L'épouse d'Hitler, Eva Braun, en 10 questions

Lors d’un voyage d’Eva Braun en Allemagne à la fin des années 1930.

Elle partagea secrètement la vie d’Hitler jusqu’à l’épouser le 29 avril 1945, veille de leur suicide. Quelle relation unissait le Führer et cette munichoise, longtemps réduite au rôle de ravissante idiote ?

En avril 1945, dans le bunker de la chancellerie du Reich, dernier quartier général du Führer à Berlin, tous pressentaient la fin prochaine. “Nous attendions à chaque moment l’attaque des Russes contre notre bunker, témoigna l’une des secrétaires d’Hitler, Traudl Junge. Les bruits de la bataille étaient de plus en plus proches. Nos chiens avaient tous été piqués.” Les Alliés déferlaient sur l’Allemagne, l’Armée rouge assiégeait sa capitale, et Hitler avait résolu de mettre fin à ses jours. Face à l’abîme, il surprit son entourage.

Dans la nuit du 29 au 30 avril, lui qui, à 56 ans, n’avait jamais été marié, épousa une jeune femme de 33 ans, depuis treize années sa maîtresse, Eva Braun, au cours d’une brève cérémonie civile célébrée par le fonctionnaire berlinois Walter Wagner. Noces funèbres, assurément, comme l’avoua le dictateur dans son propre testament, rédigé quelques heures auparavant :

Elle entre, sur son désir, comme mon épouse avec moi dans la mort.

De fait, le 30 avril, en milieu d’après-midi, les nouveaux mariés se retirèrent dans leurs quartiers et mirent fin à leurs jours, elle absorbant du cyanure, lui se brûlant la cervelle… En sortant de la vie, Eva Braun – Eva Hitler – entrait ainsi dans l’histoire, abandonnant son existence, jusqu’à son nom, à l’un des pires criminels de masse de tous les temps. Et c’est précisément cette union qui pose encore question de nos jours.

Longtemps, le grand public, qui ne découvrit son existence qu’après la guerre, ne vit en Eva Braun qu’une écervelée, apolitique, presque pathétique. D’anciens courtisans du Führer, notamment Albert Speer, son ex-ministre de l’Armement, s’empressèrent de cautionner cette image, pour faire croire qu’on pouvait être l’intime du dictateur sans être nazi soi-même. Pourtant, grâce aux travaux d’historiens, c’est une autre personnalité qui se dégage, celle d’une adoratrice d’Hitler – une de plus – que ce dernier récompensa par leur fameuse union au bord de la tombe.

1/ Eva Braun avait-elle des origines juives ?

Sans doute pas. Un documentaire britannique a prétendu, en 2014, qu’Eva Braun aurait eu de lointaines racines ashkénazes, mais rien ne l’étaye. Née le 6 février 1912, Eva Anna Paula Braun était le produit d’une Bavière catholique et bourgeoise, fille d’un enseignant de menuiserie de Munich, Friedrich Braun, et d’une femme au foyer, Franziska, née Kronberger. Eva reçut une éducation religieuse et moderne, la destinant à une activité professionnelle. Formée à la comptabilité et à la dactylographie, elle travailla, à partir de 1929, dans un atelier de photographie tenu par un propagandiste du parti nazi, Heinrich Hoffmann, futur photographe personnel d’Hitler. “Elle avait quelque chose d’enfantin et de naïf”, écrivit Hoffmann dans ses mémoires, ajoutant :

De taille moyenne, elle était très préoccupée par sa silhouette, élancée et élégante. Son visage rond et ses yeux bleus, encadrés par des cheveux blond foncé, formaient une image qui ne peut être décrite que comme “jolie’’ – une joliesse impersonnelle, de type boîte de chocolats.

2/ Comment a-t-elle rencontré Hitler ?

Probablement dans le magasin d’Hoffmann, en 1929 ou 1930, mais l’affirmation reste incertaine. Le photographe lui-même ne s’en vanta guère dans ses mémoires, s’efforçant de minimiser son rôle autant que possible :

Hitler connaissait tous mes employés, et c’est parmi eux qu’il fit pour la première fois la connaissance d’Eva Braun, avec laquelle il discutait parfois de manière normale, et tout à fait insignifiante ; de temps en temps, il sortait un peu de sa coquille et lui faisait le genre de petit compliment qu’il aimait tant faire aux femmes. Ni moi-même ni aucun de mes employés n’avons remarqué qu’il lui accordait une attention particulière. Mais ce n’est pas le cas d’Eva ; elle disait à tous ses amis qu’Hitler était follement amoureux d’elle et qu’elle […] l’épouserait. Hitler, en revanche, n’avait aucune idée de ce qui se passait dans l’esprit d’Eva, et il n’avait certainement pas la moindre intention de le faire.

3/ Quand est-elle devenue sa maîtresse ?

Ce n’est vraisemblablement qu’en 1932 qu’Hitler et Eva Braun, âgée de 20 ans, amorcèrent leur liaison. La voie était libre : la nièce du futur dictateur, Geli Raubal, avec laquelle il entretenait une relation dont la nature est controversée, avait été retrouvée morte le 18 septembre 1931, vraisemblablement suicidée. Eva Braun, qui s’était déjà entichée du chef nazi, s’efforça de copier la coiffure et l’habillement de Geli, pour mieux se faire remarquer de lui. Avec succès.

4/ Quelle était la nature de ses rapports avec Hitler ?

Du côté d’Eva Braun, aucun doute : elle était passionnément amoureuse du Führer. Lui-même n’alla peut-être pas aussi loin, la cantonnant au rôle de compagne aimante et d’exutoire sexuel. Il s’intéressait, de longue date, aux très jeunes femmes comme elle, comme il s’en vanta en 1942 : “Il n’y a pourtant rien de plus beau que d’éduquer une petite chose, une jeune fille de 18-20 ans, malléable comme de la cire. Un homme doit pouvoir mettre son empreinte sur toute jeune fille. La femme ne demande d’ailleurs rien d’autre !” Et Hitler ne voulait surtout pas aller plus loin :

Le pire dans le mariage, c’est qu’il crée des droits ! Il vaut beaucoup mieux avoir une petite amie. La charge s’allège, et tout reste un don.

5/ Pourquoi, par deux fois, a-t-elle tenté de se suicider ?

D’éducation catholique, Eva Braun supporta mal, au début, son statut de maîtresse officieuse. Se refusant au mariage, Hitler la délaissait pour sa vie politique. Pire, il ne dédaignait pas la compagnie d’autres femmes, telles que Leni Riefenstahl, Magda Goebbels, ou encore une belle aristocrate, la baronne Sigrid von Laffert (1916-2002), rencontrée en 1932, sans que des liaisons aient pu être établies par les historiens. De sorte qu’à deux reprises, et à l’instar de Geli Raubal, Eva Braun tenta – mais tenta seulement – de se suicider.

La première tentative est mal connue, et dans sa datation (août ou novembre 1932 ?), et dans ses circonstances (se tira-telle une balle dans la poitrine, ou dans la gorge ?). “Mais même si l’on met en doute le sérieux de cette tentative, son sens est clair, observe l’historien François Delpla dans Hitler et les femmes (éd. Nouveau Monde, 2016) : il s’agit de faire mesurer à Hitler qu’elle éprouve pour lui un attachement tel que, s’il la délaisse, elle renoncera à vivre.” Mêmes causes, mêmes effets : de nouveau négligée, Eva Braun absorba, le 28 mai 1935, une forte dose de somnifères.

Cette fois-ci, Hitler en tint compte : il lui écrivit et lui téléphona plus souvent, l’invita à la tribune d’honneur du congrès du parti nazi à Nuremberg la même année, avant de lui offrir une maison, et un emploi – fictif – de secrétaire, qui justifiait désormais sa présence à ses côtés. En règle générale, s’il s’absentait des mois durant, soit pour ses voyages officiels, soit pour déplacements militaires, il la retrouvait en Bavière, les premières années à Munich, puis dans sa résidence privée du Berghof, à Berchtesgaden.

6/ Pourquoi resta-telle dans l’ombre ?

Malgré ces concessions, la liaison entre Hitler et Eva Braun constituait un secret d’État, sauf pour la petite coterie entourant le dictateur. Certes, le magazine américain Time révéla l’existence d’Eva Braun le 15 mai 1939, mais le peuple allemand n’en fut pas avisé. Pareille discrétion procédait d’abord du mythe dont Hitler aimait s’envelopper, celui d’un leader tout entier dévoué à l’Allemagne, sa seule “épouse”. Il ne tenait pas davantage à froisser les Allemands en ébruitant une liaison hors des liens du mariage, d’autant qu’il s’imaginait, en affichant son célibat, conserver une certaine popularité auprès des femmes…

7/ Était-elle une “blonde sans cervelle” ?

“Elle n’avait aucune des qualités brillantes d’une maîtresse typique de tyran”, jugeait l’un des biographes du Führer, le Britannique Hugh Trevor-Roper (Les Derniers Jours d’Hitler, éd. Famot, 1975). “Blonde, les yeux bleus, bien faite de sa personne, elle était timide, effacée et appartenait à la catégorie des femmes qui semblent toujours avoir besoin d’aide et de protection, la décrivait, non sans condes cendance, Ernst Hanfstaengl, ancien proche du Führer tombé en disgrâce. Elle était d’un naturel affable, débordant de gentillesse” (propos rapportés dans ses mémoires, Hitler, les années obscures, éd. Perrin, 2018).

Légère, Eva Braun ? Ce portrait a, depuis, été retouché, grâce à de nombreux témoignages. Un de ses anciens enseignants (cité dans Hitler, de John Toland, éd. Robert Laffont, 1983) la dépeignit, après la guerre, comme “intelligente, prompte à saisir les aspects essentiels d’un sujet, et capable d’une réflexion personnelle”. De son côté, le ministre de la Propagande Joseph Goebbels confiait à son journal, le 24 juin 1943 : “Elle me fait la meilleure impression. Sa culture et sa clarté d’esprit sortent de l’ordinaire ainsi que sa maturité de jugement en matière artistique. Elle sera sûrement pour le Führer un appui de valeur.”

8/ Était-elle une nazie convaincue ?

Eva Braun n’était ni futile, ni apolitique. Aimant le jazz (vilipendé comme «musique dégénérée» par le régime), la danse, la gymnastique, les sports d’hiver, elle correspondait certes assez peu aux canons patriarcaux du national-socialisme. Mais elle soutenait indéfectiblement son amant et affirma constamment sa foi en la victoire finale. Elle n’avait point besoin d’être au fait de toute la monstruosité de la Shoah pour connaître l’antisémitisme viscéral que Hitler professait constamment. Sa soeur cadette Gretl (1915-1987) rejoignit également l’entourage privé du tyran au Berghof, épousant en 1944 Hermann Fegelein, officier de liaison d’Heinrich Himmler au grand quartier général du Führer, qui avait participé à l’extermination des Juifs soviétiques. En revanche, la soeur aînée d’Eva et de Gretl, Ilse (1909-1979), resta davantage à distance du milieu hitlérien, travaillant même pour un médecin juif allemand jusqu’en 1937.

9/ Quelles étaient ses ambitions ?

Quoique fidèle au despote, Eva Braun ne joua aucun rôle politique. El le tenait, pardessus tout, à épouser Hitler, mais ce dernier sut obtenir d’elle soumission et discrétion. Peu à peu, cependant, elle marqua son territoire.

“Au fil des années, surtout au début de la guerre, le caractère d’Eva sembla subir un changement complet, elle devint plus sérieuse et s’occupa davantage des affaires domestiques au Berghof et dans l’appartement du Führer à Munich”, raconta plus tard Karl Brandt, l’un des médecins personnels d’Hitler qui organisa aussi l’extermination des handicapés par les nazis.

Ainsi, Eva Braun gagna-t-elle peu à peu en assurance. En présence d’Hitler, elle sélectionnait le film projeté en soirée, interrompait ses réunions pour l’informer que le repas était servi, et le priait de couper court à ses monologues nocturnes… Elle le photographiait et le filmait, non pas seulement par goût pour l’image, mais pour laisser sa propre trace dans l’histoire et constituer un répertoire iconique du dictateur. Et lorsque ce dernier quittait le Berghof, elle savait s’amuser, sortir, faire du sport, s’entourant de nombreuses amies, dont sa soeur Gretl. Mais sans jamais tromper Hitler, ni divulguer leur liaison.

10/ Pourquoi Hitler l’épousa-t-il ?

Depuis 1943, l’Allemagne, prise entre le “rouleau compresseur” soviétique et les Alliés venus de la mer, encaissait défaite sur défaite. Lucide sur l’avenir du Reich, Eva Braun rédigea son testament en octobre 1944, avant de rejoindre Hitler dans son bunker berlinois le 7 mars 1945. Comme toujours, elle se signala par une bonne humeur apparente et une dévotion parfaite à son amant, en contraste avec le désastre qui se profilait. Ainsi, le 22 avril, alors que les dignitaires fuyaient la capitale, elle refusa de quitter Hitler, lequel mit alors fin à treize années de secret en l’embrassant sur la bouche devant ses secrétaires. Et lorsque son beaufrère Hermann Fegelein fut arrêté puis exécuté pour désertion, elle ne le défendit pas : le Führer primait tout le reste. Hitler, lui, mit en scène sa propre fin : son cadavre devait disparaître, et il ne partirait pas sans avoir épousé une Allemande incarnant la beauté et la moralité aryenne. Le mariage tant désiré par Eva Braun n’était plus, désormais, qu’un pacte avec la mort. Décidément fidèle, elle exigea de mourir par le poison :

Je veux être un beau cadavre.

Ce fut fait, mais personne n’eut le loisir d’admirer sa dépouille, les SS, sur ordre du Führer, les ayant incinérés tous les deux après leur suicide. “Il ne tient jamais ses promesses”, s’était-elle plainte dix ans plus tôt. Même au-delà de la mort, elle en payait le prix.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°74, Le nazisme et les femmes, de mars-avril 2024.

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