Laïcité : à l'Assemblée, Jérôme Guedj remet les pendules à l'heure face au RN et à LFI
Jérôme Guedj en juillet 2023. (Photo d’illustration)
Une contre-offensive bien solitaire. Longtemps attaqué par le centre gauche pour avoir cédé un temps aux sirènes de la Nupes, le socialiste Jérôme Guedj, désormais conspué par Jean-Luc Mélenchon pour ses positions sur le conflit israélo-palestinien, organisait ce lundi 6 mai, à l’Assemblée nationale, un débat sur les politiques publiques de défense de la laïcité avec un objectif double : d’un côté, mettre le gouvernement face aux insuffisances de sa politique en la matière ; de l’autre, marquer sa différence avec une France insoumise qui ne cesse de nier le phénomène islamiste.
Alors que le leader insoumis l’accuse d’avoir « renié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France », le député socialiste, refuse dans Le Monde d’être assigné à une identité de « juif de gauche » et revendique, toujours dans le quotidien du soir, un universalisme dont La France insoumise (LFI) s’est nettement éloignée.
Outrances des insoumis
En témoigne l’intervention de la députée LFI de Seine-et-Marne Ersilia Soudais au cours de cette séance, qui confirme la béance qui sépare désormais les socialistes d’une bonne partie des insoumis sur la laïcité. L’élue mélenchoniste a rejeté le principe même du débat entrepris par son collègue socialiste. « Le débat d’aujourd’hui sur la laïcité est un leurre. Depuis trente ans en France, elle est utilisée comme un bouclier par le RN et ceux qui reprennent son idéologie pour cacher leur islamophobie », écrit-elle sur X. Comme s’il était impossible de défendre la laïcité face à ses adversaires bien réelles sans pour autant stigmatiser les musulmans. Qualifiant par ailleurs le voile de « bout de tissu », la députée a pris pour cible l’interdiction de l’abaya et du qamis à l’école par Gabriel Attal. « La laïcité c’est la loi de 1905 appliquée à la lettre, à savoir la garantie du libre exercice des cultes », a lancé l’élue.
C’est oublier que ce même texte indique d’abord que « la République assure la liberté de conscience » et permet donc à l’État d’intervenir pour protéger les individus de pressions religieuses…
« Instrumentalisation de la laïcité »
Du pain béni pour le Rassemblement national (RN) qui s’en est tenu à ses habituelles tentatives de récupération de la laïcité. Conformément au programme présidentiel de Marine Le Pen, le député RN Julien Odoul a une nouvelle fois évoqué l’extension de « l’interdiction des signes religieux et politiques » à « toutes les activités scolaires liées à l’Éducation nationale », comme les « sorties » ou les « évènements sportifs ».
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En 2019, ce même Julien Odoul avait suscité la polémique en interpellant en pleine séance du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté une mère voilée dans le public, venue accompagner des enfants, alors même que la loi l’autorisait dans ce cadre à porter ce signe ostensible…
Deux interventions qui ont fait bondir Jérôme Guedj. « Le RN et LFI sont de manière caricaturale révélateurs du piège de l’instrumentalisation de la laïcité, lâche le député socialiste auprès de Marianne. D’un côté, le RN en fait le bras armé de la stigmatisation des musulmans. De l’autre, les insoumis instillent la petite musique que la laïcité serait d’ores et déjà “islamophobe”. »
Failles du gouvernement
Pour autant, la copie rendue par l’exécutif au cours de ce débat ne s’est pas non plus révélée brillante. Comme un symbole, ce n’est d’ailleurs pas un ministre de plein exercice mais la secrétaire d’État à la citoyenneté Sabrina Agresti-Roubache qui a représenté le gouvernement.
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Certes, cette proche du couple Macron a souligné plusieurs avancées depuis 2017 comme l’obligation de formation des agents publics ou le lancement d’un comité interministériel en remplacement de feu le très contesté Observatoire de la laïcité. « Les résultats sont là », a affirmé la Marseillaise devant les parlementaires. Mais celle-ci a omis de préciser qu’un rapport du Sénat daté de mars dernier pointait justement que « l’objectif de formation de 100 % des agents d’ici à décembre 2025 est hors de portée ».
Réunions non tenues
Autre écueil : Jérôme Guedj a souligné que le fameux comité interministériel pour la laïcité, censé se réunir au moins une fois par an, ne l’avait fait que deux fois depuis sa création en 2021. Pourquoi ? « Je ne sais pas », a avoué la secrétaire d’État… s’empressant d’indiquer que celui-ci se réunirait « dès la fin de l’année ». Il était temps…
Invité à intervenir devant la quinzaine de parlementaires présents, le politologue Patrick Weil, spécialiste de la laïcité, a pour sa part regretté que l’article 31 de la loi de 1905 qui prévoit de punir toute pression visant à contraindre un individu à exercer un culte ou à l’en empêcher ne soit « pas appliqué ».
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Jérôme Guedj s’est étonné qu’il ne soit même pas mentionné dans la circulaire pénale du 29 avril émise par le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti destinée précisément à lutter contre les agressions pour non pratique religieuse. « Comment expliquer cette frilosité de la part de la politique pénale ? », a lancé Jérôme Guedj.
Politique « balbutiante »
Plus globalement, le débat a manqué d’éléments objectifs de nature à quantifier les atteintes à la laïcité. Alors qu’un décret de 2021 prévoit que le Comité interministériel susmentionné accède chaque année à une synthèse des remontées des différents ministères, aucun indicateur n’a été donné au cours des échanges sur l’ampleur du phénomène. « Ce débat a confirmé que la politique publique de défense et de promotion de la laïcité est en réalité balbutiante », estime Jérôme Guedj.
À défaut d’apporter des réponses suffisamment concrètes, le débat aura au moins eu le mérite de rappeler le grand flou des uns et les récupérations des autres. Et de permettre à Jérôme Guedj de tracer un sillon entre les coups de com du gouvernement sur la laïcité et les outrances des insoumis.