« Si on compare avec la génération précédente, le niveau a baissé » : les étudiants cumulent les fautes en français
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En orthographe aussi, « c’était mieux avant » ? Quand on demande à des enseignants du supérieur si le niveau en français des étudiants a baissé, la réponse est policée : « Oui, si on compare avec la génération précédente, il y a 25 ans, le niveau a baissé » reconnaît Cécile Tassou-Cadeau, directrice adjointe du programme bachelor d’Audencia. « En orthographe, en syntaxe, mais aussi pour tout ce qui relève de l’organisation et de la structuration des idées, même de très bons étudiants du master grande école font désormais des fautes. On peut par exemple avoir des copies avec « les contrat » écrit sans S… Mais le problème ne s’est pas accentué depuis 2 ou 3 ans ».
De son côté, s’il regrette un appauvrissement général du vocabulaire de ses étudiants et étudiantes, Yann Bisiou, maître de conférences en droit à l’université Paul Valéry – Montpellier 3, tient à souligner qu’il a régulièrement des étudiants brillants en expression écrite : « Cette année dans le cadre de la prépa Talents+, je supervise notamment deux étudiants de L3 qui me bluffent par la qualité de leurs copies ».
Goulven, professeur de français en CPGE depuis 10 ans, aujourd’hui en poste à Saint-Brieuc après Lyon, se veut lui aussi nuancé : « En classe prépa aussi, beaucoup d’étudiants ont des difficultés avec le français, mais la situation n’était déjà pas mirobolante il y a 10 ans. Et puis il y a des effets de filière, les prépas ECG écrivent mieux que les prépas scientifiques, par exemple ». Michel Magniez, enseignant en communication à l’IUT d’Amiens, complète : « Les inégalités sont toujours les mêmes qu’il y a quinze ans : il y a ceux qui maîtrisent très bien la langue, ceux qui ont beaucoup de difficultés, et tout un continuum intermédiaire entre les deux extrêmes ».
Si le constat dressé par ces enseignants reste bienveillant, il est clair : les étudiants d’aujourd’hui sont effectivement moins bons en français que leurs aînés, parents ou grands-parents, mais c’est une réalité qui ne concerne pas que « la génération covid ». Et la tendance n’est pas à l’amélioration puisque selon la dernière étude PISA, publiée en décembre dernier, la compréhension de l’écrit des élèves français âgés de 15 ans est passée en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE.
600 heures de cours de français perdues
Pour nos enseignants, une première explication à ces contre performances est à chercher du côté des programmes officiels de français du primaire et du secondaire. Ainsi selon les chiffres du collectif Sauver les lettres, un jeune diplômé des années 2020 aura reçu pendant ses années de primaire et de collège 600 heures de cours de français de moins que les ados des années 70 – soit l’équivalent de deux années d’enseignement perdues pour cette discipline.
Leur vocabulaire est souvent pauvre parce qu’ils ne lisent pas assez
Yann Bisiou, maître de conférences en droit
Mais la baisse des heures de français n’est pas la seule responsable de la baisse de niveau en orthographe, en syntaxe, ou même en compréhension : « Récemment j’ai fait le test avec ma fille et mes élèves, explique Yann Bisiou, en leur demandant ce que signifiait le mot « anfractuosité » : personne n’a su me répondre. Leur vocabulaire est souvent pauvre parce qu’ils ne lisent pas assez ».
S’ajoute à cela l’irruption dans l’enseignement supérieur comme dans toute la société de l’intelligence artificielle : correcteurs orthographiques qui corrigent en temps réel les défauts d’accords sans effort, mais aussi depuis 2 ans, les IA génératrices de texte, comme ChatGPT : « Nous n’avons rien contre ces outils, explique Céline Tassou-Cadeau, mais les étudiants n’en font pas toujours un bon usage, par exemple au lieu de se servir de ChatGPT pour dégrossir un sujet ils le font travailler à leur place, prennent tout ce qui en sort pour argent comptant, ce qui dégrade leur capacité à organiser leur pensée, et donc leurs textes ».
Dictées et lectures pour progresser
Bien conscients du problème, certains professeurs mettent en place des cours dédiés, comme Goulven qui en début d’année fait faire des dictées à ses élèves de prépas, qu’ils corrigent ensuite tous ensemble ; à Audencia il a été décidé de ne pas sanctionner les fautes dans les devoirs sur table, mais elles le sont dans les travaux faits à la maison, puisque les étudiants ont la possibilité de se faire relire avant de remettre leur travail. Des acteurs privés comme le Projet Voltaire se sont aussi lancés sur ce qu’il faut bien appeler un marché : l’organisme créé en 2008 a ainsi développé, outre des cours en ligne, le « Certificat Voltaire », une certification en orthographe et en expression notée sur 1000, à faire figurer sur son CV, comme le TOEFL en anglais.
Il faut lire de tout pour faire passer le maximum de mots différents devant ses yeux
Goulven, enseignant en CPGE
Ainsi tous les étudiants des écoles d’ingénieurs doivent, pour décrocher leur diplôme, valider ce certificat, et il est aussi exigé par certaines écoles de management, dont Audencia. Martin, 21 ans, étudiant à l’ENSIBS, en Bretagne, a décroché le certificat Voltaire l’année dernière, en 3e année de son école d’ingénieur : « J’avais déjà travaillé avec cette plateforme en IUT, j’ai bien aimé l’utiliser, c’est assez ludique. Cependant je n’avais pas de grosses difficultés en orthographe, et le niveau à atteindre, autour de 500 points pour le diplôme d’ingénieur, ne me semblait pas très haut ».
Mais quelle solution pour les étudiants et les étudiantes qui, contrairement à Martin, ont un vrai souci avec le français, à l’écrit comme à l’oral ? « Il n’y a pas de miracle, il faut lire, beaucoup », conseille Goulven, le professeur de CPGE, « il faut lire de tout pour faire passer le maximum de mots différents devant ses yeux », insiste-t-il.
Ayant eu l’occasion de tester la plateforme Voltaire dans son ancien lycée, Goulven reconnaît qu’elle est plutôt « bien faite » : les étudiants qui y ont accès gratuitement ne doivent donc pas hésiter à s’en servir régulièrement pour s’entraîner et faire des exercices.
« Il faut aussi penser àse relire avant de rendre une copie ou une lettre de motivation, souligne Cécile Tassou-Cadeau. On constate tous les ans qu’entre la 1ere année de bachelor et la 2e année, nos étudiants font beaucoup moins de fautes, leurs cas pratiques sont meilleurs… Peut-être parce qu’ils ont mûri, ou parce qu’ils ont compris l’importance de chasser les fautes ? En tout cas, d’une année àl’autre il y a une vraie amélioration ». Tout espoir n’est donc pas perdu.