En Chine, le moral des entreprises européennes est au plus bas
Les entreprises européennes sont-elles fatiguées de la Chine ? C’est en tous cas ce que laisse entendre l’enquête annuelle de la Chambre de commerce de l’UE à Pékin, publiée ce vendredi 10 mai.
Les entreprises européennes sont-elles fatiguées de la Chine ? C’est en tous cas ce que laisse entendre l’enquête annuelle de la Chambre de commerce de l’UE à Pékin, publiée ce vendredi 10 mai. Le rapport pointe un plus « bas niveau de tous les temps » en matière de confiance pour les entrepreneurs. Certains songent même à partir.
De notre correspondant à Pékin,
Parmi les 529 entreprises membres de la Chambre européenne de commerce en Chine qui ont répondu à cette enquête, seulement 13 % envisagent la deuxième économie du monde comme leur première destination d’investissements dans le futur –du jamais vu à ce niveau-, et 13 % n’y croient plus, ou en tous en cas affirment ne plus vouloir investir en Chine à l’avenir. Ce pessimisme et cette baisse d’appétit pour la Chine de la part des investisseurs pourraient marquer le début d’un « cercle négatif », estime l’institution qui appelle Pékin à prendre des mesures concrètes pour rétablir la confiance des entreprises.
Taxe Trump et insécurité juridique
Un appel auquel les autorités chinoises peuvent répondre seulement en partie, car les raisons de cette désaffection des investisseurs sont nombreuses, confie à RFI cet entrepreneur français dans l’automobile installé depuis 20 ans dans le grand Pékin et sur le point de délocaliser son entreprise au Vietnam. On ne change pas de vie en un jour. « Le moral est plutôt bon, dit-il, mais c’est vrai qu’il y a un contexte plus tendu commercialement et industriellement en Chine et je le vois par mes fournisseurs. »
Le ralentissement post-Covid, mais aussi et surtout la guerre commerciale sino-américaine et l’insécurité juridique ont conduit ce dernier à songer au départ. « En premier lieu, il y a la taxe Trump qui n’a pas été abolie par Biden et qui renchérit tout ce qu’on fabrique en Chine à destination des US de 25 %. La deuxième raison, c’est que le gouvernement chinois nous a forcé à revendre notre terrain et notre usine, donc un manque de sécurité juridique qui nous a fait penser à déménager, sachant qu’en industrie, on ne pouvait pas se relocaliser sur Pékin et dans sa région. Ce n’est pas possible pour tout ce qui est automobile et ces deux facteurs nous poussent à quitter la Chine. »
Facteurs internes et externes font que les nuages s’accumulent : « Les entreprises commencent à se rendre compte que certaines pressions observées sur le marché mondial, ainsi que la concurrence avec nous, ont vraiment pris une tournure permanente », affirme Jens Eskelund, le président de la Chambre de commerce de l’UE en Chine.
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Consommation atone et surcapacités industrielles
Plus des deux tiers des sondés ont ainsi déclaré que faire des affaires en Chine était devenu plus difficile, marquant la proportion la plus élevée jamais enregistrée. « La levée des mesures de restrictions liées à la pandémie a d’abord donné aux entreprises un sentiment d’optimisme », dit encore le rapport. « Cependant, il est vite devenu évident qu’il n’y aurait pas de reprise rapide. » Résultat : selon la Chambre, l’ex-atelier du monde n’est « plus le choix évident pour tous », alors que la faiblesse de la consommation intérieure et les surcapacités industrielles chinoises, notamment dans le domaine des voitures électriques et du génie civil, noircissent l’horizon.
«Â Alors que l’économie chinoise est confrontée à des vents contraires et que le président Xi Jinping appelle à l’autosuffisance et à la poursuite d’un modèle de développement axé sur la production et l’endettement, malgré les réticences de l’occident, les entreprises se sentent moins bien accueillies qu’auparavant », relève l’agence Reuters. « Les entreprises continuent de déplacer les investissements prévus en Chine vers d’autres marchés, perçus comme plus prévisibles, plus fiables et plus transparents », dit encore la Chambre de commerce.
Cela vaut aussi d’ailleurs aussi pour une partie des entreprises chinoises : « À chaque fois que je visite des usines au Vietnam, un locataire sur deux est chinois et vient transformer du made in China en made in Vietnam, en ajoutant quelques transformations pour éviter la taxe Trump », raconte encore notre témoin français qui s’est rendu cinq fois à Hanoï ces trois derniers mois.
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Relocalisations en Asie du Sud-Est
Les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ont été les principaux bénéficiaires de cette délocalisation des investissements étrangers, avec 21 % des répondants ayant déplacé – ou envisageant d’y déménager – une partie de leurs investissements initialement prévus pour la Chine, relève le South China Morning Post.
Outre la pandémie et la crise immobilière qui ont mis en évidence certaines limites du développement, le découplage États-Unis / Chine et la stratégie d’autonomie de la deuxième économie du monde qui en découle, pourrait accélérer le désamour des investisseurs. De nombreuses entreprises européennes en Chine ont ainsi les yeux rivés sur la Maison Blanche et les élections aux États-Unis en novembre. Sachant qu’avant cela, le renforcement du contrôle des exportations annoncé par Washington en matière de semi-conducteurs notamment, pourrait avoir un impact sur une grande partie des entreprises de l’UE opérant en Chine.
Ce pessimisme sur les perspectives d’investissements semble peser plus lourd sur les entreprises européennes prises en étau entre les pressions chinoises et américaines. Cette déprime qui semble s’ancrer depuis le Covid ne vaut pas pour tous les secteurs et une grande partie des entreprises européennes continuent de dépendre de ce marché continent, malgré une consommation qui peine à redémarrer. « Cette enquête a été réalisée en janvier et février derniers, elle ne tient pas compte des différentes annonces faites aux entreprises étrangères par les autorités depuis », relève un analyste chinois. Des annonces qui peineront à effacer d’un coup les problèmes structurels. Si les trois quarts des interrogés prévoient de réinvestir une partie de leur bénéfice de l’année dernière en Chine cette année, plus d’un tiers affirme qu’il réinvestira moins que par le passé.
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