Henri Peña-Ruiz : "Que les nations réaffirment leur souveraineté pour résister au capitalisme mondialisé"

« La mise hors-jeu des nations et la régression des droits sociaux sont allées de pair, écrit Henri Peña-Ruiz. D’où le projet d’une Europe conçue comme un marché soumis à une autorité supranationale substituée à la souveraineté populaire. Un tel processus consacre l’impuissance économique et sociale des dominés. »

En assumant clairement son attachement à la souveraineté populaire, la gauche ne renierait nullement sa boussole internationaliste. Simplement, elle refuserait de la confondre avec la mondialisation néolibérale, nouvelle arme de guerre de l’exploitation capitaliste. L’histoire du mouvement ouvrier a forcé le capitalisme à composer avec des conquêtes sociales auxquelles il résistait de toutes ses forces, et qui se sont inscrites graduellement dans les législations nationales, notamment en France.

Les multinationales ont alors misé sur la géographie contre l’histoire, en délocalisant les productions afin de jouer sur l’inégal développement des droits sociaux dans le monde. Il s’agissait ainsi de faire baisser le coût du travail, affranchi des régulations sociales. Cela s’appelle la mondialisation, sorte de tache d’huile à progression continue, et violence muette de la loi du plus fort en économie capitaliste. Désindustrialisation, chômage, emplois liquides et précaires, régression des salaires et des droits sociaux, disparition programmée des services publics… Tel a été le résultat de ce processus qui a mis à mal simultanément les nations et les régulations sociales.

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La construction de l’Europe capitaliste conçue par Jean Monnet, avec comme credo « la concurrence libre non faussée », a été le relais local d’un tel processus, comme le montre si bien Jean-Pierre Chevènement dans son livre La faute de M. Monnet (Fayard, 2006). Il y souligne entre autres le non-sens de la notion de « souveraineté européenne », imposture conceptuelle dès lors qu’il n’existe pas un peuple européen mais plusieurs : « L’idée d’une “fusion de souverainetés” (de Jean Monnet) et même d’une simple délégation n’a pas grand sens : le peuple est souverain ou il n’est pas. Privé de sa souveraineté, il cesse d’exister comme peuple au sens républicain du terme. »

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Force est de constater que pour inverser la tendance, il faut que les nations réaffirment leur souveraineté. Non pas pour s’opposer mutuellement par des nationalismes porteurs d’exclusion, mais pour construire des solidarités internationales impliquant la résistance au capitalisme mondialisé. N’est-ce pas la seule voie pour contrer la généralisation du moins-disant social et le creusement des inégalités entre les revenus du capital et ceux du travail ?

Les trois âges du capitalisme

En France comme en Europe, l’histoire globale du capitalisme des origines à nos jours a parcouru trois âges. Le premier est celui d’une accumulation primitive où les entreprises se développent en exploitant d’autant plus aisément les prolétaires qu’au cours de la révolution industrielle, nulle loi ne règle les rapports de force économiques et sociaux. Salaires, conditions et durée du travail, embauche et licenciement sont alors pleinement libres. Seule loi : celle de la jungle, déjà comprise comme sphère de la « concurrence libre et non faussée ».

C’est l’époque d’un libéralisme économique débridé, que résume l’exhortation de Guizot : « Enrichissez-vous ! ». Avec la résistance des prolétaires commence un second âge du capitalisme, celui d’un compromis graduel entre l’exploitation et les lois conquises de haute lutte par une classe ouvrière qui se constitue comme telle en devenant consciente de ses intérêts propres. La lutte pour limiter la durée du travail, par exemple, est emblématique, comme, avec elle, toute conquête pour tempérer l’exploitation.

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Dans un tel contexte s’esquisse un État social de droit, improprement appelé « État-providence » car les droits conquis n’ont rien d’une manne providentielle. Ils adviennent par la mise en jeu de la souveraineté populaire, qui organise la cotisation sociale en une réciprocité des droits et des devoirs. À la Libération, la France a choisi de lier la reconquête de sa liberté au souci de justice sociale. D’où le programme du Conseil national de la résistance (CNR). La Sécurité sociale, créée par le communiste Ambroise Croizat et le gaulliste Pierre Leroux, s’est construite sur un authentique principe de solidarité : on cotise selon ses moyens et l’on reçoit des soins selon ses besoins.

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Délivré de la loi du marché, le sens du bien commun a prévalu. L’idée de service public, déjà incarnée en 1937 par la SNCF avec le Front populaire, permet à toute personne d’accéder aux biens de première nécessité. Santé, instruction, culture, accès à l’eau, à l’énergie et au transport doivent être à la portée de tous, sans que pèsent les inégalités géographiques et sociales. D’où la nécessité de services publics de caractère national, tournés exclusivement vers l’intérêt général. La France, à cette époque, a su montrer la voie d’une société solidaire et juste, soucieuse des biens communs, et de la solidarité redistributive. C’était l’époque des Trente Glorieuses.

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Le troisième âge du capitalisme est celui de la mondialisation. Celle-ci joue sur la géographie pour détruire les conquêtes sociales léguées par l’histoire. Il s’agit alors de délocaliser les productions industrielles là où le coût de la main-d’œuvre est le plus bas. Les multinationales s’attachent ainsi à saper la souveraineté des peuples pour effacer ou éluder les législations sociales des nations par une mise en concurrence généralisée. Cela s’appelle récupérer par la géographie ce qu’on avait perdu par l’histoire. On n’accepte alors la démocratie comme souveraineté du peuple que si la concurrence capitaliste ne lui est plus soumise.

Bref, une sorte de retour au premier âge du capitalisme prend paradoxalement l’allure d’un triomphe de la démocratie, alors que celle-ci n’est plus que le déguisement d’une dérégulation totalitaire. Par ailleurs, l’effondrement de l’Union soviétique et des régimes dits communistes met fin provisoirement à l’idée d’une alternative possible. (Cf. le trop célèbre TINA de Margaret Thatcher : « There is no alternative »)

Du monde à l’Europe : le déni de démocratie

La succession des trois âges du capitalisme et des mutations qui s’y sont produites confirme l’existence de la lutte des classes et l’idée que la politique met en jeu des rapports de force entre ces classes. La construction puis la destruction des lois sociales et des services publics sont des effets des fluctuations du rapport de force entre groupes sociaux dont les intérêts s’opposent ou, du moins, ne sont conciliables que dans une formule de compromis absente du premier âge du capitalisme et mise à mal par son troisième âge. Le XXIe siècle amorce en ce sens un retour au XIXe siècle, âge du capitalisme sauvage, débridé, car sans contrepoids législatif et politique. Voilà ce qui conduit à marche forcée au démantèlement des services publics, de la fiscalité redistributive, et des droits sociaux. Avec pour corollaire l’externalisation des coûts humains, écologiques et sociaux de la frénésie de profit, c’est-à-dire le refus de les prendre en charge dans l’organisation de la production, exclusivement soumise à une telle frénésie de profit.

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Cette irresponsabilité n’est pas le moindre paradoxe de l’idéologie néolibérale, qui prétend en effet que l’initiative économique doit assumer ce qu’elle coûte alors qu’elle en abandonne la prise en charge à la puissance publique, pourtant vilipendée quand elle se mêle d’économie… Bref, qui assiste qui ? Telle est la question à poser aux idéologues qui osent aujourd’hui qualifier les droits sociaux d’assistanat. Voilà que la puissance publique, en promouvant sa propre dérégulation, assiste le capitalisme !!! N’est-ce pas là le plus énorme paradoxe du néolibéralisme ? Sous la houlette d’un homme d’affaires atlantiste, Jean Monnet, la construction européenne s’est affirmée par une économie dissociée du social. La paix entre les peuples a servi de prétexte et de travestissement à la dure loi de la dérégulation.

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L’idée d’une Europe fraternelle a ainsi été dévoyée au point d’écœurer les peuples. On a voulu faire croire que la concorde nationale et internationale impliquait la concurrence libre et non faussée, assortie du moins-disant social. D’où la privatisation à marche forcée des services publics, impulsée par la directive européenne 91/440. Le Medef, par la voix de Denis Kessler (ancien président du conseil d’administration de Scor), a fixé le cap le 4 octobre 2007 : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de le défaire méthodiquement. »

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La politique de la communauté européenne, placée sous l’égide de la privatisation généralisée et de la « concurrence libre et non faussée », mais aussi d’une révision réactionnaire du Code du travail, a relayé la mondialisation capitaliste chère à Jean Monnet. La mise hors-jeu des nations et la régression des droits sociaux sont allées de pair. D’où le projet d’une Europe conçue comme un marché soumis à une autorité supranationale substituée à la souveraineté populaire. Un tel processus consacre l’impuissance économique et sociale des dominés. La mondialisation donne une prime aux pays qui durcissent à l’extrême les conditions de travail pour en réduire le coût.

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Ainsi la modalité de l’exploitation change, pas sa finalité. Un idéologue du capitalisme, Friedrich Hayek, écrit alors Le mirage de la justice sociale (1995). Revenir à l’âge d’or d’un capitalisme sauvage, non entravé par les lois sociales et la fiscalité redistributive : tel est le rêve avoué des nouveaux maîtres du monde. À comparer avec le mythe d’une « mondialisation heureuse », formule étourdie et méthode Coué d’Alain Minc. On ne peut donc s’étonner du fait que dans ces conditions, le 29 mai 2005, le peuple français ait rejeté le projet de « Constitution européenne ». Cela a été un coup d’arrêt provisoire à la « méthode Monnet », art de dissimuler sous l’effet cliquet des engrenages et des faits accomplis irréversibles le sens antisocial de la politique suivie. Le 8 février 2008, Nicolas Sarkozy a raturé le vote populaire de 2005 en permettant l’adoption du traité de Lisbonne. Un traité qui reconduisait les principales dispositions du Traité constitutionnel européen rejeté par le peuple. Une bien étrange façon de respecter la démocratie et le progrès social !

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