Un trésor caché délicatement rénové Rive gauche
L’adresse, dans une impasse du XIVe arrondissement, accueillait naguère la fondation Cartier Bresson. L’immeuble est Art nouveau, avec des frises sur les murs extérieurs, des bow-windows, des touches de Sécession Viennoise et toutes les caractéristiques de l’époque. « On s’attendait à retrouver tous ces marqueurs à l’intérieur. Ce que l’on a trouvé, c’est un appartement Art déco, plus simple et néanmoins magnifique. C’était, depuis 1945, l’atelier du peintre et illustrateur Jean Cortot, dit le peintre des mots, qui a réalisé de nombreuses toiles, dont la série des fameux Tableaux-poèmes, nous confient les architectes Pierre et François Voirin, de l’agence d’architecture Frères Voirin. L’appartement-atelier n’avait pas encore été vidé, on y a trouvé énormément de poussière… et des œuvres absolument partout, y demeurait encore toute son œuvre et ses années de travail, c’était magique. » Aucune modification du plan de l’appartement n’ayant été réalisée, subsistent des témoignages de la vie d’avant : des petites cheminées dans toutes les pièces, quasiment pas de cuisine, de tout petits escaliers, les moulures propres à ces années-là, un parquet à fines lames… une multitude d’éléments qui, en 2023, sont extraordinaires à retrouver. Dans cette « maison enchantée », les deux architectes se rendent rapidement à l’évidence : il sera compliqué d’intervenir sans dénaturer l’endroit et plus difficile encore d’être insensible à cet existant fabuleux et ce subtil esprit du lieu.
Le salon, à la hauteur spectaculaire de 6,5 m., est éclairé par une grande ouverture en arche et une verrière à son sommet. Sa longueur de 8 m. accueille une partie salon de 4 m. Canapé et lampadaires (Gaetan Lanzani). Radiateur à ailettes d’époque (Antiquité Jean Neveu).
Un lieu magique
Commence alors un long processus de réflexion pour honorer l’histoire de l’appartement et rendre difficile pour un œil nouveau de saisir ce qui a été ajouté ou transformé. « Un défi impossible puisque dès que l’on commence à toucher à un lieu on est contraint de lui faire perdre un peu de sa magie avec les défauts et les scories de la modernité. Il fallait donc adapter les symboles visibles du confort d’aujourd’hui – cuisine équipée, chauffage… – sans que cela se voit. » Et donc de se poser ces questions : Quels éléments conserver pour ne pas altérer l’âme de l’appartement ? Quels détails symbolisent vraiment la beauté de son origine ? Pierre et François Voirin y apportent une réponse de restaurateurs de tableaux : être subtil, ne pas placer leur ego dans ce projet, être au service du lieu. À commencer par le plan, similaire à celui d’une église. Le cœur c’est l’atelier, une pièce immense de 6,5 m. de hauteur sous verrière qui donne sur le ciel et offre un volume impressionnant que Frères Voirin décide de conserver. Autour, une série de petites pièces attenantes comme autant de chapelles dans lesquelles on entre par d’étroits passages, « une disposition que l’on ne voit plus à Paris où domine le schéma haussmannien et ses volumes attendus ». Misant sur ces volumes singuliers, les architectes décident de redonner toute son ampleur à l’atelier et à conserver, en contraste, l’étroitesse des passages et les proportions des pièces qui y sont reliées. Tout ce qui avait été ajouté sera « débroussaillé » pour retrouver la pureté des volumes d’origine.
L’autre partie de la grande pièce de vie accueille la salle à manger. Pour répondre la taille hors-norme des lieux, au-dessus de la grande table ronde, une lampe en papier de riz aux dimensions spectaculaires installée sur poulie afin de varier les ambiances, dans une approche lustre d’église toute trouvée pour ce salon cathédrale.
Une intervention discrète
D’un point de vue structurel, un placard est supprimé dans l’entrée et, dans la cuisine, un mur-meuble-vaisselier crée un ouverture vers l’ancienne cuisine qui n’a pas été déplacée mais juste visuellement agrandie en l’ouvrant sur un coin repas où l’on retrouve des éléments de la cuisine. Une ouverture qui marque un passage et respecte là aussi les proportions de l’époque en évitant l’ouverture totale avec îlot, trop contemporaine. « Ces deux petites pièces manquaient de lumière, en les ouvrant on fait circuler le jour aidés en cela par un jeu de miroirs vieillis au-dessus de la crédence qui crée des réflexions. »
Dans le détail, une rambarde ajoutée est recopiée à l’identique, les moulures Années 1930 qui entourent les portes de placards sont dupliquées sur le meuble de la cuisine et, dans la chambre, les poutres anciennes qui soutiennent la structure sont conservées. Des radiateurs à ailettes provenant des anciens locaux de la Samaritaine correspondant aux années de construction de l’appartement sont installés sous la grande ouverture du salon –. toujours dans l’idée de se fondre dans le décor sans le dénaturer en le modernisant outre mesure. « Ce projet soulève des questions très intéressantes d’interprétation de l’ancien, ses strates, celles à conserver et celles relevant d’un ajout moins intéressant, c’était vraiment un travail de restauration avec, comme pierre angulaire, l’idée selon laquelle dès que l’on intervient on dénature l’endroit… » Toute la subtilité de cette rénovation se situe sur cette ligne de crête qui tient, avouons-le, de l’injonction contradictoire.
Le salon-cathédrale était l’atelier proprement dit du peintre et illustrateur Jean Cortot, qui occupait cet appartement depuis 1945. Canapé et lampadaire (Gaetan Lanzani).
Le respect de l’ancien
Contradictoire mais pas impossible. Dans le salon aux proportions étranges de 8 m. par 4, un peu étroit et mal proportionné, Frères Voirin rééquilibre l’ensemble sans recours à une solution structurelle puisqu’il s’agit de conserver le volume. En lieu et place, ce sont des éléments de décor qui viennent marquer les deux parties, salon et salle à manger en deux carrés parfaits de 4 m. sur 4. Le salon est délimité par le dossier du canapé, tandis que le passage menant à l’entrée, situé pile entre les deux carrés, crée une démarcation naturelle, volontairement laissée libre, à sa gauche une grande table ronde symbolise la salle à manger. Au-dessus, une lampe en papier de riz aux dimensions spectaculaires est installée sur poulie afin de varier les ambiances, dans une approche lustre d’église toute trouvée pour ce salon cathédrale.
Matières et couleurs sont simples, le grand volume ne pouvant être traité autrement que par une couleur claire. Le choix des matériaux est guidé par ceux d’origine : les sols sont restaurés en ne changeant que les parties altérées, la cuisine est réalisée sur mesure en chêne pour se fondre avec le parquet, la crédence est en losanges pour rappeler le sol de la cuisine et les miroirs sont vieillis pour donner un peu de patine. De même, fenêtres et verrières sont conservées le plus possible. « Elles ont été réalisées à l’ancienne et en bon état, ce qui guide toujours notre travail. Pourquoi refaire ce qui est existant et remplit bien sa fonction ? » Dans cette archéologie architecturale où Frères Voirin met au jour et avance à pas comptés, il s’agit de faire disparaître la modernité autant que possible, interpréter le passé pour créer un projet qui ne dénature pas et qui a du sens. Un tour de force, et une vraie réussite.
freres-voirin.com
La salle à manger et, derrière, l’escalier qui mène à une mezzanine qui dessert les chambres. Paravent (Gaetan Lanzani).
La structure du plan a été conservée, avec ses deux entrées, une depuis le coin repas donnant sur le salon, et celle-ci, depuis l’entrée, sur la salle à manger. Paravent (Gaetan Lanzani).
Le salon vu depuis le coin repas de la cuisine. Le vaisselier est peint blanc pour se fondre à la peinture choisie pour les murs. Le chêne du mobilier domine pour s’accorder au parquet.
C’est dans une grande arche que sont intégrées les portes donnant sur la cuisine, comme ici, ou, à droite du radiateur, sur l’entrée. Un élément d’origine de l’appartement que les architectes de Frères Voirin ont souhaité conserver.
Le coin repas et la cuisine proprement dite communiquent par une grande ouverture menuisée intégrant de chaque côté une partie vaisselier. Les deux espaces bénéficient d’une plus grande circulation du jour, augmentée par les miroirs situés au-dessus de la crédence.
La nouvelle configuration semble être d’origine, une volonté de Pierre et François Voirin. On note la bordure du passage identique à celles des placards de la pièce de vie, avec leur décroché années 1930. La crédence est en carreaux posés en losanges pour rappeler ceux du sol, identiques à l’origine. Au mur, des appliques rondes Space Age (Staff Leuchten). Meubles de cuisine dessinés sur mesure (Doffer). Verres de Biot et vaisselle (La Romaine Editions).
La disposition des pièces de l’appartement est inhabituelle, avec beaucoup de petits passages et de portes, ce qui va à l’encontre des réflexions d’aujourd’hui. Cela crée aussi des perspectives où l’on voit plusieurs pièces se succéder, ce qui n’aurait pas été possible si les architectes avaient tout ouvert.
Une grande verrière éclaire l’espace salon et salle à manger. Cette mezzanine qui domine la pièce de vie mène aux chambres et aux salles de bains.
Dans le même souci de préserver l’esprit du lieu, les poutres structurelles de la chambre principale ont été conservées et même mises en valeur et laissées visibles. Elle marquent la séparation entre la chambre et la salle de bains. On aperçoit dans le mur-miroir, au fond, le reflet du meuble vasque situé au premier plan, face au lit. De la baignoire, on aperçoit la robinetterie.