Corée du Sud : Le mouvement « 4b » qui boycotte les hommes, « représentatif » de la lutte des sexes
Des milliers de Sud-Coréennes ont décidé de ne plus se lier, coucher, se marier et faire des enfants avec des hommes
Des militantes sud-coréennes déchirent des pancartes sur les discriminations à l’égard des femmes lors d’une manifestation marquant la Journée mondiale des droits des femmes à Séoul, en mars 2021.
Irréconciliables ? – Des milliers de Sud-Coréennes ont décidé de ne plus se lier, coucher, se marier et faire des enfants avec des hommes
Les Sud-Coréennes boycottent les hommes. C’est en tout cas la volonté du mouvement « 4b » qui invite les femmes coréennes à refuser de dater, coucher, se marier et enfanter avec des hommes. Dans ce pays d’Asie de l’est, ce mouvement « minoritaire » est toutefois représentatif d’une tension grandissante entre femmes et hommes.
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Pourquoi cela dit quelque chose de la Corée du Sud ? Et même du monde ? 20 Minutes s’est penché sur le « 4b » grâce à l’expertise de Benjamin Joinau, maître de conférences à l’université Hongik à Séoul et spécialiste de la Corée du Sud.
Qu’est-ce que le mouvement « 4b » ?
Le mouvement « 4b » est une conjonction de la marque de la négation en Coréen « bi » et de quatre mots : « hon », le mariage, « chulsan », la maternité, « yeonae », les rencontres et « sekseu », les relations sexuelles. « C’est un mouvement minoritaire », assure Benjamin Joinau, quand Le Parisien estime les membres de « 4b » à 5.000 femmes. Une goutte d’eau, donc, sur les plus de 25 millions que compte le pays.
Toutefois, « 4b » s’inscrit dans un écosystème de groupes féministes qui fleurissent en Corée du Sud. « Ce néoféminisme très radical a explosé dans les années 2015-2016, notamment avec la création de la communauté en ligne Megalia. Le site, qui pratiquait la technique du miroir pour déprécier les hommes [comme les femmes sont dépréciées dans la société], a fini par être fermé », explique Benjamin Joinau.
Megalia, dont les sorties provocatrices envers les hommes mais aussi transphobes et homophobes, a été accusé par les médias sud-coréens de lancer une guerre des genres. Car, l’assure le maître de conférences, « tous ces courants féministes radicaux minoritaires sont représentatifs d’une crise de la relation hommes-femmes » en Corée du Sud.
De quoi « 4b » est-il le symptôme en Corée du Sud ?
Pour Benjamin Joinau, si ces mouvements interpellent autant dans le pays comme à l’international, c’est parce qu’ils sont « le symptôme de quelque chose ». Car si la Corée du Sud diffuse l’image d’un pays moderne, les femmes y sont encore très mal traitées. L’écart salarial entre les femmes et les hommes atteint plus de 30 % dans le pays, selon l’OCDE. « Les attentes du rôle des femmes dans la société restent très traditionnelles », souligne l’enseignant. Enfermées dans un carcan patriarcal, les Sud-Coréennes sont nombreuses à renoncer à la maternité dans l’espoir de conserver un peu d’autonomie individuelle. En 2023, le taux de fécondité était de 0,72.
Elles sont aussi confrontées à de nombreuses violences sexistes. Le pays a été secoué par de nombreuses affaires de caméra espion avec lesquelles des hommes ont filmé des femmes à leur insu lors de relations sexuelles mais aussi dans des lieux publics comme les toilettes. Et les agressions sexuelles lors desquelles les hommes répandent du sperme sur les affaires de leurs victimes sont tellement fréquentes dans le pays que le terme « terrorisme du sperme » est né. Les auteurs de ces violences sexistes justifient parfois leurs crimes en revendiquant leur haine des femmes et des féministes.
Les femmes et les hommes sont-ils irréconciliables en Corée du Sud ?
«Ã‚ La culture de la relation femme-homme n’est plus saine en Corée du Sud », regrette Benjamin Joinau qui évoque une « ère du soupçon » et de « nouvelles discriminations ». « J’entends dire que dans certaines entreprises, les hommes préfèrent sortir entre eux afin d’éviter de commettre un “impair” àl’égard d’une collègue », illustre-t-il. Preuve de la profondeur de cette fracture, elle se retrouve même dans les choix politiques.
«Ã‚ Lors de la dernière campagne présidentielle, les jeunes femmes ont massivement voté pour un candidat qui se présentait comme proféminin et les jeunes hommes pour un candidat qui se présentait comme promasculin », illustre le spécialiste du pays. Une fracture qui s’est de nouveau lors des législatives, mi-avril et qui infuse aussi la culture populaire du pays. « L’écrivaine dont on parle le plus, c’est Han Kang et dans La Végétarienne, elle parle d’une héroïne qui se retire d’un monde masculin, abandonne la prédation, le rapport à la viande, tout ce qui a trait à la chair, pour devenir une plante. C’est comme une métaphore des ”4b” quelque part », note Benjamin Joinau.
A force de s’affronter, ces deux mondes s’éloignent progressivement l’un de l’autre. « La lutte des sexes n’est clairement pas terminée en Corée du Sud mais dans une société patriarcale, tout ce qui vient des hommes sera plus entendu, montré plus positivement », glisse Benjamin Joinau. Et, conclut-il, « cette asymétrie-là jouera malheureusement toujours en défaveur des femmes coréennes. »
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