Après une année 2023 noire, le transporteur ferroviaire Alstom remonte la pente mais ouvre son capital
Sur le volet financier, on avait laissé fin 2023 Alstom dans une mauvaise passe, avec un tir de barrage des boursicoteurs qui avait entraîné sa sortie du CAC 40 en mars. La boîte a même réalisé la pire performance de l’indice l’an dernier. Ce mercredi 8 mai, les résultats annuels d’Alstom montrent le numéro 2 mondial dans le ferroviaire remonte doucement la pente. Le PDG de la boîte, Henri Poupart-Lafarge, se félicite, lui, d’avoir «enregistré un fort rebond au cours du second semestre», avec une trésorerie dans le vert ce second semestre, pas suffisant en revanche être en positif sur l’année entière. Mais le PDG le promet : 2024-2025 sera l’exercice fiscal de la trésorerie retrouvée.
Cette annonce pourrait atténuer la décorrélation entre le volume «inégalé», selon Alstom, de son carnet de commandes et son cours en Bourse. Un carnet que l’entreprise avait estimé à 90,3 milliards d’euros au 31 décembre 2023, «garantissant environ 38 à 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur les trois prochaines années». Fin avril, il grimpe encore, en cumulé, à 92 milliards d’euros, malgré une année qui vient de s’écouler un peu moins florissante que la précédente.
Des employés travaillent sur le TGV «M» de nouvelle génération de la SNCF à l’usine Alstom de Belfort, le 29 avril 2024.
Et même si le second semestre est mieux sur le flux de trésorerie disponible de l’entreprise, il reste en négatif sur l’exercice fiscal entier. «Nous avons subi le contrecoup de plusieurs livraisons, qui ont été décalées donc non payées, et d’un décalage de certaines commandes sur le second semestre», résume le dirigeant dans le Figaro, avant d’annoncer une trésorerie dans le vert l’an prochain. La réduction de la dette a ensuite été présentée comme l’une des priorités par le groupe. De 3,4 milliards d’euros en septembre, elle a un peu baissé au 31 mars, à 2,99 milliards. Mais Alstom espère la réduire à 2 milliards d’ici 2025. Le 19 avril, l’entreprise a par exemple vendu pour 630 millions d’euros son activité de signalisation conventionnelle en Amérique du Nord.
Suppression de 1 500 postes de cadres, dont 298 en France
Mais cette volonté s’est aussi soldée comme souvent par une casse sociale : le constructeur a annoncé en novembre vouloir supprimer plus de 1 500 postes de cadres, commerciaux et administratifs, dont 298 en France. Et si les emplois à la production ou à l’ingénierie semblaient à ce jour sanctuarisés, Henri Poupart-Lafarge cible dans le Figaro des sites en Amérique du Nord, en Allemagne ou à Derby, en Angleterre, sans donner plus de détails. Pour tenter de sortir la tête de l’ornière, le groupe ferroviaire annonce également ce mercredi matin une émission obligataire hybride de quelque 750 millions mais surtout une augmentation de son capital d’un milliard d’euros, une hypothèse qu’il avait formulée dès novembre. Le PDG affirme que les actionnaires principaux de la boîte, la Caisse de dépôt et placement du Québec et Bpifrance, «ont déclaré leur intention de souscrire», manière de dire que le capital ne se diluera pas trop.
L’un des principaux écueils qu’Alstom doit surmonter ces prochaines années, c’est de livrer dans les temps ses nombreuses commandes. Là aussi Alstom remonte un peu la pente, puisque le groupe annoncé avoir livré 4 645 voitures sur les douze derniers mois, contre 4 151 voitures en 2022/23. En revanche, les TGV M, dont une première partie devait arriver pour les JO, ne pourront finalement pas être utilisés par les usagers avant le second semestre 2025. Or la SNCF en a commandé 115 rames pour 3,5 milliards d’euros, un montant qui n’arrivera dans les caisses de l’industriel qu’à la livraison. Même chose pour le métro lillois, qui était censé commencer à arriver sur le réseau en… 2016, alors que la commande n’est toujours pas honorée à ce jour. Le réseau francilien, dont les RER, métros et tramways sortent quasiment tous des usines Alstom, devrait lui aussi attendre 2029, selon la Fnaut, pour jouir de tous ses nouveaux RER NG pour ses RER E, tout juste prolongé, et RER D.
Un employé travaille sur le TGV «M» de nouvelle génération de la SNCF à l’usine Alstom de Belfort, le 29 avril 2024.
Mais peu rancunière, et surtout consciente de la puissance du numéro 2 mondial, Ile-de-France Mobilités, qui avait déjà confié à Alstom les rames des futures lignes du Grand Paris Express 15, 16, 17 et 18, a passé de nouvelles commandes ces derniers mois : en avril, 35 RER NG en plus des 131 déjà commandés ; en mars, 103 rames MF19 pour les lignes de métro 8, 12 et surtout 13. Deux contrats qui apporteront 1,45 milliard d’euros en plus dans le carnet déjà bien rempli.
Ces bonnes nouvelles s’ajoutent à d’autres contrats signés depuis trois mois, en Roumanie, Australie, Arabie Saoudite, Allemagne ou encore en Italie, en Lombardie et dans les Pouilles, région dans laquelle deux trains à hydrogène Coradia Stream H remplaceront des trains diesel. Encore plus frais, le constructeur ferroviaire a glané lundi, à l’occasion du sommet franco-chinois, des contrats de fourniture de systèmes de traction électrique pour des lignes de métro à Pékin, Wuhan et Hefei. La semaine dernière, Alstom a en revanche perdu contre le numéro 3 mondial, son rival allemand Siemens Mobility, le contrat d’un train à haute vitesse entre Los Angeles à Las Vegas. Les deux concurrents s’affrontent également pour un autre marché ferré californien, dont l’annonce sera, elle, dévoilée plus tard dans l’année.
Inadéquation entre le temps du ferroviaire et celui de la finance
Si Alstom fait face à de réels problèmes sur ses livraisons ou la digestion de la fusion récente avec Bombardier, que Poupart-Lafarge qualifie de «compliquée» mais «stratégique», les performances financières du numéro 2 mondial illustrent aussi l’inadéquation entre le temps long du ferroviaire et celui, plus court, de la finance. La plupart des pays européens annoncent des fréquentations en hausse dans leurs trains, les transports en commun sont une évidence pour toutes les métropoles ou presque, les villes moyennes comme le rural demandent le maintien voire le retour de leurs petites lignes et l’UE pousse pour que le fret ferroviaire sorte du déclin pour se multiplier sur le Vieux Continent… Autant d’arguments en faveur du secteur ferroviaire pour les décennies à venir.
L’actualité économique et industrielle agitée va malgré tout avoir un impact sur l’architecture interne d’Alstom. Le 20 juin, lors de son assemblée générale, Alstom devrait rejoindre le groupe des entreprises à la direction dissociée. Le PDG actuel, Henri Poupart-Lafarge, doit ainsi lâcher la présidence à Philippe Petitcolin, ancien de Safran, et ne conserver que le poste de directeur général. Dans son communiqué en novembre, qui annonçait la nouvelle, le groupe ferroviaire avait expliqué que ces «changements dans l’organisation» avaient pour but d’«améliorer la responsabilité et la discipline financière». Sacré chantier pour le nouveau dirigeant.