN obtient 250 députés, il sera très difficile pour Jordan Bardella de refuser de gouverner. Ses électeurs ne le comprendraient pas. »
3
Une forte résistance de la gauche
En quelques jours, la gauche (Insoumis, socialistes, Verts et communistes) a réussi à s’allier dans un Nouveau Front populaire (NFP) alors qu’Emmanuel Macron pariait justement sur sa division en décidant d’une dissolution surprise. Les partis de gauche ne présentent donc qu’un candidat unique dans les circonscriptions. « La dynamique unitaire à gauche se traduit dans la mobilisation », explique Bernard Sananès. « La participation électorale à gauche progresse, notamment chez les jeunes. En revanche, elle est pénalisée par un report de voix qui ne se fait pas à 100 % entre les différentes composantes. Près d’un quart de l’électorat social-démocrate de Raphaël Glucksmann (Place publique, soutenu par le PS) aux européennes dit ne pas vouloir voter pour le candidat du NFP quand celui-ci est un Insoumis. La gauche pourrait faire un très bon score au premier tour, mais elle aura plus de mal au second », poursuit le spécialiste de l’opinion. « Car l’effet repoussoir du NFP est devenu plus fort que celui du RN. Dans nos enquêtes, 50 % des sondés sont inquiets de l’arrivée du RN, et 53 % de l’arrivée du NFP. L’envie de faire barrage à gauche est plus grande que l’envie de faire barrage à l’extrême droite. C’est une donnée complètement nouvelle de la vie politique française. »
Une victoire de la gauche ? « Il ne faut jamais dire jamais », estime pour sa part prudemment Fréderic Dabi. Mais il y croit peu. « La gauche a plusieurs problèmes », analyse-t-il. Outre ceux déjà évoqués par son confrère, il identifie aussi le manque de réserve de voix. « Ça fait dix ans que la gauche fait le même score aux élections, quelles qu’elles soient : entre 30 et 32 %. »
4
Un effondrement du bloc macroniste
Le camp du président anticipe déjà la défaite. Alors que les macronistes disposaient depuis les législatives de 2022 d’une majorité relative, ils pourraient voir leur représentation au palais Bourbon diminuer de moitié ! Est-ce qu’un coup de théâtre est encore possible, qui permettrait malgré tout à Emmanuel Macron de réussir son pari ? « Franchement, à part la Russie qui déclarerait la guerre à la France, ce qui entraînerait un “effet drapeau” (un réflexe de regroupement autour du pouvoir en place par désir de stabilité, NDLR), je ne vois pas ce qui pourrait rebattre les cartes », estime Frédéric Dabi.
«Р’В Le bloc central a vu son score gonfler un peu par rapport aux europГ©ennes. Il a fait 14,5Р’В % et il est maintenant testГ© autour de 19 ou 20Р’В %Р’В Р’В», dГ©crypte Bernard SananГЁs. « Mais cРІР‚в„ўest le seul bloc qui nРІР‚в„ўa pas passГ© dРІР‚в„ўalliance, Г lРІР‚в„ўexception locale de quelques rares circonscriptions oР“в„– un accord a Г©tГ© passГ© avec la droite. Il y a une dimension de rejet dРІР‚в„ўEmmanuel Macron qui est trГЁs forte dans cette campagne, une incomprГ©hension de la dissolution et un jugement sГ©vГЁre sur la parole du prГ©sident. Depuis le dГ©but de son mandat, il nРІР‚в„ўa pas rГ©ussi Г crГ©er de nouvelle dynamique et cРІР‚в„ўest pareil dans cette campagne oР“в„– il nРІР‚в„ўy a pratiquement aucune nouvelle mesure annoncГ©e. La majoritГ© actuelle joue exclusivement en dГ©fense. Comme l’équipe de foot, elle a du mal Г marquer des buts.Р’В Р’В»
5
Une grande coalition « ni ni ».
C’est le scénario imaginé par l’ancien Premier ministre Edouard Philippe : une grande coalition « à la belge » ou « à l’allemande » qui réunirait les modérés de tous bords. Une coalition dite « ni ni », qui n’accepterait en son sein ni le RN ni la France insoumise mais qui irait du Parti socialiste et des Verts jusqu’aux élus de droite non ciottistes (Les Républicains « canal historique »). « Cela supposerait qu’il y ait un sursaut de la majorité », indique Bernard Sananès, qui n’y croit pas beaucoup. « Aujourd’hui, les enquêtes donnent le camp présidentiel autour de 100 sièges, voire moins. Or pour être l’acteur d’une nouvelle coalition, il faudrait a minima 150 à 170 sièges (sur les 577 que compte l’Assemblée, NDLR). Deuxième obstacle : même si tout peut arriver dans cette séquence totalement inédite, on n’imagine pas la gauche se disloquer immédiatement après avoir fait campagne ensemble. Si elle est amenée à se disperser, ce serait éventuellement au fur et à mesure de l’application des programmes du nouveau gouvernement. »
6
Un Parlement introuvable
C’est le scénario du blocage, avec trois grands camps qui s’opposeraient sans qu’aucune majorité claire ne puisse se dégager. Cette situation serait totalement inédite sous la Ve République, dont les institutions avaient justement été imaginées pour favoriser des majorités et donc garantir la stabilité. Le rôle du président « au-dessus de la mêlée » serait alors à inventer. En cas de majorité relative du RN et si Jordan Bardella confirmait alors son refus de gouverner, le chef de l’Etat pourrait par exemple appeler à Matignon une personnalité « RN-compatible » située hors du parti à la flamme, comme Eric Ciotti. Institutionnellement, rien, absolument rien, n’obligerait Emmanuel Macron à démissionner en cas de blocage. Il a d’ailleurs fermement exclu cette hypothèse et retrouvera dans un an sa capacité de dissoudre à nouveau l’Assemblée. Mais quid en cas de chaos politique et/ou d’émeutes dans le pays ? « La pression politique et médiatique serait forte et les électorats opposés au président pousseraient dans cette direction », répond Bernard Sananès. Mais, pour l’instant, ce scénario ne relève que de la politique-fiction.