Pro-UE, répression, influence russe… 5 minutes pour comprendre la crise politique qui secoue la Géorgie
Des manifestants proeuropéens se sont rassemblés devant le Parlement géorgien, mardi, alors que les députés examinaient un projet de loi sur “l’influence étrangère” considéré comme liberticide par l’opposition. REUTERS/Irakli Gedenidze
C’est un pays de contrastes. Installé entre la Russie au nord et la Turquie au sud, bordée par la mer Noire à l’ouest et l’Azerbaïdjan et l’Arménie à l’Est, la Géorgie n’en a pas moins les yeux tournés vers l’Europe depuis le début des années 2000. Au point, même, de s’être vu octroyer le statut de pays candidat à l’UE fin décembre dernier.
Et pourtant, deux régions autonomes revendiquent leur proximité avec Moscou et, même, leur volonté de rattachement au voisin russe. La division s’est installée au plus haut de l’État, entre une présidente pro-occidentale et un Premier ministre à l’exact opposé. Début avril, une proposition de loi a mis le feu aux poudres entre les deux camps. Déclenchant la violence tant dans la rue qu’au sein même des institutions politiques, alors que le texte a été adopté ce mercredi au parlement en deuxième lecture mais pas encore ratifié.
Que s’est-il passé ?
Début avril, Rêve géorgien, le parti au pouvoir, a réintroduit un projet de loi – qui avait fait son apparition en 2023 mais avait été retiré face au tollé provoqué – visant à réprimer « l’influence étrangère ». Depuis, le pays est secoué par des manifestations antigouvernementales.
Le texte est jugé contraire aux aspirations – pourtant inscrites dans la Constitution – de la Géorgie à rejoindre l’Union Européenne, notamment par le président du Conseil européen Charles Michel. Ses détracteurs voient dans ce projet, calqué sur la loi russe sur les « agents de l’étranger », l’influence de Moscou.
Mardi, des milliers de manifestants se sont réunis devant le Parlement géorgien, où le projet était débattu en deuxième lecture. Malgré un nouveau rassemblement ce mercredi, le texte a été adopté ce mercredi au parlement en vue d’une ratification, pour l’instant très incertaine, prévue mi-mai.
Des violences dans la rue et en politique
La manifestation, décrite comme « pacifique » par la présidente Salomé Zourabichvili, a été violemment réprimée et plus de 60 personnes ont été arrêtées. La cheffe de l’État, opposée au gouvernement en place mais qui ne dispose pas du pouvoir exécutif, a demandé au ministre de l’Intérieur de « mettre immédiatement fin (…) à l’utilisation d’une force disproportionnée ». Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a appelé de son côté les autorités géorgiennes à « garantir le droit de réunion pacifique », rappelant au passage le statut de « candidat à l’UE ». Mais le ministre de l’Intérieur s’est défendu en arguant que la police avait fait un usage « légitime » de la force.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a indiqué mercredi suivre avec « une vive inquiétude » les manifestations en Géorgie réprimées par la police, condamnant « la violence » et appelant Tbilissi à « garder le cap » vers l’UE.
«Ã‚ Les citoyens géorgiens démontrent leur profond attachement àla démocratie, le gouvernement géorgien devrait tenir compte de ce message clair », a-t-elle déclaré sur X, rappelant les « inquiétudes » de Bruxelles sur le projet de loi visant « l’influence étrangère », que les manifestants jugent similaire àune législation russe utilisée contre l’opposition.
Le plus haut de l’État n’est pas épargné par les divisions et la tension. Le député Levan Khabeichvili, membre du principal parti d’opposition, a été violemment battu au cours de la manifestation de mardi, selon l’AFP. Mi-avril déjà, une séance au Parlement a tourné au pugilat entre défenseurs et opposants du projet.
UE ou Russie ?
Ancien pays de l’URSS, qui a vu naître Joseph Staline, la Géorgie a choisi de se tourner vers l’Occident après la révolution des Roses, en 2003. La présidente, ancienne diplomate française, fille d’immigré géorgien et qui a obtenu il y a plus de 20 ans la nationalité du pays dont elle est à la tête, est clairement proeuropéenne. Les sondages montrent qu’elle n’est pas seule : la population est plutôt favorable à l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN.
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Mais Bidzina Ivanichvili, le président de Rêve Géorgien, de facto très influent sur la politique du pays, est un fervent défenseur du projet de loi controversé. Son parti, au pouvoir, est accusé de vouloir ramener le pays dans le giron russe. Lundi, il a tenu devant ses partisans un discours qui ne laisse que peu de doute sur ses intentions et ses opinions, rangeant sous l’étiquette du « parti mondial de la guerre », les Occidentaux, l’opposition et, plus largement, la société civile géorgienne opposée au texte.
Une vision qui trouve de l’écho chez une partie des Géorgiens. « Près d’un tiers du territoire est informellement aux mains de la Russie, un autre tiers est sous influence économique turque », pose Taline Ter Minassian, professeure d’histoire contemporaine de la Russie et du Caucase. « Le pays est donc, fatalement, dans une forme de dépendance avec ces deux grands voisins et, en même temps, il y a une véritable influence occidentale », poursuit-elle. De quoi expliquer la fracture au sein de la population.