Berlin 1936, quand Hitler organisa les Jeux de la XIe Olympiade de l'ère moderne

berlin 1936, quand hitler organisa les jeux de la xie olympiade de l'ère moderne

Hitler aux Olympiades de Berlin, 1936.

En organisant les Jeux de la XIe Olympiade de l’ère moderne dans la capitale allemande, Adolf Hitler se sert des JO comme d’une vitrine pour mettre en avant l’idéologie et le régime nazis. Certains ont bien tenté de s’opposer à la tenue de la grand-messe berlinoise. En vain…

La compétition restera connue comme «les Jeux de la honte»

Ce sont plus de 100 000 spectateurs qui se pressent dans les tribunes du stade olympique, monumentale enceinte à l’architecture inspirée par le Colisée de Rome, édifiée dans l’ouest de la capitale allemande. En ce 1er août 1936, vers 16 heures, une immense acclamation s’élève du public. Tous les regards se tournent vers les officiels qui apparaissent dans l’embrasure Ouest de l’arène, passent près de la vasque olympique et empruntent l’escalier monumental descendant vers la pelouse. Au centre du groupe se trouve Adolf Hitler, en uniforme militaire. À ses côtés, un grand homme en redingote, haut-de-forme à la main, arborant un épais collier doré orné d’anneaux et de médaillons : le comte Henri de Baillet-Latour, président belge du Comité international olympique, venu célébrer avec le Führer l’ouverture des Jeux de la XIe olympiade des temps modernes. Derrière eux, suivent des pontes du CIO et une brochette de dignitaires nazis.

La petite troupe traverse le stade, saluée par une forêt de bras tendus, et s’installe à la tribune d’honneur. Puis, Hitler, Baillet-Latour et les autres assistent au défilé des 4 000 athlètes de 49 délégations venus s’affronter pendant les quinze jours de compétition, pour ce qui sera la plus grande manifestation sportive des années 1930. France, États-Unis, Japon, Royaume-Uni… Toute l’internationale olympique (l’URSS, absente, n’est pas à l’époque membre du CIO), bardée de ses idéaux pacifiques, défile aux pieds de celui qui mettra bientôt le monde à feu et à sang. L’image est l’une des plus embarrassantes de l’histoire des Jeux, au point que ceux de Berlin 1936 seront surnommés «les Jeux de la honte».

Une édition qui n’avait pas été attribuée à l’Allemagne hitlérienne

L’infamie, pourtant, aurait pu être évitée. À l’origine, le CIO n’avait pas attribué l’édition 1936 des JO à l’Allemagne hitlérienne, mais à celle… de la république de Weimar, régime démocratique instauré outre-Rhin au lendemain de la Grande Guerre. La décision avait été prise en 1931 afin de célébrer le retour du pays germanique dans le concert des nations, treize ans après sa défaite de 1918. La ville de Berlin, de plus, s’était déjà vu attribuer l’édition de 1916, finalement annulée pour cause de conflit. Il semblait donc équitable de lui accorder un rattrapage.

Puis Adolf Hitler, arrivé au pouvoir en janvier 1933, hérita de cet événement. Il y a prêté au départ peu d’attention – les Jeux olympiques n’ont pas encore l’aura planétaire qu’ils ont aujourd’hui – avant de réaliser, sous l’influence de son ministre de la Propagande Joseph Goebbels, quel profit il pourrait en tirer. Dès l’été 1933, le Führer s’appropria l’événement et initia les grands chantiers. Exposant le CIO et le monde sportif à un dilemme : fallait-il maintenir ces Jeux en vertu de la neutralité politique des JO, au risque de cautionner une dictature raciste et belliqueuse bien éloignée des valeurs olympiques ? Ou au contraire annuler, boycotter – ou réattribuer à une autre ville – le grand raout mondial du sport amateur ?

La question est rapidement mise sur la table, à commencer par celle du CIO. Son président Henri de Baillet-La tour est sous pression, alors que le régime nazi commence déjà à ostraciser les Juifs et les opposants politiques. Début mai 1933, il se fend d’une lettre aux trois membres de l’instance représentant l’Allemagne, dont Theodor Lewald, le président du Comité d’organisation des JO. «Il est indispensable que Monsieur Hitler soit préalablement mis au courant que les Jeux sont remis à une ville et non à un pays, qu’ils n’ont aucun caractère politique, racial, national, confessionnel», écrit le successeur de Pierre de Coubertin, avant de prévenir : «Au cas où ces conditions ne recevraient pas l’approbation du chancelier, il serait préférable que la ville de Berlin retirât sa candidature.» Lewald peut finalement transmettre au CIO un courrier du ministre de l’Intérieur du Reich, garantissant que le pouvoir politique n’interviendra pas dans l’organisation des JO, et que les athlètes juifs n’en seront pas exclus. Une promesse sans grande portée, mais suffisante pour le chef du CIO. À la réunion de juin de l’organisation, à Vienne, la question d’un retrait n’est même plus évoquée. Mieux : l’Allemagne se voit aussi attribuer les Jeux d’hiver de 1936, à Garmisch-Partenkirchen, dans cette Bavière chère à Hitler.

L’arme du boycott fait son apparition

Dès 1933, le CIO a tranché : les Jeux nazis auront bien lieu. La décision ne sera jamais revue, même après les lois de Nuremberg visant les Juifs, en septembre 1935, et la mise à l’écart prévisible des sportifs juifs allemands. La validation du CIO étant acquise, la question du boycott devient brûlante. C’est aux États-Unis qu’elle est la plus intense. Une campagne pour le retrait des athlètes américains se met en place dès 1933, puis redouble d’intensité en 1935. Elle regroupe une myriade d’organisations religieuses, juives ou non, d’associations de défense des droits de l’homme et des droits civiques des Noirs, de municipalités, d’universités, de journaux, en général classés au centregauche, à l’image du New York Times, qui titre en avril 1933 : «Les Jeux olympiques de 1936 seront peut-être annulés à cause de la campagne allemande contre les Juifs.» Des personnalités du monde sportif s’y engagent aussi, tels Ernst L. Jahncke, membre américain du CIO, et Jeremiah T. Mahoney, président de la puissante Union des athlètes amateurs (AAU). Des manifestations publiques ont lieu pour défendre le boycott, auquel, au printemps 1935, 43 % des Américains sont favorables. Mais comme pour le CIO, les autorités du Reich ont su amadouer les décisionnaires.

Le personnage clé est ici Avery Brundage, ancien sportif et entrepreneur de Chicago, présidant depuis 1928 le Comité olympique américain. D’abord critique face à la participation de son pays, il s’en est fait un ardent défenseur après une mission d’inspection orchestrée par le Reich en 1934. Les athlètes, a-t-il dit, ne doivent pas se mêler de «l’altercation» (sic) entre Juifs et nazis. Et les appels au boycott n’étaient pour lui que le résultat d’une «conspiration judéo-communiste ». Son lobbying a fait échouer la dernière occasion pour les Américains de refuser le voyage de Berlin, un vote crucial de l’Union des athlètes amateurs, en décembre 1935, où le «oui» à la participation américaine l’a emporté de justesse. Le président démocrate Franklin D. Roosevelt, lui, ne s’est pas prononcé, arguant du principe d’indépendance du Comité olympique américain. Des diplomates, notamment George S. Messersmith, en poste à Berlin et à Vienne dans les années 1930, l’ont pourtant averti de l’impact que pourrait avoir un boycott : «Pour le parti [nazi] la tenue des JO de 1936 à Berlin est devenu le symbole de sa conquête du monde. Si les Jeux ne se tenaient pas à Berlin, ce serait un des coups les plus durs portés au prestige du national-socialisme […], un des moyens les plus efficaces de montrer à la jeunesse allemande ce que le monde entier pense de la doctrine nazie.»

La venue de la team America confirmée, Hitler et Goebbels peuvent souffler : l’absence de l’équipe qui a dominé la compétition précédente aurait été un coup dur porté à «leurs» Jeux. Les efforts pour tempérer les inquiétudes et afficher leur respect de «l’idéal olympique» ont payé. Privées de l’appui américain, les tentatives de boycott apparues au Royaume-Uni, en Norvège, en Tchécoslovaquie, ou encore aux Pays-Bas, ont échoué à leur tour. Un dernier sursaut aurait pu venir de la France. La mobilisation, apparue tardivement, a été limitée au champ politique et au mouvement sportif ouvrier, d’obédience communiste ou socialiste. Elle a culminé en juin 1936 avec la tenue d’une Conférence internationale pour le respect de l’idée olympique, dans un hôtel parisien, où l’écrivain Heinrich Mann, intellectuel de gauche en exil, a comparé les athlètes à des «gladiateurs et bouffons» à la solde d’Hitler.

L’art du compromis du gouvernement de Léon Blum

L’arrivée au pouvoir en mai 1936 du Front populaire, coalition de partis de gauche résolument antifascistes, aurait pu jouer en faveur du boycott, de surcroît quelques mois après la remilitarisation de la Rhénanie, affront des nazis à la France. Il n’en a rien été. Le gouvernement de Léon Blum a préféré adopter une position de compromis, pour ne froisser ni ses alliés communistes, ni la droite (favorable à la participation aux Jeux), ni le mouvement sportif, ni l’Allemagne, afin de préserver les chances de paix. Le 9 juillet 1936, la Chambre des députés a validé sans difficultés un budget d’un million de francs pour les athlètes en partance pour Berlin. La saillie anti-Jeux du communiste Florimond Bonte («Aller à Berlin, c’est accepter une sorte de complicité avec les bourreaux») est restée sans suite. La droite, enthousiaste, a voté pour, la gauche, Parti communiste inclus, s’est abstenue… Un seul élu, le radical Pierre Mendès France, s’est prononcé contre.

En contrepartie, le Front populaire a alloué 600 000 francs pour la participation française aux Olympiades populaires de Barcelone, la seule alternative concrète aux Jeux de Berlin. Issus du mouvement sportif ouvrier, ces Jeux antifascistes se voulaient défenseurs du «véritable esprit olympique », pacifiste, fraternel, sans discrimination. Plus de 5 000 athlètes s’y sont inscrits, dont 1 200 Français, encouragés par Léo Lagrange, l’emblématique sous-secrétaire d’État aux Sports de Léon Blum, qui a présidé les épreuves qualificatives le 4 juillet 1936 au stade Pershing, dans le bois de Vincennes, à Paris. Parmi les 23 délégations annoncées en Catalogne, celles de nations «classiques», comme les États-Unis et les Pays- Bas, mais aussi d’athlètes exilés et de nations nonsouveraines : l’Algérie, l’Alsace, le Pays basque… La cérémonie d’ouverture était prévue le 19 juillet. Mais le 17, les forces nationalistes du général Franco ont lancé leur coup d’État, marquant le début de la guerre d’Espagne. Les contre-Jeux ont été annulés. Complaisance et aveuglement des autorités olympiques, indifférence relative du monde sportif, attentisme et embarras des démocraties, lobbying efficace du Reich et de ses relais pro-JO berlinois, échec des alternatives… Les Jeux de 1936 n’ont finalement souffert que de quelques boycotts individuels d’athlètes juifs.

Une opération de propagande du régime nazi

Le 1er août 1936, le régime nazi peut donc lancer sa formidable opération de propagande, camouflée sous le drapeau vertueux de l’olympisme. En amont des JO, ses dirigeants ont orchestré une vaste campagne internationale pour rassurer et attirer les visiteurs du monde entier, via des millions de cartes postales, affiches et brochures diffusées dans des dizaines de pays. Sur place, les 75 000 spectateurs étrangers qui ont fait le déplacement découvrent une capitale du Reich ripolinée, accueillante, pavoisée de bannières à croix gammée et anneaux olympiques… et même débarrassée pour l’occasion de ses inscriptions antisémites.

Quinze jours durant, l’Allemagne nazie affiche un visage moderne et prospère, pacifique et tolérant, relayé par les 2 800 journalistes venus couvrir l’événement. Pour parfaire l’illusion, l’équipe du Reich a même veillé à intégrer dans ses rangs la fleurettiste allemande Helene Mayer, athlète «demijuive » selon les critères de Nuremberg, alors que les Juifs sont exclus du monde sportif du pays. La réussite de l’organisation se double d’une victoire sportive allemande, avec 89 médailles contre 56 pour les États-Unis, même si l’on retient aussi la performance d’un Noir américain, Jesse Owens, dont les quatre médailles d’or écornent la supposée supériorité de la race aryenne. En fin de compte, le Reich sort conforté «dans la conscience de sa force, de son génie et de ses possibilités illimitées», pour reprendre les mots de l’ambassadeur français André François-Poncet, alors en poste à Berlin. Le diplomate voit alors dans ces Jeux «une sorte de point culminant, sinon d’apothéose, pour Hitler et le IIIe Reich».

Paradoxalement, ils le seront aussi pour l’histoire des Jeux. Même pervertie et manipulée par le nazisme, l’édition berlinoise constitue un tournant. Elle fait basculer les JO dans l’ère du gigantisme, de la débauche médiatique, du pouvoir de l’image, de la glorification des corps… Elle introduit aussi des nouveautés promises à un bel avenir, comme l’idée d’allumer la flamme à Olympie et de l’acheminer par des relayeurs jusqu’à la vasque de Berlin. Enfin, l’exploitation de l’olympisme à des fins politiques, l’irruption du nationalisme et de la propagande dans le stade, et l’arme du boycott, font leur apparition lors de ces JO de 1936, premiers vrais jeux de l’ère moderne…

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°73, Jeux olympiques, de janvier-février 2024.

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