En Ukraine, Viktor Orbán réclame un cessez-le-feu et Volodymyr Zelensky des armes
Volodymyr Zelensky et Viktor Orban, à Kyiv. le 2 juillet 2024.
Il existe un train de nuit direct entre Budapest et Kyiv, mais on ne peut pas dire que dernièrement Viktor Orbán ait été friand d’escapades ferroviaires sur les terres tourmentées de son voisin oriental, tant il y a de la friture sur la ligne entre le Premier ministre hongrois et le président Volodymyr Zelensky. L’homme fort de Budapest, une nuit d’élections en 2022, le qualifia même d’opposant. C’est donc un peu à la surprise générale que Viktor Orbán a débarqué à Kyiv le 2 juillet au matin, le lendemain de la prise de la présidence tournante de l’Union européenne par la Hongrie, pour tenter d’engager «les premiers pas pour promouvoir la paix en Ukraine», selon les explications qu’il a réservées avant son départ à sa télévision d’Etat «M1».
Orbán ne s’était encore jamais rendu à Kyiv en temps de guerre, sa dernière visite dans la capitale remontant à 2012, la même année que celle du dernier voyage de Vladimir Poutine en Ukraine. Depuis, la Hongrie s’est mise dans l’orbite de la Russie, signant des contrats avec Gazprom, contrecarrant systématiquement les ambitions euroatlantiques de l’Ukraine, sur fonds d’instrumentalisation politicienne de la minorité de 100 000 Ukrainiens d’ethnie magyare, vivant en Transcarpatie. Vingt-huit mois après le début de l’invasion russe, Viktor Orban s’est finalement fait violence, venant à Kyiv demander à l’Ukraine (et non à la Russie) un «cessez-le-feu», à contre-courant des positions des autres pays européens.
«J’ai demandé au président [Zelensky] de considérer rapidement la possibilité d’un cessez-le-feu, qui serait limité dans le temps et permettrait d’accélérer les négociations de paix», a déclaré Viktor Orbán, lors d’une conférence de presse commune. «Les initiatives [du président ukrainien] prennent beaucoup de temps, sont lentes et compliquées, en raison des règles de la diplomatie internationale», a-t-il poursuivi, critiquant de manière larvée le Sommet pour Paix qui s’est tenu le 16 juin en Suisse, à l’initiative de Kyiv et de Berne. Réagissant à peine à ce coup de coude dans les côtes, de la part d’un des très rares Européens parlant à Poutine, Zelensky est resté flegmatique, et n’a pas daigné épiloguer sur la proposition de cessez-le-feu.
«Tenter d’établir une relation»
Zelensky a plutôt rappelé que la visite de Viktor Orbán illustrait «à quel point il est important d’apporter une paix juste à l’Ukraine et à l’ensemble de l’Europe», plaidant pour «le maintien à un niveau suffisant» de l’aide militaire versée par l’Europe à Kyiv. En résumé, Orban cherche à faire taire les armes à n’importe quel prix, Zelensky pousse pour que l’Europe respecte ses engagements et livre le maximum d’armes pour forcer la Russie à se retirer d’Ukraine. Rien n’indique que les positions de Kyiv et de Budapest se soient rapprochées mardi, malgré une certaine forme de bonhomie cordiale, affichée en façade par les deux dirigeants, alors que le contentieux entre les deux pays qui se regardent en chiens de faïence est profond.
Selon Dmytro Tuzhanskyi, politologue et directeur de l’Institut de stratégie pour l’Europe centrale, spécialiste ukrainien de la Hongrie, l’initiative de la rencontre vient de la partie ukrainienne. «Zelensky a chassé Orban», explique-t-il à Libération, l’invitant deux fois, en vain, mettant toute son équipe sur l’affaire, pour «tenter d’établir une relation», et si possible à Kyiv, et non pas sur terrain neutre. Dmytro Tuzhanskyi rappelle que «jusqu’à présent, les relations entre l’Ukraine et la Hongrie ont été alimentées par des sujets conflictuels, comme le droit des minorités, la double nationalité, la politique de passeportisation de Budapest et la position pro-russe de Orbán», alimentant «un potentiel de conflit très élevé entre les deux pays».
Dans ce contexte, le politologue voit «dans la partie publique» de la rencontre de mardi «une sorte de gentlemen’s agreement : tu parles de cessez-le-feu et de paix, car c’est ta position, et moi je ne la discuterai pas.» En réalité, Zelensky serait préoccupé par autre chose. «Le cœur du problème, poursuit Dmytro Tuzhanskyi, c’est qu’au niveau de l’UE, la Hongrie bloque toujours à ce jour neuf milliards d’Euros destinés à l’Ukraine, dans le cadre du fond de la Facilité du soutien à la paix, cet instrument créé après l’invasion russe, pour acheter des munitions à l’Ukraine, auquel ironiquement la Hongrie contribue.» En résumé, Zelensky est prêt à laisser Orbán dire ce qu’il veut, tant que durant sa présidence de l’UE, les milliards se débloquent.