« Hors-sol » ? Déconnecté » ? Raphaël Glucksmann répond à François Ruffin
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C’est peut-être le début d’une relation épistolaire féconde pour la gauche. Dans une longue lettre publiée ce mercredi soir, Raphaël Glucksmann répond au courrier que lui a adressé il y a quelques jours François Ruffin. Après réflexion, l’eurodéputé a choisi de répliquer sur le même format : un texte tout simple publié sur son blog. « Vous avez une voix singulière. Votre lettre tranche une fois de plus par son ton et sa forme avec les campagnes d’insultes et de calomnies orchestrées sur les réseaux sociaux par vos collègues « insoumis » contre quiconque n’épouse pas les vues de leur chef » , commence le fondateur de Place Publique, qui sera bientôt investi tête de liste du Parti socialiste aux élections européennes.
Vendredi soir, François Ruffin a en effet marqué les esprits. Sur son blog, le député de la Somme a jugé Raphaël Glucksmann « déconnecté » et « hors-sol », le campant en avatar d’une élite « arrogante », énième porte-voix d’une mondialisation heureuse qui fait trinquer les ouvriers. Sur la crise démocratique, la guerre en Ukraine et plus généralement la vision de la construction européenne, l’Insoumis faisait part « sans agressivité mais avec sincérité » d’un « franc désaccord ».
S’il prend soin de le remercier d’ouvrir « un dialogue franc et ouvert, sans invective ni poussière sous le tapis », « Glucks », comme on le surnomme, prend très vite ses distances. « Je m’étonne que vous cédiez à nouveau aux raccourcis et aux caricatures pour me peindre en bourgeois “hors-sol, déconnecté, sans ancrage”, le représentant d’une élite “arrogante et inconsciente” et même un adepte d’une globalisation dérégulée que je combats sans relâche au Parlement européen », écrit-il avant de répondre point par point aux interpellations du député LFI.
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Ce dernier reprochait à Raphaël Glucksmann son peu d’appétence, voire sa méfiance, pour l’outil du référendum. L’eurodéputé assume sa ligne. « Dans un moment de notre Histoire où s’impose un rapport plébiscitaire et charismatique à la politique, un moment où le Leader prétend rencontrer le Peuple sans plus avoir à s’ennuyer d’un parti comme l’illustrent Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, un moment où les corps intermédiaires sont méprisés au sommet de l’Etat, je tiens, oui, à réhabiliter la représentation, les assemblées, les syndicats et les organisations collectives. »
Divergence sur l’Ukraine
Autre point de discorde pointé par François Ruffin, la volonté d’élargir l’Union européenne défendue par Raphaël Glucksmann. Dans son adresse, le Picard pointait la proposition de faire entrer l’Ukraine dans les 27 sans se soucier des conséquences sociales dans l’Hexagone. Une folie selon lui. « Personnellement, vous le devinez, j’éprouve une immense réticence. Et cette réticence est partagée, largement, il me semble, dans mon coin, dans tout le pays je dirais. Non par racisme, non par égoïsme, mais par expérience. Nous avons déjà donné, en vies brisées, en salariés licenciés », détaillait le député de la Somme.
C’est un raccourci de sa pensée, rétorque le fils d’André Glucksmann. « Il est incontestable que l’élargissement à l’Ukraine doit s’accompagner de réformes et de changements. Il est évident qu’il suppose une refonte de la Politique Agricole Commune… », annonce-t-il. Mais c’est pour souligner aussitôt ce qui est selon lui un point aveugle du logiciel Ruffin : la guerre qui fait rage entre Kiev et Moscou et la menace Poutine sur les démocraties européennes. « C’est cela, être “hors-sol” en 2024 cher François Ruffin : faire comme si la guerre en Europe n’existait pas ou comptait si peu, c’est avoir si peu de considération pour la principale menace pesant sur la sécurité et la stabilité de notre continent et donc, aussi, de votre région et de votre circonscription. Pourquoi ce silence depuis deux ans sur un conflit qui définit l’avenir de l’Europe ? »
Se défendant d’être un « euronaïf », le compagnon de Léa Salamé souligne le vieux débat qui fracture la gauche depuis des décennies. « En vous lisant, j’ai l’impression que l’ouvrier ukrainien est destiné à prendre la place du “plombier polonais” d’hier. On sent poindre la défense de “nos” travailleurs contre les “leurs”. Là apparaît peut-être notre différence la plus fondamentale : vous concevez les luttes sociales et politiques dans un cadre purement national alors qu’il est nécessaire selon moi de les mener, aussi, à l’échelle continentale », analyse-t-il. Et d’ajouter un peu taquin : « Je me souviens encore d’un vieux numéro de “Fakir” qui titrait je crois “Douanier un métier d’avenir”. La question aujourd’hui, c’est de savoir où nous placerons ces douanes. Aux frontières de la nation ou de l’Union ? »
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Enfin, il invite son correspondant à s’extirper des clichés qu’on colporterait sur lui. Et, pour ce faire, resitue son parcours. « Lorsque j’ai quitté Paris, ce n’était pas pour Berlin ou New York, mais pour les charniers du Rwanda après le génocide des Tutsis, la ligne de front en Géorgie ou la révolution en Ukraine. J’ai pris d’autres chemins que les vôtres, mais je ne suis pas sûr d’avoir croisé moins d’injustices. Ma parole et ma vision du monde ne se sont pas forgées à Davos ou Washington, mais dans des lieux dont je ne sais si vous pouvez soupçonner la désolation. » Nul doute que François Ruffin appréciera cette invitation au voyage.