Sexe, amour, célébrité… Les paroles de Taylor Swift décryptées
La France est un des pays qui lui résista le plus longtemps. Mais que les « swifties » se rassurent, l’Hexagone s’est, depuis, totalement livré aux bras de cette blondinette au regard de biche et à la volonté de fer. Ses quatre concerts en mai à Paris (La Defense Arena ? 40 000 spectateurs) et deux à Lyon (Groupama Stadium ? 50 000 spectateurs) affichaient complet quelques instants après leur mise en vente. En 17 ans de carrière, elle a vendu plus de 100 millions d’albums, remporté 14 Grammy Awards, 40 American Music Awards et 23 MTV Video Music Awards? À 34 ans, sacrée personnalité de l’année par le magazine Time, elle est tellement influente que les trumpistes l’accusent de manipuler l’élection (en leur défaveur). Et sa vie amoureuse a récemment sauvé la NFL, la ligue de football américain : en sortant avec le joueur Travis Kelce, elle a fait exploser les audiences de son équipe, les Kansas City Chiefs. Certains de nos compatriotes se sont même mis à regarder, à des heures insensées, les retransmissions de matchs de football américain pour l’apercevoir dans les gradins, applaudissant son musclé fiancé? Quel est le secret de cette tête bien faite ? Une tête bien remplie, et une plume bien affûtée.
À LIRE AUSSI Taylor Swift peut-elle sauver Joe Biden ? L’arme fatale de Taylor Swift se cache dans ses paroles, récitées par c?ur par ses fans lors de ses concerts. Une écriture intime, reflet de sa vie, dont elle est l’autrice. Dès ses débuts à 13 ans sur une scène du New Jersey, elle laisse deviner un talent de narratrice, de storyteller. Elle a écrit le texte de « Lucky You » un an plus tôt, à 12 ans, et s’il ne lui vaudra pas un prix Nobel de littérature, il est la première page du début d’une histoire : « There’s a little girl in this little town / With a little too much heart to go around? (une petite fille dans une petite ville avec un c?ur un peu trop gros) ». Selon Sir Jonathan Bate, professeur à l’université de Warwick et spécialiste de Shakespeare, la « sensibilité littéraire » de Swift est visible dès son premier album éponyme, sorti en 2006, quand elle avait 16 ans. Pour lui, l’autrice-compositrice est une poétesse, qui sait puiser dans ses moments les plus sombres pour inspirer sa prose.
Déceptions sentimentales et écriture visuelle
À l’image des jeunes filles de son âge, ses premiers opus traitent essentiellement de ses flirts avec des garçons, de son isolement à l’école, de son désir de percer dans la musique et de sa peur de quitter le cocon de l’enfance. Les mots « radio », « solitude » et « fille », reviennent souvent, chantés sans effets, comme si elle nous les confiait à l’oreille. Une lecture mélodieuse et charmante du journal intime d’une adolescente.
Très vite, elle rencontre ce succès tant recherché, elle mûrit, et comprend qu’elle n’a besoin d’aucun amoureux pour réaliser ses rêves ambitieux : « I’m not a princess, this ain’t a fairy tale (Je ne suis pas une princesse, ceci n’est pas un conte de fées) / I’m not the one you’ll sweep off her feet / Lead her up the stairwell / This ain’t Hollywood, this is a small town / I was a dreamer before you went and let me down / Now it’s too late for you and your white horse / To come around » (« White Horse »).
Dans son album Fearless, le champ lexical de la pluie revient souvent, comme si elle se lavait de son passé, pour renaître en pop star impossible à arrêter. « L’un des grands talents de Taylor, c’est sa capacité à placer un moment sous une loupe pour exprimer toutes les facettes de ce qu’elle a ressenti », analyse Satu Hämeenaho-Fox, dans son livre Into the Taylor-Verse (Gallimard Jeunesse). Citons ici l’émouvante chanson « Soon You’ll Get Better », sortie en 2019, racontant le cancer de sa mère, et sa peur dans le cabinet du docteur : « The buttons of my coat were tangled in my hair / In doctor’s-office-lighting, I didn’t tell you I was scared / That was the first time we were there / … / Desperate people find faith, so now I pray to Jesus too / And I say to you / Ooh-ah, soon you’ll get better ». (« Les boutons de mon manteau étaient emmêlés dans mes cheveux / Dans l’éclairage du cabinet médical, je ne t’ai pas dit que j’avais peur / C’était la première fois que nous y étions / … / Des gens désespérés trouvent la foi, alors maintenant je prie aussi Jésus / Et je te dis / Ooh-ah, bientôt tu iras mieux »).
À LIRE AUSSI Comment Taylor Swift fait tourner la tête des fans avec ses « surprise songs » Son écriture devient de plus en plus visuelle, accompagnée d’un son de plus en plus pop. Red est un des 500 meilleurs albums de tous les temps, selon le magazine Rolling Stone. Elle s’y livre sans réserve sur ses déceptions sentimentales : « Photo album on the counter / Your cheeks were turning red / You used to be a little kid with glasses in a twin-sized bed / And your mother’s telling stories ’bout you on the tee-ball team / You told me ’bout your past thinking your future was me / And I know it’s long gone and there was nothing else I could do », regrette-t-elle dans l’énorme tube « All Too Well », entourée des souvenirs photo de son ex, faisant le deuil de leur futur. Elle distille aussi dans ses textes des messages cachés, appelés « easter eggs », affolant les fans. Une expression, une couleur, une image, ou des lettres en majuscules formant un mot? Ses paroles sont décryptées comme des cartes au trésor, un coffre renfermant des indices sur ses prochaines sorties.
Une plume libérée par le confinement
1989 est l’opus de son installation à New York, et il a l’énergie de ses rues et de sa liberté. Critiquée pour changer d’amant comme de chemise, elle se décrit dans « Blank Space » en mante religieuse sans scrupule : « Saw you there and I thought / ?Oh, my God, look at that face / You look like my next mistake / Love’s a game, wanna play ?? (Oh mon dieu, regarde ce visage / Tu ressembles à ma prochaine erreur / L’amour est un jeu, tu veux jouer ?). » Les problèmes, les doutes, les critiques, elle les « Shake It Off », comme elle le crie : elle les « secoue », rien n’a de prise sur elle. Dans ses albums suivants, l’ex-princesse country boit, fait l’amour, danse, rit, enrage, se venge, bref elle vit, et cette vie vibrante, elle la tient fermement entre ses mains délicates. Ici, pas de dérapage à la Britney ; la patronne, c’est elle, et les jeunes filles devenues femmes s’en inspirent.
Sa plume aussi se libère. Dans Folklore et Evermore, elle écrit dans l’urgence et l’isolement du confinement, elle invente des personnages, des destins, des atmosphères boisées et tendres. Privée de tournée, libérée d’un coup de toute pression, la pop star ne s’arrête plus de créer. Elle mêle avec finesse fiction et confession, et réalise un véritable travail de narration sur l’amour, le mariage, l’infidélité, le deuil, la dépression? Ses maîtres ? Pablo Neruda, Robert Frost, Joni Mitchell, Daphné du Maurier, Charlotte Brontë?
Dans des conditions très « indé », elle gratte les paroles sensibles en quelques minutes au milieu de la nuit, puis enregistre sa voix sous une couette dans sa chambre aménagée en studio à Los Angeles et les envoie aux musiciens à New York. Elle dresse des portraits de femmes conquérantes comme, dans « The Last Great American Dynasty », la riche compositrice Rebekah Harkness, qui collectionne les succès et les maris : « Rebekah rode up on the afternoon train / It was sunny / Her saltbox house on the coast took her mind off St. Louis / Bill was the heir to the Standard Oil name and money / And the town said, ?How did a middle-class divorcee do it ?? » ( « Rebekah est arrivée dans le train de l’après-midi / Il faisait beau / Sa maison à sel sur la côte lui a fait oublier Saint-Louis / Bill était l’héritier du nom et de l’argent de Standard Oil / Et la ville a dit : “Comment une divorcée de la classe moyenne a-t-elle pu faire ça ?” »). Une voix féministe est née.
À LIRE AUSSI Box-office, séisme, Grammy Awards? Les chiffres complètement fous du phénomène Taylor SwiftDans Midnights, elle s’essaie à l’exercice de l’album concept : un collage de treize chansons sur treize nuits blanches, où elle confie les insécurités sur son corps qui la poussent à parfois s’affamer, et dont une phrase deviendra culte, (dans « Anti-hero ») : « It’s me, hi, I’m the problem, it’s me (Salut, c’est moi, c’est moi le problème) ». Elle dit avoir trois types de chansons : les textes à plume (influencés par la littérature et la nature), les textes à stylo à encre (des poèmes personnels) et les textes à stylo gel pailleté (des tubes pour faire la fête). À quelle catégorie appartient son dernier opus, The Tortured Poets Department ? Aux textes à stylo à encre ! « So when I touch down, call the amateurs and cut ’em from the team », chante-t-elle au sujet de son petit ami footballeur Travis Kelce (un touch down est un essai dans ce sport). Happy end ?