La «loi Poutine» passe mal en Géorgie et encore moins bien en Europe
Manifestation contre le projet de loi sur «l’influence étrangère», devant le Parlement à Tbilissi (Géorgie), le 1er mai.
La Géorgie fait un pas de plus en direction de la Russie, de ses lois liberticides et de ses méthodes musclées. Mercredi, le Parlement a adopté, en deuxième lecture, une loi très controversée sur la «transparence de l’influence étrangère», porté par le parti au pouvoir Rêve géorgien et son satellite, Pouvoir du peuple, alors que la rue est en ébullition depuis plusieurs semaines, depuis que le texte est passé en première lecture, le 17 avril. Mardi, la police a dispersé les milliers de manifestants venus protester devant le Parlement, à coups de matraques, de gaz lacrymogène, de canons à eau et de dizaines d’interpellations.
«Pas conforme aux valeurs de l’UE»
Le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a condamné «fermement les violences commises à l’encontre de manifestants en Géorgie qui protestaient pacifiquement. […] La Géorgie étant un pays candidat à l’adhésion à l’UE, j’appelle ses autorités à garantir le droit à la liberté de réunion pacifique», a-t-il écrit sur X. Mercredi soir, la présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, en conflit avec le parti du pouvoir, a soutenu les manifestants, en les exhortant toutefois à ne pas provoquer d’affrontements avec la police. Depuis qu’elle est dans les tuyaux, Washington appelle Tbilissi à ne pas adopter une loi «inspirée par le Kremlin» qui «va à l’encontre des souhaits de l’écrasante majorité des citoyens géorgiens», et aura, selon Bruxelles, «un impact négatif sur les progrès de la Géorgie sur la voie de l’UE [n’étant] pas conforme aux normes et valeurs fondamentales de l’UE».
En décembre, l’UE a accordé à la Géorgie le statut de candidat officiel, mais a déclaré que Tbilissi devrait réformer ses systèmes judiciaire et électoral, accroître la liberté de la presse et limiter le pouvoir des oligarques, avant que les négociations d’adhésion ne soient officiellement lancées. «Les négociations d’adhésion à l’UE ne devraient pas être ouvertes tant que cette loi fait partie de l’ordre juridique de la Géorgie», recommande le Parlement européen.
La nouvelle loi prévoit que toute ONG ou média recevant plus de 20 % de son financement de l’étranger devra s’enregistrer en tant qu’«organisation promouvant les intérêts d’une puissance étrangère» et remplir une déclaration financière annuelle publique, ou payer de lourdes amendes. Dès sa première mouture, il y a un peu plus d’un an, l’opposition a surnommé le texte «loi Poutine», tant il est calqué sur la loi des «agents de l’étranger» que le Kremlin a utilisée pour «nettoyer» la société civile et étouffer les médias indépendants et toute critique du régime. La version géorgienne, retirée l’année dernière après une première lecture et deux jours de manifestations violentes, risque d’avoir les mêmes conséquences pour le petit pays du Caucase, alertent ses détracteurs, où de nombreuses organisations et médias indépendants survivent grâce aux subventions étrangères, dans un contexte économique difficile, mais refuseront de s’autostigmatiser.
Plus de 200 organisations ont déjà déclaré qu’elles n’avaient pas l’intention de s’inscrire «dans un registre diffamant», jamais et sous aucune forme, et «suspendent la coopération avec le gouvernement jusqu’à ce que celui-ci abandonne le projet de loi». Comme en Russie, la plupart des organisations et médias visés vont devoir cesser leurs activités, et, à terme, risquent de disparaître. «Le plus gros problème de cette loi est qu’elle est inutile. Elle n’est adoptée que pour réprimer les ONG et les médias libres et, d’une certaine manière, pour abolir les organisations non gouvernementales qui surveillent les élections, car nous avons des élections [parlementaires] en octobre 2024», explique à la BBC Baia Pataraia, défenseuse des droits des femmes et directrice de l’ONG Sapari. Les législatives de l’automne sont en effet considérées comme un test important pour la démocratie dans cette ex-république soviétique, souvent secouée par des crises politiques.
«Interdire l’ingérence extérieure»
Moscou, sans surprise, exulte. Le 18 avril, le président de la Douma russe et membre du Conseil de sécurité, Viatcheslav Volodine, a félicité le Rêve géorgien d’avoir avancé dans la bonne direction, déclarant que «tout pays, s’il veut devenir un Etat souverain où le peuple a le droit de déterminer son propre avenir, doit adopter une loi sur les agents étrangers, dont l’essence est d’interdire l’ingérence extérieure dans les affaires intérieures». Et d’accuser Washington et Bruxelles de vouloir renverser le gouvernement géorgien. C’est ce que semble redouter le patron du Rêve géorgien, le milliardaire prorusse Bidzina Ivanichvili, qui disserte sur le financement par l’Occident d’agents d’influence en Géorgie et sur l’existence d’un «parti de la guerre» à l’Ouest qui rêve d’ouvrir un «second front».
«Nous sommes au bord d’une grave confrontation civile, explique le politologue Gia Khukhashvili, cité par la BBC. Nous sommes à la croisée des chemins : allons-nous vers l’Europe ou retournons-nous vers l’Empire russe, vers l’Union soviétique ? Et les autorités démontrent clairement que nous retournons en Union soviétique.» Selon cet ancien conseiller d’Ivanichvili, la loi s’inscrit dans une série d’initiatives dont l’objectif est de créer en Géorgie des conditions confortables pour les capitaux russes, tandis que le traitement brutal des manifestants doit prouver que les autorités gardent le contrôle de la situation.