L’attractivité de l’Europe faiblit aux yeux des patrons américains
Emmanuel Macron et Elon Musk à Versailles en 2023
Le baromètre EY sur l’attractivité note une baisse de 25% des projets d’investissement américains sur le vieux continent en cinq ans. La France n’est pas épargnée par ce phénomène.
Le tapis rouge est prêt à être déroulé ce 13 mai à Versailles. Et pour accueillir des patrons qui viendront du monde entier lors du 7e sommet Choose France, accueillis par Emmanuel Macron, la fanfare est par avance assurée par l’étude annuelle EY sur l’attractivité, publiée ce 2 mai. Le cabinet de conseil place en effet la France sur la première marche du podium en Europe, avec 1.194 projets d’implantation et d’extension dans l’Hexagone annoncés par des entreprises étrangères. A la clé: 40.000 emplois potentiels.
Le Royaume-Uni, en deuxième position, se contente de 985 projets et l’Allemagne de 733 projets. Cette médaille d’or est obtenue par la France pour la cinquième année consécutive. Foin de modestie, Emmanuel Macron a donc choisi un slogan aux résonances olympiques pour ce Choose France: “La France, terre de champions”.
Réindustrialisation en marche
“Ces chiffres sont d’autant plus remarquables que les décisions d’investissements pointées par l’étude ont été prises en 2022, soit au cœur du choc énergétique, analyse avec satisfaction un conseiller de l’Elysée. Même dans ces périodes difficiles, la France tire son épingle du jeu”. Et le Palais de souligner en outre que l’industrie, sujet d’attention de l’exécutif, bénéficie largement de cette attractivité. “La réindustrialisation est en marche”, claironne EY, en soulignant que 44% des investissements à venir devraient se porter sur ces activités.
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Bruno Le Maire puise dans ces données, lui aussi, une raison de persévérer sur la ligne menée depuis 2017: “La stabilité de notre politique de l’offre est saluée unanimement par les investisseurs: nous n’en dévierons pas”, commente le ministre de l’Economie.
Nuage à l’horizon
Pourtant, un nuage apparaît à l’horizon: les projets en provenance des Etats-Unis tendent à se réduire ces dernières années. Ils sont passés de 249 en 2019, avant le Covid, à 215 aujourd’hui. La tendance est plus inquiétante encore au niveau européen. EY pointe 1.058 projets US en Europe annoncés en 2023, soit 15% de moins que l’année précédente. Et la glissade est encore plus prononcée depuis 2019, puisque le baromètre décomptait alors 25% supplémentaires d’hypothèses d’investissements.
“Cette contraction très forte de l’intérêt américain pour l’économie européenne peut s’expliquer par le ralentissement du Vieux Continent mais aussi par l’Inflation réduction act (IRA)”, analyse Marc Lhermitte, associé d’EY en charge de l’étude.
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Un tel effet du programme massif de soutien aux entreprises décidé par Joe Biden -jusqu’à 900 milliards d’euros à l’horizon 2031- semble avoir été peu anticipé. Les Européens craignaient avant tout une vague de délocalisations de leurs usines vers l’autre côté de l’Atlantique. Safran et Porsche envisagent d’ailleurs ouvertement un renforcement de leurs productions aux Etats-Unis. Mais au moins autant que ce mouvement des Européens vers l’Amérique du Nord, c’est le choix des groupes US de se renforcer sur leur territoire national, plutôt que de venir sur le Vieux Continent, qui pourrait s’avérer dommageable.
Puissance de frappe américaine
L’inquiétude est loin d’être anecdotique : les Etats-Unis restent de loin les principaux pourvoyeurs étrangers de nouvelles usines, de centres de recherche et de succursales pour l’Hexagone. A titre de comparaison, le Royaume-Uni affiche 77 projets en France sur 2023, contre 215 pour l’Oncle Sam.
La puissance de frappe américaine est encore plus marquée lorsque l’on étudie le stock d’investissements étrangers présents en France, c’est à dire la concrétisation au long des années de ces projets dénombrés par EY: les entreprises américaines y pesaient 112 milliards de dollars en 2022. Pas un hasard si, en février, Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, Bruno Le Maire et Catherine Vautrin, ministres de l’Economie et du Travail, se bousculaient autour du patron de Google, Sundar Pichai, venu inaugurer son centre le recherche sur l’intelligence artificielle à Paris.
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Un retrait des patrons américains, s’il se confirmait, serait donc lourd de conséquence pour l’économie européenne comme pour l’économie Française. “La France ne doit pas se reposer sur ses lauriers”, insiste Eglé de Richemont, directrice générale de la chambre de commerce franco-américaine. L’organisme a d’ailleurs souligné lui aussi, dans son baromètre annuel, le léger blues des dirigeants en France d’entreprises américaines.
Ils sont certes encore 52% à juger que leur maison-mère a un jugement positif sur la France. Mais c’est bien loin du pic de 2021, lorsque cette vision positive se manifestait pour 64% d’entre eux. “Il faut impérativement envoyer de nouveaux signaux à ces responsables, afin de les assurer que la volonté de réforme est toujours aussi forte dans ce second mandat d’Emmanuel Macron”, estime Eglé de Richemont.
Des patrons US sur le qui-vive
Selon elle, les inquiétudes sur un report de la baisse des impôts de production ainsi que la sempiternelle remise en cause parlementaire du crédit d’impôt recherche placeraient ces dirigeants étrangers sur le qui-vive. “J’ai un comité exécutif au niveau américain prochainement, expliquait récemment le responsable d’une filiale française de groupe américain. Comment vais-je bien pouvoir expliquer aux autres membres du conseil qu’il me faut provisionner des jours de congés supplémentaires, en raison de la décision de la Cour de cassation, qui permet de continuer à accumuler des congés pendant un arrêt maladie? Ce sont de telles mesures qui peuvent nuire au choix d’investir en France.”
L’an dernier, à Versailles, les flashs avaient crépité autour d’Elon Musk, lors de ses rencontres avec Emmanuel Macron et Bruno Le Maire. Mais aucune décision d’implantation n’avait suivi. Cette fois, ce sont bien les contrats sonnants et trébuchants des patrons US qui seront surveillés de près.