« Tu es viré ! » : l’heure des comptes au procès de Donald Trump
«Ã‚ Tu es viré ! » : l’heure des comptes au procès de Donald Trump
Elle est reconnaissable entre mille, un D majuscule suivi d’une série de zigzags : la signature de Donald Trump. « Au feutre noir, c’est ce qu’il utilise toujours », d’après Deborah Tarasoff, chef de la comptabilité à la Trump Organization. Lundi, le jury l’a vue sur neuf chèques, à l’ordre de l’ancien avocat de Trump, Michael Cohen. Une journée ardue, mais nécessaire.
Au 12e jour du procès à Manhattan, après une plongée dans le monde des tabloïds, des playmates, des stars prêtes à payer des millions pour sauver leur réputation et des avocats qui en vivent, l’accusation s’est attaquée au c?ur de l’affaire.
Car Donald Trump n’est pas accusé de traîner dans un milieu sordide, ni d’avoir couché avec une star du porno, Stormy Daniels, en 2006, ni même de l’avoir payée 130 000 dollars pour qu’elle garde le silence sur cette relation, dix ans plus tard. C’est beaucoup moins croustillant que ça : les 34 chefs d’accusation portent sur la falsification de documents financiers de la Trump Organization, plus précisément sur 11 factures, 11 chèques et 12 écritures comptables.
En 2016, c’est Michael Cohen, qui a payé Stormy Daniels. Il a ensuite demandé à être remboursé. Selon l’acte d’accusation, ce remboursement a été effectué sous la forme de paiements classés comme « frais juridiques » dans les comptes de la Trump Organization. Cohen n’y était alors plus officiellement employé. Le jury a donc vu défiler 11 factures, 12 écritures et 11 chèques en question, avec les explications de deux témoins clés. Tous deux avaient été assignés à comparaître et la Trump Organization paie leurs avocats.
À LIRE AUSSI « Paie cash », l’enregistrement qui met en difficulté Donald Trump à son procèsLe premier, Jeff McConney, joues et ventre ronds, cheveux, moustache et bouc blancs, est l’ancien contrôleur de gestion de la Trump Organization qui, accessoirement, n’a plus le droit de diriger une entreprise pendant trois ans à New York, ni d’y occuper de poste financier, à vie, pour? fraude, à l’issue du procès civil de novembre 2023. Son témoignage a permis d’entrevoir le management à la Trump. McConney était arrivé depuis à peine un an quand il est entré dans son bureau pour lui déposer un rapport. Le patron était au téléphone, mais lui a dit : « Jeff, tu es viré ! » Puis, après avoir raccroché : « Jeff, tu n’es pas viré, mais mon solde de trésorerie a baissé par rapport à la semaine dernière. »
« You’re fired ! »
McConney a eu beau expliquer que des dépenses étaient apparues, Trump lui a demandé : « Concentre-toi sur mes factures, négocie mes factures. » « C’était une leçon, se souvient McConney. Si quelqu’un demande de l’argent, négocie avec lui », au lieu de payer directement. Outre la phrase qui rappelle celle de l’émission de télé-réalité The Apprentice (« You’re fired ! »), où Trump « virait », ou non, des candidats pour son entreprise, l’anecdote prouve qu’on peut difficilement accuser Trump de négliger sa trésorerie. Lui-même, dans la salle d’audience, rit, les épaules secouées, quand McConney la raconte. Parmi les autres détails qui prouvent que Trump n’était pas du genre à ignorer des sorties d’argent, le fait qu’il était le seul à pouvoir les autoriser depuis son compte personnel (d’où sont sortis neuf des paiements à Michael Cohen). Cela a son importance pour la suite.
Au c?ur de l’affaire figure une conversation avec l’ancien directeur financier, Allen Weisselberg (actuellement en prison? pour fraude, puis pour parjure). « Al a dit : ?Nous devons donner de l’argent à Michael, rembourser Michael.? J’ai commencé à prendre des notes », raconte McConney. On distingue, sur un relevé de compte de Michael Cohen, le paiement de 130 000 dollars à Stormy Daniels. Et l’on découvre, dans les gribouillis de Weisselberg, comment un remboursement de 130 000 dollars atteint? 420 000 dollars. Une somme de 50 000 dollars de « services techniques » est ajoutée aux 130 000 dollars initiaux, le tout est doublé, ce qui donne 360 000 dollars, auxquels s’ajoutent 60 000 dollars de bonus. Le total, en un généreux (et inhabituel, selon McConney) tour de magie, est de 420 000 dollars.
Weisselberg demande à McConney de découper cette somme en douze paiements mensuels de 35 000 dollars. Que comprendre ? En doublant la somme initiale, la comptabilité la fait ressembler à un salaire pour lequel l’imposition aurait été prévue. Et pas un remboursement de frais, qui n’est pas imposable. Quant à l’intitulé de la dépense à entrer dans les comptes, « frais juridiques », c’était aussi une suggestion de Weisselberg, que Jeff McConney passait à l’échelon inférieur : Deborah Tarasoff. Cohen n’était plus officiellement avocat de la Trump Organization, mais la défense soutient qu’il était « l’avocat personnel » de Trump.
Trump « avait la main sur tout »
Deborah Tarasoff, employée de la Trump Organization depuis 2000, cheveux blancs et chemise à carreaux, est le deuxième témoin. Elle aussi décrit la Trump Organization comme une entreprise familiale, dans laquelle Trump « avait la main sur tout ». Quand il ne voulait pas signer un chèque, c’est simple, il ne le signait pas. « Il le renvoyait avec la mention : ANNULÉ », raconte-t-elle. Les paiements s’étalent de janvier 2017 à décembre 2018, d’abord depuis la Trump Organization, puis, à partir d’avril, du compte personnel de Donald Trump. « Qui pouvait signer des chèques [depuis ce compte] ? » « Seulement Donald Trump », répond Deborah Tarasoff, et ce, quel que soit le montant. À partir de janvier 2017, Trump n’était plus à New York, mais à la Maison-Blanche, et on lui envoyait les chèques à signer par FedEx.
Les documents ne mentent pas, les e-mails de Michael Cohen demandant à être payés, les calculs de Weisselberg, les e-mails de McConney qui faisait suivre les factures de Cohen et ordonnait à Tarasoff : « Paie, s’il te plaît. » Il reste un problème. Quand Emil Bove, avocat de Trump, demande à McConney si Weisselberg lui avait dit qu’il suivait les instructions de Trump, McConney répond : « Allen ne m’a jamais rien dit de tel. » Le jury a vu ses chèques, qu’il était le seul à pouvoir signer, entendu que Trump était un micromanageur obsessionnel (d’ailleurs beaucoup plus attentif aux témoignages de ce jour), qu’il surveillait toutes ses dépenses, au point d’en refuser certaines, pour l’instant, personne n’a vraiment prouvé que l’ordre de rembourser Michael Cohen ainsi venait de lui.