Horlogerie : d'hallucinants automates et une montre parfumée font sensation à Watches & Wonders

L’horlogerie se limite-t-elle aux montres? Non, tant cet accessoire est devenu, à l’heure des smartphones, un accessoire choisi plutôt qu’imposé. Mais ceci dit, qui dit horlogerie dit aussi horloge, et rappelons au passage que la montre portée au poignet est une invention récente, généralisée au début du XXe siècle, même si sa paternité pourrait bien remonter à l’année 1810 et à la création par Abraham-Louis Bréguet de la fameuse Reine de Naples. Mais retour à Genève, et au salon Watches & Wonders, le plus important de l’année avec ses 75 000 mètres carrés, ses visiteurs professionnels venus du monde entier, ses célébrités de passage – on a aperçu Gisèle Bündchen chez IWC, Killian Mbappé chez Hublot, et l’explorateur Mike Horn chez Panerai. Pour le reste, on a vu des centaines de montres, de tous les styles et tous les formats, jusqu’à ce que l’on arrive au stand de Van Cleef & Arpels. Et la, surprise : en plus des nombreuses « complications poétiques », le joaillier de la place Vendôme présentait deux créations exceptionnelles. Des montres? Non. Des horloges? Non plus. Bien protégé sous leur vitrine transparente, un objet allant du rose au lavande, couronné d’une sorte de boule d’or ajourée, suscitait la curiosité du public.

La nouvelle J12 Tourbillon Diamant de Chanel, rpésentée au salon watches & Wonders à Genève.

Réservé à quelques VVIC (very, very important client), cet objet dont Van Cleef & Arpels s’est fait une spécialité est en réalité un automate, l’équivalent de la boîte à musique pour enfants, mais version adultes (très) exigeants. Depuis deux ans, la maison née en 1906 propose une série d’objets « extraordinaires », comprendre de stupéfiants automates conjuguant savoir-faire joailliers, mécaniques et horlogers, puisqu’ils donnent également l’heure (regardez attentivement la bague chiffrée, parcourue par un papillon). L’automate Bouton d’Or, inspiré par la collection du même nom, est une pièce unique réalisée, attention, en or jaune, blanc et rose, saphirs de couleur, diamants, grenats tsavorites, émail plique-à-jour, thulite, charoïte, laque, amarante, cuir de chèvre, aluminium et acier. À la demande, la sphère supérieure s’ouvre, tandis que surgit une fée au visage en diamant taille rose, dotée d’une coiffe de diamants et d’une robe flamboyante en or rose laquée bleu, qui virevolte sur un parterre de fleurs. Et le spectacle ne s’arrête pas là : elle tourbillonne grâce aux battements de ses ailes en émail plique- à-jour, un diamant taille briolette délicatement tenu entre ses doigts.

L’automate Bouton d’Or de Van Cleef & Arpels.

L’automate Bouton d’Or de Van Cleef & Arpels.

Une star dans le monde des automates

À cet objet proprement stupéfiant répond une seconde création : l’automate « Apparition des Baies ». Après la fée, Van Cleef & Arpels se penche sur le thème de l’oiseau, dissimulé sous des feuilles d’or rose repliées sur elle-même – n’étant pas sans évoquer celle d’un habit d’académicien. Quelques tours de clé, et voici que ce buisson se déploie et que surgit un oiseau en or blanc, diamants et saphirs, qui déploie ses ailes, prend son envol, puis trouve refuge au cœur de l’objet, qui se replie avec douceur. Réalisé en or blanc, jaune et rose, saphirs bleu clair et intenses, diamants, spinelles rouges, jaspe dalmatien, thulite, laque, ébène, cuir de chèvre, aluminium, acier, l’« Apparition des Baies » dispose d’un nouveau système d’ouverture spécialement développé, associé à un mécanisme signé François Junod, star parmi les stars dans le monde, très exclusif, des créateurs d’automates.

L’automate Chanel Couture O’Clock, présenté à Watches & Wonders.

La clé de l”automate Chanel Couture O’Clock reprend la silhouette de celle de l’appartement de Gabrielle Chanel.

« My Woman», d’Al Bowlly, chanson préférée de Gabrielle Chanel

Chanel n’est pas en reste : à côté de ses nouveautés placées sous le signe de la couleur, du lion et de la couture, le studio de création horlogerie s’est ici aussi inspiré de l’atmosphère animée des ateliers de la rue Cambon, pour un automate-boîte à musique orchestrant une chorégraphie de bustes rythme de la chanson « My Woman », interprétée par Al Bowlly, que Gabrielle Chanel aimait fredonner. L’appartement de la créatrice, situé lui aussi rue Cambon, est évoqué avec le lustre à pampilles en diamants, le socle inspiré par le canapé matelassé et les décorations en or. La clef montée en sautoir, reproduisant celle de l’appartement en question, permet d’animer cette pièce unique où l’heure se lit sur un mètre ruban.

Gabrielle Chanel, au début des années 1950.

Protégée par un dôme de verre, cette pièce inestimable (et, nous a-t-on confié, déjà vendue) déroule à peu près tous les savoir-faire horlogers, joailliers et même maroquiniers que l’on puisse imaginer quand on pense Chanel : socle en onyx facetté gansé d’or jaune serti de 36 diamants, lustre en or jaune revêtu de noir, bougeoirs en or jaune, mini bustes en céramique d’aluminium naturel gansés de cuir noir ornés chacun d’une broche en or jaune 18 carats sertie de six diamants taille brillant. Mais aussi : ruban en céramique d’aluminium naturel marqué des index des heures et des minutes en laque noire, marqueterie de pierres dure, indicateur en perle fine et en or jaune serti d’un diamant taille baguette, le tout servi par une réserve de marche d’environ une semaine.

L’automate « Apparition des Baies» de Van Cleef & Arpels.

L’automate « Apparition des Baies» de Van Cleef & Arpels.

Calendrier perpétuel chinois et mélodie Big Ben chez Vacheron Constantin

Mais les amateurs exigeants savent aussi apprécier des modèles plus classiques, mais tout aussi étourdissants, et nettement plus nomades. Parmi ceux-ci, The Berkley Grand Complication, dévoilé par la maison Vacheron Constantin, fait partie de ces créations appelées à marquer l’histoire de l’horlogerie. Fruit d’une commande privée, cette pièce extraordinaire, qui s’admire recto-verso, est d’une complexité proprement inouïe, réunissant pas moins de 63 complications, 2877 composants, et, première absolue, un calendrier perpétuel chinois qui n’aura pas besoin d’être réglé avant 2200, soit pour les prochaines 176 années. La conception du mécanisme est d’autant plus complexe que le calendrier luni-solaire n’a rien à voir avec le calendrier occidental classique. Et là, magie de l’horlogerie : nous voici littéralement happés par les explications concernant les différence de mesure du temps, le calcul des mois lunaires calculés sur le méridien 120° Est passant par la péninsule du Shandong et la ville de Hangzhou, les 11 jours de déficit par rapport au calendrier solaire… et les onze ans nécessaires à l’élaboration de ce chef d’oeuvre absolu.

Figurant dans l’univers dit des « Cabinotiers », sorte de haute couture de l’horlogerie Vacheron Constantin affiche aussi au revers un calendrier grégorien parmi de multiples références astronomiques aussi difficiles à comprendre qu’absolument fascinantes. Rajoutez à cela un mécanisme de grande sonnerie équipé d’un carillon Westminster, sonnant la mélodie des cloches de Big Ben, ou encore la possibilité de mettre la montre en mode « mute », et voilà que l’on commence à comprendre pourquoi l’horlogerie sait devenir, parfois, hautement addictive. Et ce n’est pas le commanditaire qui dira le contraire : si son nom n’est pas connu, Vacheron Constantin évoque de son côté « un homme d’affaires et philanthrope américain, propriétaire d’une prestigieuse collection de montres de poche patiemment assemblée lors de ces cinquante dernières années. Fin connaisseur, ce dernier aime les défis. Il a tout d’abord lancé celui de la montre la plus compliquée jamais produite devant intégrer un calendrier perpétuel hébraïque , la référence 57 260 présentée en 2015. Mais celle-ci n’était pas encore terminée qu’une commande était déjà passée pour sa fausse jumelle. En lieu et place du calendrier hébraïque, il s’agissait cette fois d’intégrer un calendrier perpétuel chinois. » Résultat : avoir devant soi la montre la plus compliquée du monde…

The Berkley Grand Complication, un chef d’oeuvre présenté par Vacheron Constantin.

The Berkley Grand Complication de Vacheron Constantin est la première montre à intégrer un calendrier perpétuel chinois.

Nanocapsules de parfum et plissé de nacre lilas

Mais si la mécanique a sa poésie propre, Vacheron Constantin sait aussi flatter d’autres sens, à commencer par l’odorat. Proche de la manufacture, l’artiste Yiqing Yin a imaginé, pour la collection Égérie, deux modèles exclusifs. Tellement exclusifs, d’ailleurs, que le premier ne sera pas vendu. Imaginé avec le maître parfumeur Dominique Ropion (à l’origine, notamment, de « La vie est belle » de Lancôme), « The Pleats of Time » est un concept watch, comme il existe des concept cars. Si le décor du cadran reprend, couleur lilas tendre, les plissés chers à l’artiste textile, c’est sur le bracelet que les deux personnalités ont travaillé pour associer, d’un côté, un travail de broderie haute couture, et une technique permettant d’encapsuler un parfum développé spécialement pour l’occasion, logé dans des nanocapsules invisibles à l’œil nu et que chaque effleurement vient libérer.

Le parfumeur, qui accompagne Yiqing Yin dans plusieurs de ses projets depuis son projet de fin d’études à l’école des Beaux Arts, évoque « un parfum minéral, aux notes pastel et hivernales, poudrées et irisées, jouant avec le soleil et les volutes de fumée », mêlant les notes de galbanum, de lavande, de fleur d’oranger, sur la base d’un accord chèvrefeuille et immortelle, de reflets irisés avec la tubéreuse et l’ylang-ylang mais aussi d’encens (olibanum, myrrhe, opoponax) et de oud. Le parfum du temps qui passe? « Je n’y ai pas réfléchi comme cela », explique Dominique Ropion, qui évoque plutôt la dimension inédite d’un projet où Yqing Yin a voulu explorer « une idée de somnabulisme, l’état dans lequel on se trouve au moment de créer. J’ai imaginé une brèche sensorielle dans ce temps-là, qui est comme une errance sensorielle impossible à mesurer. »

« The Pleats of Time Р’В», concept-watch dГ©veloppГ©e par Yiqing Yin et le maГ®tre parfumeur Dominique Ropion chez Vacheron Constantin.

Mais à côté de cette pièce unique et non commercialisée, une version en or rose sur bracelet proposée avec trois bracelets interchangeables est proposée à 100 exemplaires. Presque similaire à « The Pleats of Time » coté diamètre de 37 millimètre et coloris, son cadran s’orne d’un chemin de fer des heures en nacre lisse, orné de chiffres arabes en or et laisse également apparaître un guichet dédié à la plus poétique des complications : la phase de lune. Le temps horloger, cette année, est décidément fait pour rêver…