Marlene Dietrich, la "traîtresse" du Reich

Marlene Dietrich en 1938.

En 1936, Goebbels fait un pont d’or à l’actrice, qui vit aux Etats-Unis, pour qu’elle rentre en Allemagne. Mais, viscéralement antifasciste, la star de l’Ange bleu mettra sa notoriété au service des alliés.

En l’église de la Madeleine, à Paris, le 14 mai 1992, un cercueil recouvert du drapeau français : celui de Marlene Dietrich. Deux jours après, la dépouille mortelle de la star revient au pays, selon ses dernières volontés. Cette fois, la bière est drapée du Stars and Stripes américain, tandis que les Berlinois jettent des fleurs sur le passage du convoi sillonnant la capitale allemande jusqu’au cimetière de Friedenau. Port d’attache, pays d’adoption et mère-patrie : trois nations se rejoignent au terme d’une existence qui, si on en croit l’icône, ne fut traversée par aucun conflit de loyauté.

«Je suis allemande de naissance, et je resterai toujours allemande, quoi qu’on ait pu dire, a-telle écrit dans ses mémoires. Je fus obligée de changer de nationalité quand Hitler arriva au pouvoir. Sinon, je m’y serais toujours refusée. L’Amérique me reçut en son sein alors que je n’avais plus de patrie digne de ce nom, et je lui en suis reconnaissante. Je suis restée une bonne citoyenne, mais au fond de mon coeur, je suis allemande.» N’y eut-il pas, toutefois, une relation d’amour-haine entre son pays d’origine et Marlene ? Un mélange de fascination et de rejet, dans une Allemagne dont elle fut longtemps la mauvaise conscience ?

La star de cinéma quitte Berlin en 1931 pour sa carrière

Lorsque Marie Magdelene Dietrich prend, pour la première fois, un paquebot pour les États-Unis, le 1er avril 1930, la république de Weimar n’a pas encore cédé la place au IIIe Reich. Devenue une star du jour au lendemain grâce au rôle de Lola-Lola dans L’Ange bleu, seul film tourné en Allemagne par l’Américain d’origine autrichienne Josef von Sternberg, cette fille de grands bourgeois prussiens, dont l’éducation stricte a servi ses ambitions d’artiste, ne quitte pas Berlin pour des raisons politiques. Forte de huit années de petits rôles dans des revues, Marlene sait ce qu’elle doit au réalisateur. Sternberg ne l’a pas seulement imposée en chanteuse de cabaret. Il l’a sublimée et a fait sa promotion auprès de la Paramount.

Signant un contrat avec le studio américain le 29 janvier 1930, Marlene Dietrich abandonne, anxieuse, son pays le soir même de la première du film. L’aventure hollywoodienne auprès de son mentor démarre fort : Coeurs brûlés et Agent X 27 sont de grands succès qui en font l’incarnation de la femme fatale. Lorsqu’elle retourne à Berlin neuf mois plus tard, nostalgique, Marlene doit se rendre à l’évidence : son avenir s’écrit désormais en Amérique. Embarquant son époux, Rudolf Sieber, avec qui elle forme un couple libre, et leur fille Maria, 6 ans et demi, la star quitte en avril 1931 la ville qui l’a vue naître vingt-neuf ans plus tôt. Elle ne reverra Berlin qu’à l’été 1945…

Artiste cosmopolite et dépravée

Ce n’est pas l’arrivée au pouvoir d’Hitler qui lui fait prendre la nationalité américaine. Mais aux États-Unis, Marlene forge sa gloire en opposition aux nazis. Lesquels ne cessent de jouer vis-à-vis d’elle un double jeu. Portant des pantalons d’homme, multipliant les infidélités, ne dissimulant pas sa bisexualité, Dietrich représente l’artiste cosmopolite et dépravée que la nouvelle Allemagne, promotrice d’une image traditionnelle de la femme, ne peut accepter. Le ministre de la Propagande Josef Goebbels fait publiquement savoir qu’elle n’a plus sa place au pays. Mais en sous-main, il en va différemment. Ni juive, ni communiste, Marlene n’affiche pas d’altérité rédhibitoire pour le IIIe Reich. Unique star germanique planétaire, elle serait, pour un régime en quête de respectabilité, une formidable prise de guerre.

Sa rupture professionnelle, en 1935, avec son pygmalion, pousse même Goebbels à se renier dans un communiqué : «Applaudissons Marlene Dietrich, écrit-il. Celle-ci a finalement congédié le metteur en scène juif Josef von Sternberg […] Maintenant [elle] devrait revenir dans sa patrie, pour y assumer son rôle historique de chef de file de l’industrie cinématographique allemande.» Mais cet appel révulse la vedette expatriée. Auteur d’une biographie de l’actrice (Marlene Dietrich, la scandaleuse de Berlin, éd. Perrin, 2019), l’historien Jean-Paul Bled rapporte que, lorsque celui qu’elle surnomme le «nain grotesque» envoie fin 1936 à Londres, où elle tourne, un émissaire afin de lui proposer un pont d’or pour réintégrer la compagnie cinématographique du Reich, l’UFA, la star ne le reçoit pas. Certes, lors de déclarations publiques, et afin de ne pas nuire à ses proches restés en Allemagne, elle affirme : «Je suis une actrice, je ne fais pas de politique», mais en privé, elle ne cesse de contredire cette neutralité.

En 1939, elle obtient la nationalité américaine

Dès 1933, Sternberg, revenu de Berlin, lui ouvre les yeux sur Hitler et son idéologie mortifère. La star crée ainsi, avec le réalisateur Billy Wilder, un fond destiné à venir en aide aux réfugiés politiques et juifs allemands. Ses liaisons avec l’écrivain antinazi Erich Maria Remarque, puis Jean Gabin, qui a fui la France de Vichy pour les États-Unis, renforcent ses convictions. Le 9 juin 1939, elle obtient la nationalité américaine.

Pour les Allemands, la rupture avec la «traîtresse» est consommée. Ses films et ses chansons sont censurés. Dietrich est désormais paria dans son pays et en lutte contre lui dès le début des hostilités entre les États-Unis et les forces de l’Axe. Elle intervient à la radio, le 23 décembre 1941, pour inviter les Américains à souscrire à l’emprunt de guerre, puis sillonne les États-Unis de janvier 1942 à octobre 1943. Visitant les hôpitaux où sont soignés les soldats blessés, elle se produit sur les bases de l’armée pour le bien-être des GI. Le patron du FBI, J. Edgar Hoover, peut la soupçonner d’être restée fidèle à son Allemagne natale, rien n’est trouvé à lui reprocher. Mieux : l’actrice fait vendre, plus qu’aucune autre, des bons du Trésor.

Rejoignant, entre avril 1944 et 1945, l’USO (United Service Organizations), équivalent du Théâtre aux Armées, elle établit un autre record : celui du nombre de spectacles donnés par un artiste pour les troupes alliées. Chantant et reproduisant des numéros que lui a appris son ami Orson Welles, elle livre deux à quatre représentations quotidiennes et travaille seize heures par jour. Briefée par l’agence de renseignements américaine, l’OSS (Office of Strategic Services), elle participe aussi à des émissions de propagande musicale et enregistre en allemand Lili Marleen. Cet hymne à la résistance va contribuer à démoraliser les soldats nazis qui l’entendent sur les ondes. En Algérie, aux Pays-Bas, en Italie et en France, elle suit la ligne de front, déclarant prendre des risques «par décence».

Marlene Dietrich vivra ses dernières années à Paris

De retour en Allemagne avec l’armée de Patton, elle désavoue sa soeur et son beau-frère, coupables d’avoir tenu un cinéma fréquenté par les nazis, près du camp de Bergen-Belsen. Marlene Dietrich ne reviendra pas vivre dans la mère-patrie. Elle y songe pourtant à la faveur d’un tour de chant effectué en RFA, en mai 1960. L’occasion d’éprouver son statut de personnalité clivante. Devant annuler des représentations, subissant le crachat d’une jeune fille à Düsseldorf, l’icône multiplie, le reste du temps, standing ovations et rappels de la part de ses ex-concitoyens qui viennent l’acclamer.

Confrontée à la rancune d’une partie de la population qui la juge anti-allemande, elle déclare au journal Die Welt : «Je n’ai à m’excuser de rien.» C’est la fracture ressentie lors de ce séjour qui la dissuade de se réinstaller en Allemagne. Marlene Dietrich vivra ses dernières années à Paris. Son enterrement berlinois en forme de réconciliation, sous le regard d’une nouvelle génération n’ayant pas connu la guerre, sera le solde de tout compte d’une artiste qui certes a eu la chance de quitter son pays avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler, mais n’a jamais tergiversé. Ni ménagé sa peine pour combattre le nazisme

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°74, Le nazisme et les femmes, de mars-avril 2024.

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