Grand entretien - Benoit Raucent: "L'idée géniale, c'est de penser au développement durable tous les jours"

Grand entretien – Benoit Raucent: “L’idée géniale, c’est de penser au développement durable tous les jours”

Voici les quatre points essentiels à retenir de l’interview de Benoît Raucent :

1. Intégration de la responsabilité écologique dans la formation des ingénieurs 

Benoît Raucent souligne l’importance d’intégrer la responsabilité sociale et écologique dans la formation des ingénieurs. Cette intégration se traduit par une sensibilisation aux choix durables dans leur vie quotidienne et professionnelle, comme choisir des transports moins polluants ou concevoir des infrastructures éco-responsables.

2. Impact des décisions techniques des ingénieurs Les décisions techniques prises par les ingénieurs ont un impact significatif sur la société en proposant des solutions durables qui vont au-delà des choix individuels. L’exemple donné est celui de l’évolution de l’éclairage, passant des ampoules à incandescence aux LED, montrant comment l’innovation technique peut diriger les consommateurs vers des choix plus durables.

3. Approche multidimensionnelle de la formation L’UCLouvain adopte une approche multidimensionnelle pour former des ingénieurs responsables. Cela inclut non seulement l’acquisition de connaissances techniques, mais aussi une réflexion éthique sur les choix technologiques, soulignant l’importance de prendre en compte des facteurs environnementaux dans la conception de solutions.

4. Engagement pratique et projets étudiants L’université renforce l’engagement des étudiants envers la durabilité à travers des projets pratiques dès la première année, et encourage les initiatives étudiantes qui mettent en pratique la réutilisation et le recyclage. Ces projets aident à inculquer une mentalité de durabilité qui s’étend au-delà de l’académie dans la vie professionnelle des étudiants.

Quand vous construisez un métro ou une route, vous pouvez choisir une technique de production qui est plus durable au sens où elle produit moins de CO2, consomme moins d’eau

Comment intégrez-vous les principes de responsabilité sociale et écologique dans le parcours des ingénieurs?

L’intégration de la responsabilité sociale et écologique dans la formation des ingénieurs est fondamentale. Chaque citoyen, dans son rôle privé, a un impact significatif sur le développement durable. Nos choix personnels, comme l’utilisation de véhicules électriques ou la préférence pour le train plutôt que l’avion sont importants. Ces choix sont rendus possible grâce à des professionnels qui travaillent afin de proposer de nouvelles solutions permettant ainsi aux consommateurs de choisir. C’est un premier élément. Les ingénieurs et globalement tous les gens qui travaillent sur des alternatives vont permettre du choix, le citoyen peux ainsi choisir entre prendre l’un ou l’autre des moyens de transport proposés.

Mais en tant qu’ingénieurs, nous avons une responsabilité. Nos décisions techniques, comme la construction d’infrastructures plus durables, dépassent le cadre du choix individuel et ont un effet multiplicateur sur la société. Par exemple quand vous construisez un métro, ou une route, vous pouvez choisir une technique de production qui est plus durable au sens où elle produit moins de CO2, consomme moins d’eau, et moins de matériaux dont l’approvisionnement pose problème. L’ingénieur doit faire un choix éthiquement plus responsable. Et cela dépasse le choix du simple citoyen. C’est vraiment du fait de la profession qui est, dans le cas de l’ingénieur, quelqu’un qui propose des solutions techniques, sous forme de produits ou de services. Vous voyez donc bien que le fait de travailler sur la formation des ingénieurs permet de décupler l’attention que tout le monde pourra avoir sur l’aspect du développement durable.

Quel exemple concret pourrait illustrer votre propos ?

Prenons l’évolution de l’éclairage électrique. Autrefois, nous avions des ampoules à incandescence. Ce sont des ampoules classiques avec un filament de tungstène. Puis les ingénieurs ont imaginé des ampoules avec des néons, aussi connue sous le nom de tube fluorescent contenant un mélange de gaz très nocif (ndlr : argon, mercure…). Et maintenant des LED. Cette ampoule ne chauffe pas et consomme dix fois moins que l’ampoule à filament. Ces avancées technologiques, initiées et développées par des ingénieurs, ont permis aux citoyens de choisir des options plus durables. Les ampoules LED, par exemple, consomment nettement moins d’énergie et sont plus respectueuses de l’environnement. Cela montre comment la conception de produits par des ingénieurs peut influencer les consommateurs dans des choix plus durables.

Innovation technologique et développement durable sont-ils toujours liés? 

Absolument. Ces deux aspects sont inextricablement liés. En formant des ingénieurs avec une conscience écologique, nous leur permettons de créer des produits et des solutions qui assureront un avenir plus durable pour tous. Développer une préoccupation écologique, c’est permettre aux citoyens d’obtenir des produits adaptés à notre monde.

L’engagement envers le développement durable et la connaissance environnementale ne sont plus de simples options

Comment intégrez-vous ces principes de responsabilité sociale et écologique dans le parcours des ingénieurs?

Dans l’optique de former des ingénieurs socialement et écologiquement responsables, l’approche adoptée à l’UCLouvain se veut multidimensionnelle. Au cœur de cette formation se trouve la connaissance, car il est crucial que les ingénieurs comprennent les implications environnementales de leurs choix, notamment en termes d’émissions de carbone, de consommation d’eau et d’autre ressources. C’est un pilier essentiel pour que les futurs ingénieurs saisissent pleinement les répercussions environnementales et sociétales de leurs décisions techniques. Cette compréhension ne se limite pas à la simple prise de conscience des émissions de carbone ou de la consommation d’eau, elle englobe également un examen critique des matériaux utilisés, notamment ceux difficiles à produire ou rares sur notre planète.Quand l’ingénieur possède l’information, il peut faire de meilleurs choix en basant la décision sur des calculs précis de différents paramètres (production de COO, consommation d’eau…)

Cependant, la quête de la responsabilité sociale et écologique va au-delà de la simple accumulation de connaissances. Il s’agit d’inculquer chez les étudiants une capacité à évaluer éthiquement leurs choix, en transcendant les considérations financières pour embrasser des critères écologiques. Une entreprise ou collectivité aura initialement tendance à choisir le projet le moins onéreux parmi quelques propositions. L’ingénieur ne se contentera pas de calculer l’impact de ses actions, mais pèsera activement les options à travers le prisme de la durabilité et de la responsabilité sociale. Ce travail sur les choix est extraordinaire et indispensable. Il introduit une logique différente dont l’impact financier n’est plus le seul critère.

Cette formation vise à remodeler la perception traditionnelle de l’ingénieur, souvent vue comme un contributeur au problème de la pollution, pour le transformer en un acteur clé dans la proposition de solutions durables et moins polluantes. L’engagement envers le développement durable et la connaissance environnementale ne sont plus de simples options, mais deviennent des réflexes inculqués dès le début du parcours académique.

Comment renforcez-vous cet engagement? 

L’UCLouvain met l’accent, dès la première année d’étude, sur des projets pratiques et tangibles. Le premier projet proposé aux étudiants, par exemple, consiste à concevoir des grues pour assembler des éoliennes sur la mer en tenant compte du cycle de vie de la grue. Ils devront durant la conception décider comment la grue sera recyclée.

Par ailleurs, l’université encourage les initiatives étudiantes comme par exemple le projet “deuxième chance”, pour la réutilisation du mobilier universitaire ou la réutilisation des matériaux dans les projets d’architecture. Ce sont là des exemples concrets qui inculquent aux étudiants une mentalité de recyclage et de réutilisation. Ces projets ne sont pas seulement des activités périphériques, mais constituent une part intégrante de la formation, favorisant l’émergence d’un engagement durable qui transcende le cadre académique pour s’intégrer dans la pratique professionnelle.

Comment développez-vous cette nouvelle approche pédagogique dans un cadre académique? 

L’inculcation de l’engagement dans le contexte d’un enseignement académique traditionnel représente un véritable défi. C’est la raison pour laquelle nous transcendons les limites de l’approche classique. Prenons l’exemple de la conception de produits : à l’occasion de projets nous incitons nos étudiants à envisager dès le début le cycle de vie du produit, incluant la réflexion sur le recyclage des matériaux devenus obsolètes et les possibilités de réutilisation, un processus que nous désignons sous le terme de bilan de masse.

Considérons le cas d’une carrosserie automobile. Traditionnellement, nous la fondons dans des hauts fourneaux, un procédé à la fois coûteux et gourmand en énergie. Une approche novatrice consiste à récupérer, réparer et réutiliser les composants, soit dans leur fonction initiale, soit dans un nouvel usage. Par exemple, face à une grue obsolète, certains professionnels choisissent de récupérer les bras pour les réintégrer dans la construction de bâtiments. Cette démarche, résolument positive, écarte l’option des hauts fourneaux. Les segments de grande envergure, composés de treillis métalliques et s’étalant sur des dizaines de mètres, acquièrent ainsi une nouvelle fonction. Ils peuvent être transformés en échafaudages ou intégrés en tant que poutres dans de nouvelles structures architecturales. Voilà un exemple parfait de réaffectation intelligente, où les matériaux sont réemployés dans un contexte différent de leur destination première.L’engagement s’infuse également au travers d’activités complémentaires aux cours académiques, telles que les initiatives sociales auxquelles participent les étudiants en complément de leur parcours universitaire.

Voici le problème, quelle est votre solution?

Quel est le principe de ce cercle vertueux? 

Nous adhérons à une démarche que l’on pourrait qualifier de vertueuse, communément appelée le principe des 3R : recyclage, réutilisation et récupération. Ce concept s’applique à une multitude de produits, permettant ainsi la valorisation de leurs composants, à l’instar de l’exemple précédemment cité concernant la grue. Prenons le cas des moteurs encore fonctionnels : ceux-ci peuvent être réintégrés dans un nouveau système. Lorsqu’ils atteignent la fin de leur cycle de vie, nous procédons alors à la récupération des matériaux précieux tels que le cuivre et l’acier, ayant une valeur significative sur le marché. Ce processus implique un démontage pour isoler chaque matériau, en préparation à leur recyclage ultérieur. L’importance réside donc dans la conception initiale du produit, particulièrement dans la manière dont il sera démonté. Cela permet de récupérer efficacement les différents composants, que ce soit dans leur intégralité, comme un moteur complet, ou en isolant des éléments spécifiques tels que le cuivre et l’acier. Cette approche est fondamentale pour une gestion durable des ressources.

Développez-vous des partenariats avec l’industrie pour aider les étudiants à se préparer aux défis réels de la durabilité ?Dans le contexte de mes enseignements, je collabore avec un cotitulaire issu de la société IBA, pionnière mondiale dans le domaine des technologies des accélérateurs de particules. Cette collaboration enrichit le cursus académique avec des études de cas directement tirées de l’expérience professionnelle de ce dernier, intégrant ainsi le principe vertueux des 3R. Il confronte les étudiants à des problématiques réelles, les incitant à réfléchir activement et à proposer des solutions innovantes. “Voici le problème, quelle est votre solution?”, telle est la question lancée pour stimuler le débat autour d’un cas concret issu du secteur industriel, suivi par l’analyse des solutions mises en œuvre par IBA. Cette méthode pédagogique, qui puise dans les défis concrets du monde industriel, s’avère extrêmement bénéfique. Elle permet non seulement de rapprocher les étudiants des réalités pratiques, mais aussi de leur offrir l’opportunité de résoudre des problématiques tangibles, créant ainsi un pont précieux entre le monde académique et l’industrie.

Comment gérez-vous les questions éthiques qui se posent dans cette formation? 

L’intégration de l’éthique dans nos processus de décision est fondamentale. Sans cette dimension, il serait tentant de privilégier systématiquement les solutions les moins onéreuses pour l’entreprise, au détriment d’autres considérations. Intégrer l’éthique, c’est reconnaître et assumer une responsabilité sociétale. L’entreprise doit se questionner sur cet aspect de sa responsabilité sociale. Prenons l’exemple de la production de cyclotrons chez IBA : il est impératif de penser à un produit éthiquement responsable. Un tel produit se doit de minimiser sa consommation d’énergie à la production, de réduire ses émissions de CO2 et de consommer moins d’électricité. Il s’agit là d’une véritable révolution éthique que nous devons inculquer aux ingénieurs, transformant ainsi leur manière d’aborder la conception et la production.

Pourquoi avoir attendu si longtemps? 

Certes, des initiatives ont été initiées dans le passé, mais l’accent est désormais résolument mis sur la préparation adéquate des futurs professionnels pour les armer face aux défis écologiques et sociaux de notre temps. Il est crucial de reconnaître que les décisions techniques prises aujourd’hui prendront effet dans la prochaine décennie. Aborder la fin de vie d’un produit, c’est envisager un futur à 20 ou 30 ans. Les choix que nous effectuons en ce moment auront donc un impact prolongé, et ignorer ces considérations reviendrait à différer irresponsablement la résolution de problèmes cruciaux. On me demande souvent d’illustrer l’innovation. C’est un sujet récurrent, mais il est essentiel de comprendre que son essence ne réside pas toujours dans l’éclat ou la rapidité. Souvent dissimulée derrière des aspects moins visibles, elle se manifeste dans ce que nous qualifions d'”innovation intra-entreprise”. Ce type d’innovation se caractérise par des évolutions progressives et continues au sein des organisations, mettant en avant un processus d’amélioration continue plutôt que des percées fulgurantes. C’est une démarche subtile qui requiert du temps et de la persévérance, mais dont l’impact peut s’avérer profondément transformateur.

Une transformation jusqu’à quel point? 

Notre volonté est d’intégrer le développement durable dans tout le processus de conception de produits et de services. Cela veut dire que nous incorporons la notion de production de CO2, de consommation en eau, et de consommation de produits sous tension dans nos critères de choix technologiques. Nous devons introduire cette notion de développement durable dans nos choix maintenant, et dans tous nos choix futurs. Ce n’est pas très glamour, mais cela va avoir un effet sur le climat qui sera très important.Alors évidemment, à côté de ça, vous pouvez avoir l’idée géniale, mais il faut bien se rendre compte que des idées géniales, on n’en a pas tous les jours. Donc, on doit miser aussi sur le fait que l’idée géniale, c’est de penser au développement durable tous les jours.

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