Christian Kessler : "La guerre en Ukraine pousse le Japon à se bunkériser"
“La municipalité de Tokyo a désigné plus d’une centaine de stations qui pourraient faire office de refuge.”
Depuis l’invasion d’une partie du territoire ukrainien par les forces russes, le Japon accélère la mise en place d’abris permettant à sa population de se réfugier en cas d’attaque de missiles notamment, qu’ils proviennent de la Russie, de la Chine ou plus sérieusement de la Corée du Nord qui, elle, lance régulièrement des missiles au-dessus de l’archipel.
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C’est ainsi que les municipalités de Tokyo, d’Osaka et d’autres, après avoir constaté que les Ukrainiens se réfugiaient dans des abris aménagés à même les métros, ont décidé d’en faire de même. La municipalité de Tokyo a désigné plus d’une centaine de stations qui pourraient faire office de refuge et Osaka en a fait de même.
Scepticisme général
À Tokyo, dans la station de métro Azabu-Juban qui dessert les quartiers de nombreuses ambassades et qui devrait être rénové, il est question d’installer un de ces abris, ce qui nécessiterait une restructuration complète de la station. Pour l’instant, ces refuges installés dans les métros ne devraient être utilisable que temporairement, une ou deux heures, par les habitants, avant que les alertes ou les attaquent réelles ne cessent. L’idée est bien de développer les abris dans les métros, le plus profondément possible. La ligne de métro Toei Oedo est la plus profonde dans la capitale, à 42,3 mètres de la surface. Mais que dire alors que dans certains cas en Ukraine, ces refuges se trouvent à plus de 100 mètres de profondeur.
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L’enjeu est donc de taille et en laisse sceptique plus d’un. Aux métros s’ajouteraient notamment les parkings souterrains. L’objectif serait d’obtenir que les sites d’évacuation temporaires sous terre assurent un espace de 0, 825 mètres carrés par habitant, non seulement à Tokyo, mais partout dans les grandes villes. À Tokyo même, environ 4 500 sites ont été retenus, dont certains seraient aménagés par des sociétés privées. À l’heure actuelle, aucun des sites déjà existants dans la capitale ne comporte de stocks d’eau ou de nourriture. Le grand Tokyo comptant 40 millions d’habitants, on peut légitimement se demander comment atteindre ces fameux 0,8 mètre carré. Le scepticisme est donc de rigueur non seulement dans la population mais également parmi les dirigeants.
Ce manque de place fait d’ailleurs écho à ce qui est prévu en cas de tremblement de terre. En effet, les parcs déjà notoirement insuffisants dans la capitale, les écoles, les universités et leurs campus désignés comme lieu de regroupement en cas de séismes, donneraient sans doute lieu à une belle pagaille dans la population, tellement les plans conçus ont peu à voir avec le gigantisme de la mégalopole de Tokyo et les conséquences d’un tremblement de terre majeur.
Incendies qui se déclareraient un peu partout, effondrement d’immeubles, de poteaux téléphoniques, de panneaux publicitaires, redonneraient sans doute les mêmes scènes de désastre que lors du grand tremblement de terre du Kantô en 1923 qui a détruit une grande partie de Yokohama et de Tokyo et fait plus de 100 000 morts.
Pourquoi d’ailleurs ne pas inclure dans les sites, le parc du palais impérial de Tokyo en plein cœur de la capitale où réside l’empereur. Le jardin secret s’étend sur une surface de 210 000 mètres carrés et serait la bienvenue en cas de séisme, sauf qu’il est réservé à la famille impériale, comme me l’avait assuré un brin ironique le maire de Tokyo lorsque je lui avais posé la question !
Traumatismes de la Seconde Guerre mondiale
Pour tout le Japon, le gouvernement a décidé de s’en remettre aux différentes préfectures qui, d’urgence, ont la responsabilité de choisir des sites autant en villes qu’à la campagne. Écoles, gymnases, centres de loisirs sont et seront désignés comme lieu de refuge et donneraient lieu à des rénovations afin de rendre leurs structures plus résistantes. Plus de 50 000 de ces sites ont été désignés dans tout le Japon, mais seuls 1 500 se trouvent sous terre et pourraient efficacement protéger la population.
Dans le cadre du grand plan de protection lors d’attaques notamment sous forme de missiles, le Japon se focalise beaucoup sur les îles de la préfecture d’Okinawa. Il s’agit ici de se préparer à d’éventuelles frappes chinoise en cas d’attaque sur Taïwan.
Si les forces d’autodéfense, euphémisme utilisé pour désigner l’armée japonaise, sont bien installées avec force batteries antiaériennes de missiles, navires de guerre de toutes sortes, le long du chapelet d’îles qui prolonge vers le sud-ouest l’île principale de Kyushu, rien n’avait été prévu pour les habitants. Désormais, la base militaire américaine de Futenma, en accord évidemment avec les Américains, se classe dans la liste des refuges.
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Mais l’opposition à ces bases de la part de nombreux habitants, ainsi que l’éventail d’îles, a décidé le gouvernement à proposer d’autres sites. Dans un premier temps, les autorités se proposent de construire des abris dans cinq municipalités d’où l’évacuation n’est possible que par bateau et par les airs : Ishigaki, Miyakojima, Taketomi, Taram et Yonagi, cette dernière ne se trouvant au reste qu’à peine 100 kilomètres de Taïwan !
II s’agit en clair de bâtir des refuges pour les habitants n’ayant pu être évacués. Le gouverneur de l’île d’Okinawa appelle cependant avant tout le gouvernement plutôt que de s’échiner sur la construction de sites, de rendre compte des mesures diplomatiques qu’il compte activer afin d’éviter tout conflit. Il se réfère ici à la brutale bataille d’Okinawa du 1er avril au 22 juin 1945, dernière des grandes batailles de la Second Guerre mondiale, l’une des plus sanglantes, où les civils poussés par une armée impériale particulièrement fanatique, se suicidèrent en masse en se jetant du haut des falaises dans le Pacifique. Une blessure qui ne s’est jamais cicatrisée pour les habitants d’Okinawa et qui rend la coopération avec les militaires américains et le gouvernement central de Tokyo particulièrement difficile.