Climat. Le pétrolier Shell aspire plus de millions de dollars que de CO2 au Canada
Le site de captage et de stockage de carbone Quest, de Shell, en Alberta, en 2021, au Canada.
Au Canada, le géant du pétrole a touché des subventions publiques pour des réductions d’émissions de gaz à effet de serre, jamais obtenues. Des crédits carbone qualifiés de « fantômes » par Greenpeace. Selon un rapport publié le 7 mai, l’argent aurait servi à financer la quasi-totalité de son installation de captage de CO2, aux résultats très faibles.
Comme l’ensemble des groupes pétroliers du Canada, raclant surtout les sables bitumineux dans la province de l’Alberta, Shell mise sur les installations de captage et de d’utilisation et de stockage du carbone (CCUS), pour absorber à la source les émissions de gaz à effet de serre, avant qu’elles ne s’accumulent dans l’atmosphère, aggravant le réchauffement climatique.
L’efficacité relative du projet Quest
Le groupe exploite depuis 2015 le projet Quest, près d’Edmonton. Il aurait fait ses preuves au cours de ces neuf années, selon le porte-parole de Shell Canada, Stephen Doolan : Neuf millions de tonnes de CO2 ont été capturées
. Ce satisfecit a été descendu en flèche dans un rapport de Greenpeace Canada, paru mardi 7 mai. À titre de comparaison, le secteur pétrolier et gazier a rejeté plus de 158 millions de tonnes, rien qu’en 2022, selon les données du gouvernement canadien.
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L’ONG accuse surtout le groupe Shell d’avoir touché 200 millions de dollars en revendant à d’autres sociétés des crédits carbone qu’il a reçus de la part des gouvernements fédéral et provincial, en échange de ces faibles émissions évitées. Greenpeace parle de crédits fantômes
. L’affaire n’est pas illégale, mais elle a tout de la subvention cachée
, assure Keith Stewart, principal auteur du rapport (qui tombe au plus mal, la maison mère tenant son assemblée annuelle le 21 mai, à Londres).
La principale région des sables bitumineux, en Alberta et en Saskatchewan au Canada, couvre une superficie d’environ 142 000 km 2, en gros la moitié de l’Espagne. Ici un site du pétrolier Suncor.
Les contribuables ont financé 93 % du projet
De fait, Shell a reçu 777 millions de dollars des gouvernements fédéral et provinciaux et 406 millions de dollars de revenus provenant des compensations carbone, selon les chiffres du groupe lui-même. Au total, ces subventions publiques auraient financé 93 % des coûts du projet Quest, a calculé Greenpeace.
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Le ministère de l’Environnement de l’Alberta a qualifié le rapport de Greenpeace de travail de diffamation
. Il assume avoir offert ce programme de crédits carbone comme une incitation ciblée pour aider à stimuler les investissements dans le CCUS à une époque où cette technologie n’avait pas encore fait ses preuves
.
Les investissements continuent en Alberta
Les subventions ont cessé en 2022. Mais si ce rapport fait grand bruit au Canada, c’est que d’autres projets de CCUS sont dans les tuyaux, près de Cold Lake, toujours en Alberta, ou dans la province voisine, la Saskatchewan. Tous réclament et obtiennent des subventions, et aucun ne tient ses objectifs. Celui de la Saskatchewan fonctionne au gaz, autre combustible fossile, et ne parvient toujours pas, au bout de dix ans, à capturer sa tonne annuelle de CO2 promise…
Pour certains chercheurs canadiens, ce captage à la source sert de caution climat
aux membres de l’Association canadienne des producteurs pétroliers pour exploiter davantage d’hydrocarbures. Ces industriels ont annoncé 40,6 milliards de dollars d’investissements en 2024, en hausse, pour financer 7 % de forages supplémentaires. Ils se sont battus, avec succès, contre le plafond d’émissions de gaz à effet de serre, que le gouvernement libéral de Justin Trudeau a voulu leur imposer en 2021. Ce plafond n’entrera en vigueur qu’en 2030 et aura suffisamment de souplesse
pour permettre aux entreprises d’augmenter la production, notamment dans le secteur des sables bitumineux, note le journal Le Devoir.
38 % des émissions totales du Canada
L’Alberta a émis 270 millions de tonnes d’équivalent de dioxyde de carbone en 2022, soit 38 % des émissions totales du Canada. Ça ne baisse pas, voire cela s’aggrave selon une étude parue en janvier 2024 et dirigée par l’ingénieur environnemental Drew Gentner, de Yale, et le chimiste John Liggio, d’Environnement et Changement climatique Canada. Ils ont utilisé des avions pour mesurer les rejets des sables bitumineux albertains. Les résultats indiquent que ces émissions sont 20 à 64 fois plus intenses que celles signalées précédemment
.